Guess Art
Le regard sur la trace de la lumière suit le désir du peintre, jusqu’à l’âme du tableau
Chaque semaine je propose un tableau :
Les quatre premiers jours de la semaine je poste des détails du tableau, le vendredi le tableau et le samedi un commentaire sur le tableau.
Le dimanche je poste un ou plusieurs tableaux en rapport avec le tableau de la semaine.
Le concept : trouver le tableau le plus tôt possible dans la semaine.
Si vous trouvez le tableau dès le lundi, vous êtes très fort.
Bravo !
Pour ceux qui cherchent, je donne un indice, en milieu de semaine, sur mes comptes Instagram et Facebook qui portent le même nom que le blog : lumieresdesetoiles
Attention : au pluriel et sans accent...
Bon voyage dans les lumières des étoiles !
Each week there will be a painting that is revealed detail-by-detail :
The first four days of the week, I'll be posting fine details of the painting which will ultimately be revealed on Friday;
On Saturday, I'll be posting a commentary on the work of the week.
Finally, on Sunday, I'll be posting a couple of related works to frame the context, history, or style of the painting of the week.
The challenge: to identify the painting in the shortest time possible.
If you've met the challenge by Monday, you are indeed quite the connoisseur!
Bravo !
For those interested in the challenge, I give an additional hit in the middle of the week on my Facebook and Instagram accounts, which go by the same name as the blog: lumieresdesetoiles.
Regard de haut -Manet 2
Regard timide -Manet 2
Olympia -Manet 1
Edouard Manet (1832-1883)
Olympia
1863
Huile sur toile
Dim. 130 x 190 cm
Conservé à Orsay
Edouard Manet
1832 Naissance à Paris dans une famille de la haute bourgeoisie
1848-49 Il échoue au concours d’entrée à l’école navale. Dans le même temps il voyage au Brésil où il réalise un grand nombre de dessins.
1850 Avec l’accord parental, il entre dans l’atelier de Thomas Couture. Il y restera six ans. Il rencontre Eugène Delacroix et voyage en Italie et aux Pays-Bas.
1856 Manet ouvre son premier atelier rue Lavoisier
1859 Buveur d’absinthe est refusé au Salon
1861 Le chanteur espagnol et Portraits de Mr et Mme Manet sont acceptés au Salon
1863 Il épouse Suzanne Leenhoff qu’il fréquente depuis de nombreuses années. Elle sera son modèle dans plusieurs tableaux (notamment La lecture)
1865 il voyage en Espagne . Manet peint de nombreux tableaux inspirés de la peinture espagnole. Il est fasciné par Velázquez.
1867 Manet organise sa propre exposition après plusieurs tableaux refusés par le jury du Salon. Le public ne suit pas.
1868 Rejeté par le jury et incompris des amateurs d’Art, Manet se rapproche des peintres novateurs : Claude Monet, Pierre-Auguste Renoir, Edgar Degas, Paul Cézanne, Alfred Sisley, Camille Pissarro et Berthe Morisot.
1874 Manet refuse de participer à la première exposition impressionniste qui a lieu dans l’atelier du photographe Nadar
1883 Manet meurt à Paris des suites d’une longue maladie.
Contexte historique
En 1863, Victorine Meurent, modèle préféré de Manet dans les années 1860, pose pour ce nu jugé à l’époque comme le plus scandaleux des nus féminins jamais peints.
L’œuvre est acceptée au Salon de 1865, parce que le jury craint l’organisation d’un nouveau « Salon des refusés », comme en 1863.
Mais elle fut ridiculisée et injuriée avec une rare violence, ce qui affecta Manet, qui cherchait à s’inscrire dans la suite des maîtres du passé.
Certains pourtant, comme Zola, surent déceler la modernité de cette œuvre offerte à l’Etat en 1890 grâce à une souscription publique organisée par Claude Monet.
Description
Au premier plan, une jeune-femme est allongée sur un châle jaune, elle est nue. Sur un lit aux draps de satin blanc, elle est accoudée, son bras droit reposant sur des coussins. Elle regarde fixement le spectateur, tandis que sa main gauche au modelé vigoureux cache son sexe. Elle a un menton pointu, un visage carré, une petite poitrine et les jambes courtes.
L’atmosphère érotique est renforcée par la mule qui glisse de son pied gauche et par la présence du chat noir à ses pieds. Ce chat noir désigne par métaphore ce que la jeune-femme cache de sa main.
Au second plan, la femme de chambre à la peau noire se fond avec la couleur de la tapisserie, elle apporte à Olympia les fleurs qu’elle vient de recevoir. Celle-ci n’y prête aucune attention et regarde d’un regard franc et dépourvu d’ambiguïté, le spectateur.
La chambre est décorée de tentures vertes et de tapisserie.
Composition
La composition s’inspire de la Vénus d’Urbino de Titien avec la division du fond en deux, au milieu la figure principale et à droite la figure secondaire.
Et, comme dans le tableau du Titien on note l’absence de perspective construite.
La source lumineuse qui éclaire Olympia arrive de face, elle met le premier plan en pleine lumière et fait ressortir le fond du tableau très sombre.
Olympia est représentée très blanche, plate, sans ombre, le contraste est très fort avec la servante noire, le chat noir et l’arrière plan foncé.
Manet peint avec peu de modelé, sa peinture est posée en aplats, cernés de noir.
Il y a une absence de sensualité dans le rendu des chairs.
Les couleurs sont froides. L’équilibre des roses, des blancs et des noirs s’étage de bas en haut, du drap à la robe de la servante.
La présence du bouquet de fleurs est une inspiration de la peinture italienne classique, il est peint avec la délicatesse d’une nature morte. Manet met dans la représentation de ce bouquet le soin qu’il a volontairement oublié dans la représentation du modèle.
Analyse
L’oeuvre picturale s’inscrit dans un contexte artistique en pleine mutation.
Le climat de l’époque oppose les artistes perpétuant la tradition académique avec ses canons de beauté et, une nouvelle génération d’artistes qui veulent s’affranchir de l’Art officiel.
Ce tableau exposé au salon de 1865 a suscité de nombreuses réactions négatives mettant en cause sa facture novatrice.
Le sujet et son langage pictural expliquent le scandale que l’oeuvre provoqua au Salon.
Avec Olympia Manet réinvente le thème traditionnel du nu féminin par le jeu d’une peinture franche et sans compromis.
Même si Manet multiplie les références formelles et iconographiques : la Vénus d’Urbin de Titien, la Maja desnuda de Goya et le thème de l’odalisque à l’esclave noire traité par Ingres, il traduit avant tout picturalement la froideur et le prosaïsme d’un sujet contemporain.
La Vénus est devenue une prostituée qui défie de son regard le spectateur.
Face à cette remise en cause du nu idéalisé, fondement de la tradition académique, la violence des réactions fut considérable. Les critiques vilipendèrent « cette odalisque au ventre jaune » dont la modernité fut pourtant défendue par quelques contemporains avec à leur tête Zola.
L’Olympia de Manet évoque à la fois la nudité et la sensualité de la femme.
Le spectateur est mis dans une position de voyeur.
Ce qui est novateur c’est que le modèle regarde le spectateur dans les yeux. Elle est aguicheuse. Elle est représentée dans son intérieur, dans sa réalité, sans idéalisation et sans prétexte religieux ou mythologique.
Ce n’est pas une nudité artistique.
C’est la vraie nudité d’une femme vraiment nue.
Edouard Manet réinvente la tradition picturale du nu. Olympia ne correspond pas à la tradition de l’odalisque. C’est un nu qui représente une prostituée. La figure de Vénus est associé à une femme vénale, empli de sensualité,
Cette représentation réaliste a choqué les meurs de l’époque.
La provocation s’étend jusque dans le motif lui même avec la présence de la servante noire.
Manet s’affranchit des mœurs du second empire et représente sa vision de la réalité.
Les critique du XIXe affirmaient que ce tableau relevait de l’enseigne commerciale.
C’est le regard d’Olympia, son expression sérieuse qui exclut
l’intimité qui fait scandale.
Le modèle est le tableau.
Elle est statique, froide et professionnelle, maudite, réprouvée, c’est une anti-déesse, la négation même de l’Olympia dont elle emprunte le nom.
Conclusion
Manet a peint l’Olympia un an après le Déjeuner sur l’herbe.
Elle marque une rupture avec la tradition académique ouvrant la porte à d’autres artistes tels que Degas, Toulouse-Lautrec ou Cézanne.
Ces artistes sont des peintres de la réalité qui sont en dehors du système élitiste et académique du Salon. Olympia s’inscrit dans ce courant.
Comme tous les séismes, ce tableau a suscité des répliques en chaines avec L’origine du monde de Courbet et la Moderne Olympia de Cézanne.
Le modèle n’est plus un objet passif de désir mais une femme douée d’une personnalité, revendiquant son droit au plaisir.
Ce que le public reprochait à ce tableau était de l’obliger à regarder une femme nue.
Inadmissible au XIXe mais, ne l’est ce pas aujourd’hui ? C’est dans cette affirmation féministe avant l’heure que l’Olympia nous interpelle.
Manet dit de son tableau : « j’ai fait ce que j’ai vu ».
Le tableau -Olympia -1863 -Manet 1
Regard de face -Manet 1
Regard indiscret -Manet 1
Regard complice -Manet 1
Regard en coin -Manet 1
Femmes d’Alger dans leur appartement -Delacroix 3
Eugène Delacroix (1798-1863)
Femmes d’Alger dans leur appartement
1864
Huile sur toile
Dim. 180 x 229 cm
Conservé au Louvre
Eugène Delacroix
1798 Delacroix nait à Charenton Saint Maurice
1806 Décès de son père
1814 Delacroix est orphelin à 16 ans
1819-20 Ses premiers travaux de peinture sont des décors de dessus de porte dans des hôtels particuliers de Paris
1819-1821 Ses premiers tableaux sont deux retables La Vierge des moissons pour l’église St. Eutrope d’Orcemont 1819 et La Vierge du sacré Coeur pour la cathédrale d’Ajaccio 1821
1822 Premier succès au Salon Officiel avec le tableau La Barque de Dante
1825 Voyage en Angleterre. Il se familiarise avec la technique de l’aquarelle et découvre le théâtre de Shakespeare. Delacroix trouvera des sujets dans le théâtre et les mêlera tout au long de sa carrière aux thèmes orientaux
1827 Delacroix présente la mort de Sardanapale unanimement rejeté par la critique.
1830 Delacroix écrit des articles de critique d’Art, dont un sur Raphaël et un autre sur Michel Ange.
1831 la Liberté guidant le peuple est présenté au salon
1832 Delacroix voyage en Andalousie, au Maroc et en Algérie
1840 Il participe à la décoration du palais du Luxembourg pendant 6 ans
1855 Trente six de ses œuvres sont exposées à l’exposition Universelle de Paris
1857 Après vingt ans d’attente il est élu à l’Institut
1863 Delacroix meurt à Paris d’une longue maladie
Contexte historique
En 1832 Delacroix voyage au Maroc et en Algérie. Il accompagne une délégation menée par le comte de Mornay et envoyée par Louis-Philippe auprès du sultan Moulay Abd el-Rahman. Ce sera son seul voyage en Afrique du nord. Il en rapportera des carnets de croquis et d’aquarelles qui lui serviront de modèles pour ses tableaux tout au long de sa carrière.
Avec ce voyage Delacroix s’est enrichi d’un nouveau répertoire esthétique.
Il préfère désormais l’exploitation des sources orientales aux sujets tirés de la mythologie.
A Alger, il visite le harem d’un corsaire turc. Il s’inspire de cette visite pour peindre Femmes d’Alger dans leur appartement et expose le tableau au salon de 1834.
Description
Trois femmes sont assises sur de luxueux tapis orientaux, dans une pièce close d’un harem algérois. Elles sont habillées de riches tuniques brodées de soie sur lesquelles brillent des bijoux précieux. Elles portent de sarouals qui découvrent leurs mollets et leurs pieds nus.
A gauche du tableau une femme s’appuie nonchalamment sur des coussins empilés et regarde le spectateur, deux autres femmes assises sont en conversation. Celle qui est la plus à droite du tableau, tient dans sa main l’embout d’un narguilé. A l’extrême droite du tableau, une servante noire sort du champ en tournant la tête vers ses maîtresses.
Les murs sont revêtus de carreaux de faïence ornés de motifs. Dans l’arrière plan, au dessus d’un placard aux portes entrouvertes, une niche contient de fines carafes de verre. A gauche de la niche est suspendu un miroir richement encadré.
De cette pièce dépourvue de meubles, émane une impression de luxe et d’exotisme.
Composition
La composition est ponctuée par les obliques, les verticales et les courbes.
Les obliques
du rideau, du tapis, de la position semi-allongée de la femme, du geste de la servante qui se retourne;
Les verticales
du narguilé, des motifs sur les carreaux de faïence, des portes du placard, de la servante debout en mouvement.
Les courbes
des corps des femmes
L’assemblage des obliques , des verticales et des courbes rythme la composition.
Les courbes expriment la sensualité du tableau, elles participent à la grâce et à la souplesse des corps des trois femmes.
La composition s’étage en trois plans.
Au premier plan, la femme à gauche du tableau regarde les spectateur, au milieu sont posés le narguilé et les babouches.
A droite, la servante debout fait la liaison avec le second plan et ferme la droite du tableau.
Au second plan, deux femmes assises fument le narguilé et conversent.
L’arrière plan clos le tableau avec un décor de harem, murs peints, miroir, placard, niche contenant des carafes de verre.
Une faisceau de lumière provenant d’une ouverture en haut à gauche du tableau descend sur le sol. Il éclaire et fait briller les riches étoffes.
Seule la femme arborant une fleur dans sa chevelure a le visage éclairé, les deux autres ont leur visage soit partiellement éclairé soit, dans l’ombre.
La lumière souligne le bord du rideau, éclaire les rayures du tapis, fait briller les carafes dans la niche et , par ricochet, se reflète dans le miroir.
Les zones d’ombres mettent en valeur la carnation des chairs.
Ce jeu d’ombre et de lumière crée une atmosphère intimiste.
Delacroix juxtapose les couleurs complémentaires rouges ocrés et les tons bleutés afin de faire vibrer et réchauffer ses noirs.
Les couleurs restituent la variété des matières chatoyantes de l’Orient : tissus, soie, broderies dorées, tapis, objets en verre et cuivre, décors de faïence aux murs et au sol.
Les tonalités chaudes majoritaires renforcent l’aspect intime et sensuel de la scène.
La touche est parfois lisse, parfois épaisse et dense dans les blancs.
Delacroix joue sur les transparences en entrelaçant les teintes.
Analyse
Objet de curiosité et de fantasmes aux XVIIe et XVIIIe l’Orient alimente le rêve et inspire les écrivains et les artistes du XIXe
Au XIXe Delacroix ne s’assimile pas aux courants picturaux de son temps et préfère s’en remettre à son imagination.
il écrit dans son journal :
« devant la nature elle même, c’est notre imagination qui fait le tableau ».
Delacroix a une approche onirique de la peinture.
Il retient du Romantisme l’idée du sentiment qui est une occasion de s’ouvrir au monde du rêve. Le rêve constitue sa propre réalité.
Dans cette oeuvre Delacroix donne à voir trois jeunes femmes arabes se prélassant dans l’intérieur d’un harem. Les femmes sont belles et leur beauté se remarque, elles occupent le devant du tableau.
Selon Baudelaire, les femmes de la toile seraient malheureuses avant d’être belles : » elles cachent dans leurs yeux un secret douloureux ».
Quant au critique Paul de Saint-Victor, il ressent de « la mélancolie inexprimable » qui « s’exhale de cette chambre splendide et funèbre »du harem où se détendent les femmes d’Alger.
Le personnage féminin que Delacroix cherche à comprendre à découvrir à travers le filtre de ses propres rêves, conserve une part de mystère.
Delacroix donne de l’importance aux dimensions physiques et décoratives de la femme, au lieu d’habitation le harem et, relègue, à l’arrière plan, tout ce qui constitue son aspect invisible.
Si Delacroix pense avoir compris la femme orientale, cette compréhension relève de l’illusion.
Toute la peinture de Delacroix se définit dans le rapport entre l’imaginaire et le réel, entre l’observation du vrai et l’impulsion du visionnaire.
Conclusion
Cézanne écrit « ces roses pâles et ces coussins brodés, cette babouche, toute cette limpidité…vous entre dans l’œil comme un verre de vin dans le gosier, et on est tout de suite ivre ».
Renoir dit « il n’y a pas de plus beau tableau au monde ».
Pour Renoir cette oeuvre « sent la pastille du sérail ».
Delacroix peint un univers dont l’exotisme a une tonalité explicitement érotique. la sensualité de ses femmes, leurs attitudes, suggèrent une lascivité inconcevable en Occident.
En bousculant les conventions et le conformisme bourgeois, Delacroix provoque une véritable révolution du regard.
Au début du XXe, l’Orient cessa d’inspirer la peinture française malgré l’ouverture à Alger en 1907 de la villa Abd el Tif, l’équivalant algérien de la villa Médicis. L’indépendance de l’Algérie en 1962 et la fermeture de cette institution sonneront le glas du courant orientaliste.