Au Lit -Édouard Vuillard

Édouard Vuillard (1868-1940)

 

 Au Lit

 1891
Huile sur toile
Dim : 74 x 92 cm

Conservé au musée d’Orsay
Édouard Vuillard se forma à l’école des Beaux-Arts et à l’Académie Julian où, autour de Paul Sérusier, se constituait le groupe des Nabis, au sein duquel Vuillard fut proche de Bonnard. Comme Vallotton, Vuillard privilégie les scènes de la vie quotidienne, et peint des scènes d’intérieur.

 

Sujet

C’est une scène d’intérieur à l’intimité silencieuse.

Le peintre a représenté dans l’espace clos d’une chambre, une jeune-fille endormie dans un lit, le corps entièrement dissimulé sous les couvertures.

 

Composition

Le tableau est composé d’un réseau de lignes horizontales, courbes et verticales.

Trois bandes horizontales mettent en scène le lit qui occupe pratiquement tout l’espace du tableau. De la plus claire à la plus foncée :
Au-dessus de la ligne du lit une première bande vert-amande occupe le haut du tableau, la deuxième bande grise descend jusqu’au lit, la troisième, au sol, est ocre mélangé à de la terre d’ombre.

Le lit, comme un paysage, est doucement vallonné avec, au pied du lit, les formes dessinées par les genoux repliés de la dormeuse auxquelles répondent, à la tête du lit, les enroulements des coussins.

Ces lignes induisent le rythme de la composition, elles sont douces.

Une verticale à l’aplomb du visage de la dormeuse, nette, précise, que sa couleur terre- brulée met en valeur -certains se sont demandé la signification de ce T. Il s’agit, sans doute, d’un crucifix dont la partie supérieure est masquée (comme la signature du peintre) par la bande verte.

Le lit est cadré très serré. Le spectateur n’a pas de recul.
Il est tout près de la dormeuse.

Le sens du raccourci expressif et la disparition de la perspective traditionnelle sont hérités des estampes japonaises.

L’impression de profondeur est donnée par les tons neutres qui génèrent une sensation de silence et de repos.

La gamme de couleurs est restreinte du gris du vert et des ocres.
Suivant l’exemple de Gauguin, les couleurs sont posées en larges aplats cernés.

On remarque de discrètes lignes d’ombre mais, il n’y a pas réellement de lumière autre que celle apportée par la couleur.

Avec la planéité de la forme, Vuillard recherche une expressivité formelle de son tableau.

L’ensemble des lignes du lit exprime l’enfoncement dans le sommeil.

Les formes sont simplifiées, synthétiques, elles répondent à l’expression subjective de Vuillard.

 

Analyse

Dans son journal Vuillard écrit :
« Le mot harmonie veut dire science, connaissance des rapports et des couleurs ».

Vuillard cherche la musique de ce moment.

Il veut exprimer le bonheur, extraire une forme de sensibilité.
Un rythme vibratoire, musical, s’échappe de la composition portée par la matière douce et chaude et servie par des couleurs calmes et neutres.

Vuillard s’emploie à restituer l’intemporalité.

Il abandonne les détails superflus pour atteindre une certaine forme d’abstraction.
Sa vision crée une atmosphère mystérieuse.

On entre dans l’espace et le temps du tableau.
L’œil se meut de façon aléatoire dans la chambre où prime la forme.
On observe l’harmonie des lignes voluptueuses, des horizontales apaisantes. Il n’y a ni perspective ni modelé. Les couleurs ocre, vert, gris sont en symbiose avec le sommeil.

Minimalisme et élégance ont guidé le pinceau de Vuillard.

Le spectateur entre dans un temps silencieux.

La composition orchestre la partition et restitue l’harmonie de la scène, nulle anecdote n’en parasite l’harmonie sensuelle et muette.

Le tableau respire.
C’est enthousiasmant.

Vuillard a réussi un chef d’œuvre d’émotion

 

Conclusion

Au Lit révèle Vuillard le peintre autant que l’homme, conjuguant sa tendresse et ses obsessions (crucifix).

En cette fin du XIXe, Vuillard nourri des classiques : Vermeer, Watteau, Chardin, des artistes allemands du XVIIe et influencé par Degas et l’art japonais, s’oriente vers la peinture décorative et vers un art intimiste qu’il puise dans la vie quotidienne.

L’influence des Nabis est déterminante pour le peintre.
Il applique leurs préceptes :
Au premier plan, la forme
Au deuxième plan, le sujet

Vuillard est l’artiste qui correspond le mieux à la définition de Maurice Denis : « Se rappeler qu’un tableau avant d’être une quelconque anecdote est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».

Au moment où éclatent les premières révolutions artistiques du XXe, Vuillard retourne à sa vocation de peintre de la réalité, sa contribution à l’histoire des formes est terminée.

Après 1900 Vuillard assimile pleinement les leçons de l’Impressionnisme, celles de Monet et celles de Renoir. Il poursuit sa recherche du réel et peint des gens de théâtre, des gens du monde, son atelier, sa mère. André Gide l’oppose à Matisse avec son « constant besoin d’harmonie ».

Vuillard est étranger à l’art de son temps.

Le peintre est à contre-courant de toutes les révolutions artistiques.

Il oppose son réalisme au mouvement abstrait, sa pudeur à l’expressionisme, son respect de la tradition au cubisme, au dadaïsme et au surréalisme.