Le Bénédicité – CHARDIN

Jean-Siméon Chardin (1699-1779)

Le Bénédicité

1740
Huile sur toile
0,49 x 0,38 cm
Conservée au Louvre

Chardin consacrera sa vie à la peinture
1699 il naît  à Paris.
1724 il est reçu à l’académie de Saint Luc avec le titre de Maître
1728 il est admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture
Chardin ne fit pas le voyage à Rome
En 1730 Chardin se consacre à la peinture de la vie bourgeoise.
Exposé au salon de 1740 Le Bénédicité reçut un accueil si enthousiaste que le peintre l’offrit au Roi Louis XV avec son pendant La vie laborieuse
1750-1760 Chardin se consacre à nouveau aux natures mortes
1779 il meurt à Paris

Les premières natures mortes de Chardin révèlent un sens aigu de l’observation et une aptitude pour la composition, le détail et la matière.
L’ Académie avait décrété que l’art le plus noble était la représentation d’épisodes bibliques, mythologiques ou historiques, la peinture d’après nature n’exigeant que du savoir faire.
Chardin méprise ce précepte et bien que moqué par ses pairs il entre à lAcadémie dans le talent « des animaux et des fruits ».

Ses tableaux de genre correspondent aux goûts de l’époque, comme le confirment ses succès aux salons des années 1730-1740

 

Composition

C’est une composition harmonieuse et équilibrée.
Le tableau représente une scène familière de la vie quotidienne pleine de naturel et de vérité.
Une mère de famille debout, de profil, devant une table sert le déjeuner à ses enfants, elle est toute entière absorbée dans l’attention qu’elle porte à sa petite fille. La petite fille est assise bien droite sur un petit fauteuil, elle récite le bénédicité les mains jointes, le regard tourné vers sa mère. La grande sœur assise à table surveille la concentration de la fillette.

Chardin a choisi de représenter un instant suspendu.

Le cadre est un espace clos, l’attention est concentrée sur la scène.
Les objets, le tambourin, les ustensiles de cuisine, les fauteuils, la table sont des témoins muets qui composent avec les personnages un univers intime , avec des gestes arrêtés, dans un silence recueilli.
La légère plongée sur la scène en accentue l’intimité.
La composition est centrée sur une table autour de laquelle sont réunis les personnages.
Le fond est monochrome et dépouillé.
La lumière à la fois directe et diffuse dégage les différents plans du tableau aux couleurs douces et nuancées.
La lumière rayonne de la nappe aux personnages.
Les jeux d’ombres soulignent la scène : ombre des mains, ombre de la fourchette, ombre du mur.
Les personnages et les objets sont situés dans l’espace comme les natures mortes sur les entablements.
Les regards et les gestes se répondent.
On observe le jeu chromatique entre les blancs de la robe de la petite fille, de la nappe et du bonnet de le jeune mère, les bruns de la robe de la jeune mère, les tons clairs des peaux renforcés par les touches de bleu du tablier et le rouge du bonnet de la petite fille.
Le peintre place ses couleurs l’une après l’autre sans les mêler puis repasse sur le tout pour créer des accords avec de fines couches de tons bruns ou verdissants pour obtenir l’harmonie finale.
Cette gamme de couleurs unies est  riche en nuances, chaque couleur sert de miroir à une autre, atténuant ainsi les contrastes.
Pour la première fois dans la peinture de Chardin la matière est lisse et l’exécution très fine.

 

Analyse

Le Bénédicité de Chardin fait référence à une tradition chrétienne, la prière avant le repas.

Chardin reprend ce thème de la prière précédant le repas, traité par les maîtres hollandais du XVIIe et le réinterprète avec beaucoup de tendresse et de retenue. A l’opulence des demeures anversoises, Chardin préfère l’élégance discrète du décor simple d’intérieur bourgeois français.

L’oeuvre de Chardin témoigne de la tendance purement naturaliste qui coexiste avec la frivolité de Boucher en pleine période rococo.
A l’opposée de ses contemporains Watteau et Boucher qui peignent des personnages aristocratiques dans des scènes pastorales ou d’alcôve, Chardin peint des natures mortes d’objets quotidiens, des intérieurs domestiques et des habitudes journalières.
Ses figures d’enfants évoquent les figures immobiles de Vermeer.
Il fait revivre dans ses œuvres les modèles de la grande peinture hollandaise du XVIIe et la peinture française des Le Nain.

Le « siècle des lumières » accorde à l’enfance un intérêt nouveau dont Chardin comme J.J.Rousseau fut l’un des défenseurs

Chardin est un peintre attaché à la réalité et en même temps il cherche à comprendre le mystère des choses
Il peint un univers intime où l’absence de mouvement participe à la concentration recueillie.

Chardin n’observe pas de façon critique les mœurs de son temps
La scène n’est jamais galante, aucune anecdote, aucun sentiment dramatique; les regards se croisent dans un échange sans tension.
Le regard du peintre traduit l’amour, la bienveillance et son intérêt pour les relations  humaines.
Chardin : « on se sert des couleurs mais on peint avec le sentiment… »

Son style fait de retenue et de concentration est né de l’observation attentive et continue des choses de la vie.
Chardin « je prends du temps parce que je me suis fait une habitude de ne quitter mes ouvrages que lorsqu’à mes yeux, je n’y vois plus rien à désirer ».
IL est seul à prêter aux matières des objets un réel intérêt.
Il observe que les choses se reflètent les unes dans les autres et révolutionne l’art de la couleur.
Il utilise le flou et le net pour donner plus ou moins d’importance aux objets et construire l’espace.
Cézanne et les Impressionnistes s’inspireront de Chardin.
Diderot « On n’entend rien à cette magie ..c’est une vapeur qu’on souffle sur la toile…approchez vous tout se brouille…éloignez vous tout se crée.. »

A partir de 50 ans Chardin revient à la nature morte.
Ses oeuvres tardives sont plus douces avec un pinceau plus délicat.
La palette colorée et les matières de ses natures mortes (notamment 
le panier de fraises des bois
) influenceront Courbet Cézanne Monet Renoir et Van Gogh

Le Pierrot- Watteau

Pierrot

Antoine Watteau
1728-1719
Huile sur toile conservée au Louvre
Format monumental 184 x 149 cm

Antoine Watteau (1684-1721)
De culture flamande,
Il étudia la peinture d’Europe du nord (Rembrandt et Rubens).
Il s’établit à Paris en 1702 et travailla auprès du graveur décorateur de théâtre Claude Gillot qui l’initia à l’imagerie des fêtes galantes et des personnages de la Commedia dell’arte.
En 1717 il est reçu à L’Académie avec sa toile Pèlerinage à l’île de Cythère
Avec cette consécration, il crée un nouveau genre : les « fêtes galantes ».

Il a connu le succès de son vivant malgré une carrière brève (15 années).
Ses peintures les plus célèbres sont le Pierrot, le Pèlerinage  à l’île de Cythère
et L’enseigne de Gersaint

Il est l’un des créateurs du style rocaille.
Il a inspiré de nombreux peintres de son siècle dont Boucher et Fragonard.
Et c’est en tant que coloriste qu’il influencera les peintres des générations suivantes. Delacroix, puis  Seurat et les néo-impressionnistes reprirent sa technique de juxtaposition des couleurs sur la toile.

Ce tableau s’est d’abord  appelé « Gilles », le titre, plus proche du sujet est aujourd’hui le Pierrot.
C’est le seul tableau qui représente le personnage de Pierrot grandeur nature.
Ce serait le portrait de l’acteur Belloni.
Ce Pierrot songeur et poétique aurait servit d’enseigne au cabaret que
l’acteur avait ouvert en 1718.

Est-ce une commande ou un tableau ?

Composition

Ce tableau est unique par son format
Le cadrage est légèrement en contre-plongée
Le personnage de Pierrot occupe toute la hauteur du tableau et se détache sur le ciel, tandis que les personnages de la Comédie italienne qui l’accompagnent sont vus à mi-corps, derrière des feuillages.

On distingue ainsi quatre des compères habituels de Pierrot dans la Comédie italienne traditionnelle : le Carabin sur son âne, Léandre et Isabelle, les amoureux et le Capitaine.

Le décentrement du personnage principal considéré comme une audace pour l’époque, n’est pas la composition initiale du tableau.
Les experts du Louvre ont observé qu’en lumière rasante apparaissait  les traces d’un châssis au centre de la figure de Pierrot, ce qui permet d’affirmer que le tableau a été coupé dans le sens de la hauteur sur le côté gauche du tableau et, probablement, dans les sens de la largeur sur le bas du tableau.

Au premier plan,
Le Pierrot est représenté en pied,  il prend presque toute la hauteur de la toile, un pas de plus et il sortirait du cadre.
Sa coiffe, sa tête et sa collerette s’inscrivent dans un ovale.
Ce pourrait être un médaillon.
Le visage lunaire de Pierrot est entouré d’une calotte et d’un large chapeau qui lui dessine une auréole, aucun cheveu ne dépasse, le front est lisse et brille. les sourcils sont noirs allongés et bien marqués, le regard timide est orienté vers la gauche et le bas, le teint est rosi aux joues et au nez, les lèvres sont bien découpées et le cou suggère un embonpoint.
Le personnage est vêtu de sa traditionnelle collerette large et légère, elle recouvre la moitié des épaules et bouffe sur sa poitrine.
Il porte un costume blanc. La veste est boutonnée de haut en bas, elle a des manches boursouflées en plis épais au niveau des coudes et s’écarte sur les hanches suggérant un corps lourd. Le pantalon court dévoile les chevilles habillées de bas gris.
Il est chaussé de chaussons blancs gansés de rubans roses.
Pierrot est dans une attitude statique, les bras le long du corps.

Au second plan, en contre-bas,
Quatre personnes, une femme entourée de deux hommes à droite du tableau et un homme monté sur un âne à gauche du tableau. Ce sont les personnages de la commedia dell’arte : Isabelle entourée de Léandre et du Capitaine et le Carabin sur son âne.
Le premier à droite du tableau est en habit rouge vif, il porte un grand béret de la même couleur, c’est le Capitaine, fanfaron et couard.
La femme , Isabelle, a coiffé sa chevelure rousse en chignon souple, son profil met en évidence son double menton et ses paupières tombantes, c’est une femme du peuple, elle porte un fichu noué sur sa gorge, elle est grassouillette.
A sa droite, le larron Léandre, a la bouche ouverte et les yeux écarquillés, il porte une coiffe qui imite une crête de coq.
Le Capitaine et Isabelle ont les bustes penché parce qu’ils tirent sur une corde pour faire avancer l’âne.
Le quatrième personnage, à gauche du tableau portant un chapeau noir, une collerette bouffante et un habit noir est juché sur un âne, c’est le Carabin.

A droite du tableau, un pin parasol et une statue forment un arrière-plan.
La statue est coupée aux épaules, la figure représentée de profil révèle un nez camus, des yeux bridés, une oreille pointue, c’est une représentation du diable.Une figure pour un décor de théâtre.

Le jeu des regards anime la toile:
Le Pierrot regarde le spectateur.
Isabelle et le Capitaine regardent vers l’âne.
Léandre regarde le Carabin,le carabin regarde le spectateur et sourit avec malice. Une larme jaune coule de l’œil droit de l’âne qui nous regarde.

Le visage de Léandre, comme celui du Pierrot, a les traits peints d’après modèle, contrairement aux autres visages qui correspondent au style des personnages de la Commédia dell’arte qu’on retrouve de tableaux en tableaux.

Il y a deux sources de lumière.
Une lumière frontale qui éclaire le Pierrot faisant scintiller son habit blanc dans des tons irisés et une lumière diffuse venant de la gauche et du haut du tableau qui éclaire les second et arrière plans et met une partie du visage du Pierrot dans l’ombre.
Ce traitement de la lumière découpe le tableau en deux tableaux, deux sujets, celui du Pierrot et le reste de la scène.

La facilité de l’exécution picturale et ses couleurs vives participent  à la réussite du tableau.Watteau utilise le blanc de céruse  en abondance pour peindre son Pierrot.

Analyse

Serait- ce un  d’autoportrait présentant un « amuseur triste ».?
Il est difficile de savoir si ce Pierrot est un portrait peint d’après un modèle réel, ami de Watteau, célèbre comédien, ou bien s’il s’agit d’une allégorie dépersonnalisée.

La force dramatique de cette œuvre étrange provient du vide de l’action et de l’immobilité pesante du modèle.
Longue silhouette figée, Pierrot occupe tout l’espace, il porte un costume aux manches trop longues et au pantalon trop court. Il occupe le devant de la scène et fixe le spectateur. Présent et absent, seul, l’air mélancolique, Pierrot transmet une émotion indéfinissable.
Watteau dépeint l’âme humaine, le tableau est une transcription d’un sentiment beaucoup plus qu’une description. il en est ainsi pour toutes les scènes de genre qu’a peintes le peintre. Toutes les toiles de Watteau sont empreintes  de nostalgie et de mélancolie  

Le Pierrot révèle combien Watteau s’est éloigné par son style de la peinture rococo. Il poursuit avec cette toile sa recherche non pas d’une apparence humaine mais plus tôt d’une nature humaine.
Ce sera avec L’enseigne de Gersaint, une de ses dernière oeuvre qu’il alliera magistralement les deux.

Conclusion

Watteau exécute des scènes de genre, des tableaux mythologiques, des nus, des figures isolées et des portraits. Toutes ses œuvres offrent un répertoire iconographique et stylistique qui marqueront un tournant fondamental dans la peinture européenne.
Au XIXe les poètes, Gérard de Nerval, Verlaine, Baudelaire, admirent l’élégance, la mélancolie et l’émotion qui caractérisent l’oeuvre de Watteau.

Toute l’oeuvre de Watteau est placée sous le signe de la « théâtralité », le théâtre et le monde des masques en tant que détachement du monde réel.
Grand amateur de théâtre, Watteau connaît les règles du déguisement, de la fiction, des rapports formels : le monde  de la « Commedia dell’ arte » devient le théâtre  des ambiguïtés, d’un sentiment de l’éphémère . Ces personnages tiennent la réalité à distance et l’amour est dans l’air.
La présence énigmatique du clown, solitaire et incompris, hantait l’imagination de Watteau qui peut-être s’identifiait à lui.

Avec Watteau Gilles est un héros lumineux .

Au XIXe Gilles est devenu Pierrot amoureux déçu de Colombine, clown triste et blanc.