Femmes d’Alger dans leur appartement -Delacroix 3

Eugène Delacroix (1798-1863)

Femmes d’Alger dans leur appartement

1864
Huile sur toile
Dim. 180 x 229 cm
Conservé au Louvre

 

Eugène Delacroix

1798 Delacroix nait à Charenton Saint Maurice
1806 Décès de son père
1814 Delacroix est orphelin à 16 ans
1819-20 Ses premiers travaux de peinture sont des décors de dessus de porte dans des hôtels particuliers de Paris
1819-1821 Ses premiers tableaux sont deux retables La Vierge des moissons pour l’église St. Eutrope d’Orcemont 1819 et La Vierge du sacré Coeur pour la cathédrale d’Ajaccio 1821
1822 Premier succès au Salon Officiel avec le tableau La Barque de Dante
1825 Voyage en Angleterre. Il se familiarise avec la technique de l’aquarelle et découvre le théâtre de Shakespeare. Delacroix trouvera des sujets dans le théâtre et les mêlera tout au long de sa carrière aux thèmes orientaux
1827 Delacroix présente la mort de Sardanapale unanimement rejeté par la critique.
1830 Delacroix écrit des articles de critique d’Art, dont un sur Raphaël et un autre sur Michel Ange.
1831 la Liberté guidant le peuple est présenté au salon
1832 Delacroix voyage en Andalousie, au Maroc et en Algérie
1840 Il participe à la décoration du palais du Luxembourg pendant 6 ans
1855 Trente six de ses œuvres sont exposées à l’exposition Universelle de Paris
1857 Après vingt ans d’attente il est élu à l’Institut
1863 Delacroix meurt à Paris d’une longue maladie

Contexte historique

En 1832 Delacroix voyage au Maroc et en Algérie. Il accompagne une délégation menée par le comte de Mornay et envoyée par Louis-Philippe auprès du sultan Moulay Abd el-Rahman. Ce sera son seul voyage en Afrique du nord. Il en rapportera des carnets de croquis et d’aquarelles qui lui serviront de modèles pour ses tableaux tout au long de sa carrière.
Avec ce voyage Delacroix s’est enrichi d’un nouveau répertoire esthétique.
Il préfère désormais l’exploitation des sources orientales aux sujets tirés de la mythologie.
A Alger, il visite le harem d’un corsaire turc. Il s’inspire de cette visite pour peindre Femmes d’Alger dans leur appartement et expose le tableau au salon de 1834.

Description

Trois femmes sont assises sur de luxueux tapis orientaux, dans une pièce close d’un harem algérois. Elles sont habillées de riches tuniques brodées de soie sur lesquelles brillent des bijoux précieux. Elles portent de sarouals qui découvrent leurs mollets et leurs pieds nus.
A gauche du tableau une femme s’appuie nonchalamment sur des coussins empilés et regarde le spectateur, deux autres femmes assises sont en conversation. Celle qui est la plus à droite du tableau, tient dans sa main l’embout d’un narguilé. A l’extrême droite du tableau, une servante noire sort du champ en tournant la tête vers ses maîtresses.
Les murs sont revêtus de carreaux de faïence ornés de motifs. Dans l’arrière plan, au dessus d’un placard aux portes entrouvertes, une niche contient de fines carafes de verre. A gauche de la niche est suspendu un miroir richement encadré.
De cette pièce dépourvue de meubles, émane une impression de luxe et d’exotisme.

Composition

La composition est ponctuée par les obliques, les verticales et les courbes.
Les obliques
du rideau, du tapis, de la position semi-allongée de la femme, du geste de la servante qui se retourne;
Les verticales
du narguilé, des motifs sur les carreaux de faïence, des portes du placard, de la servante debout en mouvement.
Les courbes
des corps des femmes
L’assemblage  des obliques , des verticales et des courbes rythme la composition.
Les courbes expriment la sensualité du tableau, elles participent à la grâce et à la souplesse des corps des trois femmes.

La composition s’étage en trois plans.
Au premier plan, la femme à gauche du tableau regarde les spectateur, au milieu sont posés le narguilé et les babouches.
A droite, la servante debout fait la liaison avec le second plan et ferme la droite du tableau.
Au second plan, deux femmes assises fument le narguilé et conversent.
L’arrière plan clos le tableau avec un décor de harem, murs peints, miroir, placard, niche contenant des carafes de verre.

Une faisceau de lumière provenant d’une ouverture en haut à gauche du tableau descend sur le sol. Il éclaire et fait briller les riches étoffes.
Seule la femme arborant une fleur dans sa chevelure a le visage éclairé, les deux autres ont leur visage soit partiellement éclairé soit, dans l’ombre.
La lumière souligne le bord du rideau, éclaire les rayures du tapis, fait briller les carafes dans la niche et , par ricochet, se reflète dans le miroir.
Les zones d’ombres mettent en valeur la carnation des chairs.
Ce jeu d’ombre et de lumière crée une atmosphère intimiste.

Delacroix juxtapose les couleurs complémentaires rouges ocrés et les tons bleutés afin de faire vibrer et réchauffer ses noirs.
Les couleurs restituent la variété des matières chatoyantes de l’Orient : tissus, soie, broderies dorées, tapis, objets en verre et cuivre, décors de faïence aux murs et au sol.
Les tonalités chaudes majoritaires renforcent l’aspect intime et sensuel de la scène.

La touche est parfois lisse, parfois épaisse et dense dans les blancs.
Delacroix joue sur les transparences en entrelaçant les teintes.

Analyse

Objet de curiosité et de fantasmes aux XVIIe et XVIIIe l’Orient alimente le rêve et inspire les écrivains et les artistes du XIXe

Au XIXe Delacroix ne s’assimile pas aux courants picturaux de son temps et préfère s’en remettre à son imagination.
il écrit dans son journal :
« devant la nature elle même, c’est notre imagination qui fait le tableau ».
Delacroix a une approche onirique de la peinture.
Il retient du Romantisme l’idée du sentiment qui est une occasion de s’ouvrir au monde du rêve. Le rêve constitue sa propre réalité.
Dans cette oeuvre Delacroix donne à voir trois jeunes femmes arabes se prélassant dans l’intérieur d’un harem. Les femmes sont belles et leur beauté se remarque, elles occupent le devant du tableau.
Selon Baudelaire, les femmes de la toile seraient malheureuses avant d’être belles :  » elles cachent dans leurs yeux un secret douloureux ».
Quant au critique Paul de Saint-Victor, il ressent de « la mélancolie inexprimable » qui « s’exhale de cette chambre splendide et funèbre »du harem où se détendent les femmes d’Alger.

Le personnage féminin que Delacroix cherche à comprendre à découvrir à travers le filtre de ses propres rêves, conserve une part de mystère.
Delacroix donne de l’importance aux dimensions physiques et décoratives de la femme, au lieu d’habitation le harem et, relègue, à l’arrière plan, tout ce qui constitue son aspect invisible.
Si Delacroix pense avoir compris la femme orientale, cette compréhension relève de l’illusion.

Toute la peinture de Delacroix se définit dans le rapport entre l’imaginaire et le réel, entre l’observation du vrai et l’impulsion du visionnaire.

Conclusion

Cézanne écrit « ces roses pâles et ces coussins brodés, cette babouche, toute cette limpidité…vous entre dans l’œil comme un verre de vin dans le gosier, et on est tout de suite ivre ».
Renoir dit « il n’y a pas de plus beau tableau au monde ».
Pour Renoir cette oeuvre « sent la pastille du sérail ».

Delacroix peint un univers dont l’exotisme a une tonalité explicitement érotique. la sensualité de ses femmes, leurs attitudes, suggèrent une lascivité inconcevable en Occident.

En bousculant les conventions et le conformisme bourgeois, Delacroix provoque une véritable révolution du regard.

Au début du XXe, l’Orient cessa d’inspirer la peinture française malgré l’ouverture à Alger en 1907 de la villa Abd el Tif, l’équivalant algérien de la villa Médicis. L’indépendance de l’Algérie en 1962 et la fermeture de cette institution sonneront le glas du courant orientaliste.