Untitled – 1962 – Robert Ryman

Robert Ryman (1930 -2019 )

Untitled 

1962

Huile sur toile de lin
Dim 176 x 176 cm

Conservé à New-York dans la Greenwich Collection 

 

 

Le peintre 

Quand Robert Ryman quitte le Tennessee pour New-York, en 1953, il se destinait à une carrière de saxophoniste. Il occupe un poste de gardien de salle au MoMA et à force de voir des œuvres, il commence à s’interroger sur elles, savoir comment la peinture se faisait concrètement.
Robert Ryman est autodidacte. Il n’a pas fait d’école d’art. Sa rencontre avec les expressionnistes abstraits le conduisit à s’essayer à la peinture.
De cette approche prosaïque est née l’une des aventures artistiques les plus radicales de la modernité. C’est Rothko qui lui a appris que les peintures doivent être traitées comme des entités physiques intégrales. C’est Rothko qui lui
« montre » que l’on peut ne pas finir un tableau, qu’il est possible de produire une intensité chromatique unifiée même si on ne rejoint pas les sacro-saintes limites topographiques du tableau.
Il s’orienta dès 1955 vers la monochromie, et fera du blanc sa couleur unique au milieu des années 1960.
Robert Ryman expose pour la première fois ses Standard Séries (des touches de peinture monochrome blanches sur des feuilles métalliques) à la Bianchini Gallery de New-York, en avril-mai 1967 : ce travail est le résultat d’une recherche antérieure de deux ans.

 

 

Le tableau 

« La question n’est pas quoi peindre mais comment le peindre. »
Le format carré et la couleur blanche auxquels se restreint Robert Ryman dirigent l’attention sur les nuances infinies des éléments constitutifs du processus pictural et de la perception de l’œuvre – texture, touche, surface, support, espace.

En 1962, Robert Ryman crée quatre tableaux où d’épais tortillons de peinture blanche, appliqués en gestes vifs, viennent recouvrir une sous-couche de couleur, ici le bleu et rouille, posés sur un support de lin.
Les coups de pinceau dynamiques créent des mouvements torsadés que l’artiste arrête près des bordures de la toile, laissant la teinte ocre du lin nu encadrer la composition, mais aussi y ajouter une quatrième couleur.

Cette  composition picturale offre d’infinies possibilités, le travail de la touche, l’épaisseur de la couleur, les variations de tonalités, le marquage du bord, la profusion de filaments blancs sous lesquels émergent des notes colorées.

Le blanc est pour Robert Ryman la condition à partir de laquelle il est possible de voir les autres aspects constitutifs du tableau, de les révéler plutôt que d’en détourner l’attention par l’emploi d’autres couleurs.

Le peintre évacue les formats traditionnels en histoire de l’art.
Robert Ryman choisit un format carré et le privilégie pour sa neutralité.

Robert Ryman réfléchi à tout ce qui procède de la visibilité de son tableau.
Ne pas gommer les propriétés pratiques de la peinture devient une manière de la faire exister.

Robert Ryman a découpé un carré de lin sur lequel il a posé des touches de blanc qui semblent aller dans tous les sens, ce n’est pas un monochrome.
C’est audacieux. C’est la vie de la peinture.

Robert Ryman : « L’utilisation du blanc dans mes peintures est venue quand j’ai réalisé que cela n’interfère pas. c’est une couleur neutre qui permet une clarification des nuances dans la peinture. Cela rend d’autres aspects de la peinture visibles qui ne seraient pas si clairs en utilisant d’autres couleurs. »

L’art est vivant, parce que Ryman le fait vivre.
Robert Ryman joue avec le lin, il passe des touches de peinture blanche en laissant des espaces qui montrent la toile, il passe une, deux, ou trois touches de peinture, créant un rythme propre, et ces rythmes sont décalés comme des notes sur une partition.

Fait-on un tableau comme on joue un morceau de musique. Le tableau a-t-il une vibration analogue à celle du son propagé dans l’espace.

En laissant trainer son regard sur le tableau, le regardeur croit entendre le rythme de douces variations de jazz.

La lumière est indispensable pour activer la réalité du tableau et percevoir ses nuances, reliefs des touches, fourmillement, fond coloré, à l’intérieur de son apparente homogénéité. La lumière accroche la matière, révèle ses reliefs.
Cette lumière est à la fois celle du tableau lui-même que l’usage du blanc permet de réfléchir et celle de l’éclairage du tableau.
Léclairage achève le tableau et en révèle la présence.

Dans son atelier Robert Ryman travaillait avec un éclairage artificiel, il savait comment ses peintures réagiraient une fois exposées à la lumière naturelle. Il aimait la douceur de la lumière de février et aimait exposer à cette époque de l’année chaque fois que c’était possible.

Robert Ryman a crée une œuvre sans cadre.
« Il invite le regardeur à se questionner sur les limites : où finit le tableau et où commence le  mur. » 

L’absence de sujet offre ici une portée méditative à la matière.
Ce tableau est une expérience subjective, active et sensible ;  regarder c’est ressentir, pas abstraire.

Comme chez Monet, Robert Ryman prouve qu’il peut peindre indéfiniment à partir des mêmes éléments sans jamais produire la même œuvre.

La forme carrée échappe à la classification de portrait ou de paysage, et la couleur blanche possède une expression neutre.

Une neutralité qu’il confirme en ne nommant pas ses œuvres.

 

 

Analyse 

Robert Ryman a toujours été, non ignorant mais réfractaire à l’art de son temps.
Ses monochromes manifestent d’abord une rupture avec l’expressionnisme régnant, même si la peinture de Mark Rothko l’a beaucoup influencé.
Cette volonté d’émancipation animait d’autres artistes dans les années 1960, notamment les plasticiens du Pop Art et de l’art minimal.
Si Robert Ryman rejetait l’imagerie du consumérisme qu’investissait le Pop Art, son lien au minimalisme était en revanche plus complexe.
La plupart des minimalistes, à l’instar de Donald Judd, reniaient l’illusionnisme de la peinture figurative et abstraite pour une forme sculpturale inscrite dans l’espace réel.
Ceux qui continuaient de peindre, comme Frank Stella, rejetaient la facture expansive de l’expressionnisme abstrait et privilégiaient de strictes formes géométriques.

Robert Ryman fait le choix de la peinture, mais l’importance qu’il donnait au rapport du tableau à son propre support, et au support mural auquel il s’accroche (il jouera sur la distance ou sa proximité au mur, et finira par rendre volontairement apparentes les attaches qui l’y fixent) le rapprocha du souci minimaliste d’une œuvre connectée à l’espace environnant et affirmée comme objet littéral.

Pour saisir le travail de Robert Ryman, il est essentiel de l’envisager dans sa continuité des enjeux picturaux du début du XXe, plutôt que dans son contexte contemporain.
L’abstraction moderne avait montré que la peinture pouvait avoir pour seul objet l’exploration formelle -couleur, geste, forme et composition- sans visée narrative ou représentative.

Délesté de tout contenu qui lui soit extérieur, le travail de Robert Ryman réduit à l’extrême les questions de couleur et de composition au profit  du processus et de la construction.

Paul Cezanne et Henri Matisse ont beaucoup impressionné et influencé Robert Ryman : Cezanne par l’architecture de l’espace pictural, Matisse par la facture, l’assurance du geste et le sens de l’immédiateté.

Robert Ryman s’intéresse à la peinture et à ce qu’elle est, à ce qui la compose et à ce qui se produit quand on modifie ses variables : le pinceau, le support, la taille, la matière, la couleur, il rend visible la matérialité de la peinture et la manière dont elle influe sur la présence du tableau.

Par ses coups de pinceaux sur le lin, son sens de la juxtaposition, de la composition du mixage des teintes Robert Ryman réalise un tableau stimulant pour le cerveau du regardeur. C’est la revanche de l’esprit sur la forme.

Ryman : « Le blanc a tendance à rendre les choses visibles. Avec le blanc, on ne voit pas seulement des nuances ; on voit plus que cela ».

Dans ce tableau le blanc est employé comme révélateur des différentes nuances au sein du tableau, des traits de pinceaux, de sa luminosité, et des différents éléments qui viennent structurer la composition.

Robert Ryman centre sa peinture sur l’objet et son rapport à l’espace.

Ryman : « Je m’intéresse à l’espace réel, à la pièce elle-même, à la lumière réelle et à la surface réelle ». 

L’artiste n’a jamais voulu être considéré comme un peintre abstrait, car il n’y avait aucun processus d’abstraction dans la réalisation de ses tableaux, aucune purification progressive de la représentation ou de la figuration. 

Robert Ryman tente d’établir un nouveau rapport entre le tableau et le regardeur.
Tous les filaments blancs de ce tableau sont conducteurs d’expressivité.

 

 

Conclusion 

Robert Ryman s’est affirmé comme l’un des peintres américains les plus importants de sa génération.
Il explore inlassablement le  blanc dans ses tableaux, cette recherche, il la développe à travers une multitude de médias, de supports, d’outils, de factures, de mode de représentation de ses travaux d’où l’extrême diversité de son œuvre. Il se concentre sur les spécificités propres de son médium, interrogeant la surface de l’œuvre, ses limites, l’espace dans lequel elle s’intègre, la lumière avec laquelle elle joue.

L’œuvre de Robert Ryman est riche d’inventivité en interrogeant le rapport à la matière, à l’espace comme à la musicalité.

Robert Ryman a consacré l’essentiel de son travail artistique à analyser les fondements de la peinture.

Comprendre comment fonctionne la peinture et ce qui s’opère quand on en modifie les paramètres matériels.

Chaque œuvre est différente et requiert de la part du regardeur un oeil actif.
L’œuvre de Ryman est un gisement de recherches, de nuances et d’inventivité.
Ses supports aussi variés que le Plexiglas, l’aluminium, le lin et le papier, résument la plasticité de sa démarche.

Robert Ryman récuse, pour ce qui le concerne, la notion de monochromie.
Robert Ryman en 1971 :
« Je ne me considère pas comme quelqu’un qui fait des tableaux blancs. Je fais des tableau : je suis un peintre.
La peinture blanche est mon moyen d’expression »

 

 

 

Sources :

Revue BeauxArts, article de Stéphane Lambert -2024
Article de Claire Bernardi, directrice du musée de l’Orangerie à propos de l’exposition du 6 mars au 1er juillet 2024 : Robert Ryman- Le regard en acte.
Article d’André Lambotte : De la contrainte librement consentie dans la peinture contemporaine –2004
Article de Léon Mychkine -2019 : Tentative de Ryman et sémantique de l’art contemporain

The bed – 1955 – Robert Rauschenberg

Robert Rauschenberg (1925-2008)

The bed 

1955

Huile, crayon et technique mixte sur oreiller, édredon et draps fixés sur bois
Dim 191,1 x 80 x 20,3 cm 

Conservé au MoMA à New-York 

 

 

Le peintre 

Robert Rauschenberg grandit à Port Arthur, au Texas, sans voir une œuvre d’art
« en vrai » jusqu’à la visite d’un musée pendant son service dans la marine.
L’expérience fut une révélation et il entama ensuite des études d’arts plastiques au Kansas, à Paris à l’institut Julian, puis au Black Mountain College en Caroline du Nord. Il y suivit les cours de Josef Albers « professeur merveilleux et individu impossible » dont l’insistance sur l’importance de « l’éducation de la conscience » et d’un « sens visuel personnel » marquera le jeune Rauschenberg et son approche des matériaux.
C’est son déménagement à New-York dans les années 1950 qui  propulsa Robert Rauschenberg au premier plan de la scène artistique.
À New-York Rauschenberg se retrouva entouré d’artistes partageant les mêmes idées.  La rencontre avec le compositeur John Cage et le chorégraphe Merce Cunningham fut déterminante pour Rauschenberg et donna lieu à d’intenses collaborations autour d’intérêts -le théâtre, la danse, l’improvisation, le rôle essentiel du hasard -et d’objectifs communs : supprimer les barrières entre formes artistiques et entre acteurs et regardeurs ; affirmer la pertinence d’un art résolument non narratif , libre, pluriel et polymorphe.
Sa relation avec Jasper Johns eut une importance majeure dans la vie et la carrière du plasticien, malgré des approches et des caractères opposés ;  à la réserve introspective de Johns répondait l’exubérance de Rauschenberg et son envie d’ouvrir son art au monde.
À partir de 1959, Rauschenberg fait de plus en plus pénétrer la technologie dans ses Combine painting.

 

 

Le tableau 

L’utilisation de matériaux recyclés dans The Bed a précédé une attention croissante à la durabilité et à la conscience environnementale dans les pratiques artistiques.
L’approche innovante de Rauschenberg a repoussé les limites de l’art lui-même, brouillant la distinction entre la peinture et la sculpture tout en intégrant des éléments dans son tableau.

Il a été dit que le linge de lit utilisé dans ce célèbre Combine était celui de l’artiste.
L’édredon était un cadeau de l’artiste Dorothea Rockburne.

Le lit, avec ses draps, ses oreillers en désordre et son édredon patchwork, émet une aura d’intimité.

Ce lit est surpeint et élevé à la verticale du mur.

Entre l’art et la vie, les objets s’introduisent dans la peinture et abattent les barrières qui séparent les Beaux-Arts de la rue.
Parmi ces œuvres d’un nouveau genre, The Bed est peut-être le tableau qui a le plus choqué et suscité l’incompréhension.

Ce tableau constitue un tournant dans l’histoire de l’art.

 

 

Analyse 

En 1953, Robert Rauschenberg persuade Willem De Kooning de lui confier un dessin dans le but avoué de l’effacer. Provocation ou réflexion sur la nature de l’art et ses limites.
Il lui a fallu un mois et 40 gommes pour créer ce Dessin effacé de De Kooning, page blanche où survivent quelques traces de l’œuvre initiale.
Peu après ce geste d’hommage et d’oblitération, l’artiste inventa le Combine, mêlant peinture et sculpture dans une hybridité révolutionnaire.

À contre-courant de la subjectivité de l’expressionnisme abstrait, centrée sur l’émotion et vidée de tout objet, Rauschenberg, invente une forme nouvelle conjuguant les techniques et les matériaux, et fait de la surface picturale un espace éminemment physique à trois dimensions. Réintégrant des images concrètes dans la peinture d’avant-garde, sans retour à la narration ou à l’illusion, il produit des œuvres plurivoques qui engagent le regardeur dans un processus ouvert de dialogue et d’exploration.

« La peinture est liée à la fois à l’art et à la vie » a-t-il dit. « Ni l’un ni l’autre ne peuvent être fabriqués; j’essaie de travailler dans l’intervalle qui les sépare ».

Creusant le sillon du collage, Rauschenberg incorpore rapidement divers matériaux et objets trouvés au hasard de son environnement dans des assemblages riches de sens mais rétifs à tout « décryptage » ou à toute interprétation littérale.
Rauschenberg refuse toute hiérarchisation des matériaux, affirmant « qu’une paire de chaussettes n’est pas moins indiquée pour faire un tableau que le bois, les clous…l’huile sur la toile ».

Ses Combines font entrer dans leur composition des éléments aussi divers que des animaux empaillés, des pneus, des chaises, mais aussi des photographies, des coupures de journaux et des bouts de vêtements. Cette volonté de non-discrimination vaut également pour le choix des thèmes : « il n’y a pas de sujet médiocre ».

L’art de Rauschenberg a fait vaciller tous les acquis en peinture.

« Je pense à Bed comme à une des images les plus tendres que j’ai jamais peintes. Ma crainte a toujours été que quelqu’un veuille s’y glisser » a pour sa part déclarer Rauschenberg.

L’art a le potentiel de provoquer la contemplation, d’évoquer des émotions et de transcender les expériences quotidiennes.
Ce tableau est intriguant et remet en question les notions conventionnelles de l’art et encourage le regardeur à reconsidérer les limites de la créativité.

The Bed est un témoignage de l’imagination de Rauschenberg et de sa volonté de défier les normes. Si à première vue il s’agit d’un lit dressé verticalement sur un mur; le tableau révèle être une composition assemblée d’objets trouvés et surfaces peintes.

Rauschenberg a transformé ce lit  en une œuvre d’art captivante en l’infusant de couches de significations et de symbolisme.

Les draps et les oreillers ornés de coups de pinceau et de motifs abstraits brouillent les frontières entre la peinture et la sculpture.
Ils invitent le regardeur à reconsidérer sa notion d’expression artistique.

Le lit est le fruit d’une interaction entre les matériaux et, entre l’espace du tableau et le regardeur. Ce lit provoque le réel, viole les limites qui séparent l’art d’une certaine forme de réalité, ce que Rauschenberg appelle la vie.
Ce lit perd son signifié et sa fonction pour prendre « sens ».

The Bed est une exploration réfléchie de la connexion entre l’art et la vie.

Chez Rauschenberg effort et tension œuvrent à la réunion de l’art et de la vie.
Il y a l’acte de peindre qui se situe entre l’art et la vie, et qui aspire à la production d’une œuvre d’art.
La vie est. La vie s’écoule avec la force invincible de l’eau.  Le tableau est non pas ce qui a été désiré par Rauschenberg mais, ce quelque chose qui , par l’entremise de l’artiste, a eu lieu.
L’acte de peindre met en rapport l’art et la vie, les réunit.

Rauschenberg par l’entremise de son geste crée l’espace intermédiaire, un lieu qui se définit par la mise en contact de l’art et de la vie.
Par son intervention, l’artiste fait qu’en ce lieu, s’opère une relation, une intersection de ces deux sphères, l’art et la vie, le tableau et le regardeur.
Le peintre questionne la pragmatique du tableau en provoquant le regardeur dans son propre lieu.

The Bed participe à la fois de la vie et de l’art, rend incertaine la frontière entre le lieu de l’art et l’espace quotidien, et du même mouvement remet en cause la frontière qui tient l’œuvre à distance du regardeur – et le regardeur à l’écart du tableau.

Le tableau est mis en condition de fonctionner comme l’articulation d’un espace sur l’autre. : à l’autre bout de la chaîne, cela signifie, que le regardeur est mis en relation avec ce lieu-de-l’art, parce que le tableau est constitué de telle manière que son espace s’y trouve engagé, investi, impliqué.
Le regardeur doit-il toucher Bed, s’y glisser, s’y envelopper

Rauschenberg met l’art en scène ou, plus précisément, met l’art en espace, il a recours à cette forme théâtrale de l’art.
Rauschenberg situe son objet usuel, le lit dans un contexte qui lui donne potentiellement un sens différent, qui semble miner la lecture quotidienne que le regardeur en fait.

Le point de vue sur le lit de Rauschenberg est décalé, excentrique, il détruit la perspective « légitime ». Il introduit la vision droite. 

Rauschenberg traduit, retourne et détourne le lit.
Il colle, assemble. Et constitue son point de vue propre, un espace à double fond, point d’intersection de lectures différentes. L’ambiguïté du lit est l’indice qu’il y a, sous son apparence, la construction volontaire d’un espace aux multiples interprétations.

Le fait de décontextualiser et recontextualiser est reçu comme une volonté, l’objet se transforme en signal, le signal qu’une critique est adressée au public.

Les interprétation de The Bed furent multiples : 

Autoportrait, métaphore de l’intimité, image sensuelle d’auto-érotisme, représentation des relations, des rêves, du sommeil, ou d’une scène de crime sanglante symbolisant le viol.

En intégrant un lit dans le domaine de l’art, Rauschenberg aborde des questions concernant les inégalités sociales et la nature fragile de l’existence humaine.
Cet art ne fournit pas de réponse, mais il pose des questions que le regardeur ne peut éluder. Il rend visible la complexité du réel.

Rauschenberg joue sur les images et les signes tout comme d’autres artistes jouent sur les mots.

L’artiste invite le regardeur à confronter ses idées sur la beauté et la signification.

L’utilisation des objets par Rauschenberg et son approche innovante des matériaux ont anticipé l’émergence des mouvements d’assemblage et d’art conceptuel.

Chaque élément a été soigneusement peint pour atteindre l’effet désiré, mettant en valeur l’attention du peintre aux détails.
En introduisant un lit dans un tableau, Rauschenberg a repoussé les limites de l’expression.
C’est la surface peinte qui s’affiche et en aucun  cas, un volume. Même si le tableau acquiert une tridimensionnalité.

Rauschenberg réussit un coup de force incroyable à sommer le lit peint de figurer debout contre  un mur.
Ce geste génère quelque chose d’inaugural qui consiste moins à transgresser un interdit qu’à réaliser un impossible en peinture, inimaginable et encore inimaginé.

Rauschenberg donne corps a son tableau en le faisant passer par cet état inadapté.

Ce tableau retient l’attention du regardeur et se donne à voir comme surface peinte plus qu’il ne s’appréhende comme objet.

Rauschenberg désublime la peinture avec ce lit debout.
C’est au moment où le lit est à la verticale du mur qu’il devient une œuvre d’art.

Rauschenberg procède par collage et hybridation du matériau, il dépictualise l’art. Le tableau tend à toujours plus de réalisme, en tant que surface sans profondeur dont il maintient la présence, en tant que lit qu’il est obligé d’assumer à cette place.

Rauschenberg pose un intervalle entre lui et le lit. Il injecte dans le lit sa présence figurale.

Le regardeur comprend ce qui fait mystère, ce qui fait exister le lit.
Le regardeur déplace le lit vers un espace poétique, un espace d’hésitation, l’espace de la pensée qui tâtonne.

Il y a un décalage qui s’opère avec  le design du lit. 

Le tableau rappelle au regardeur sa condition d’être.  Il  faut, comme Pascal, écouter son cœur et envisager le monde comme un intervalle érotique.

Ce lit est un Combine painting.

Rauschenberg a fait passé l’art des temps immémoriaux où il y avait « des images dans le monde » à l’aujourd’hui « d’un monde dans les images ».

 

 

Conclusion 

Son approche innovante des matériaux reste une source d’inspiration pour les artistes cherchant des moyens de se connecter avec leur environnement.

L’héritage de Rauschenberg continue de motiver les artistes et les amateurs d’art, incitant  le regardeur à explorer de nouveaux territoires et à redéfinir les limites de la créativité.

 

 

Sources :
Singulart magazine -2024
Figure de l’Art, article de Bertrand Rougé : Le Pop Art et l’entr’acte – 1997-98