Apothéose d’ Homère -1827 Ingres

Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867)

 

Apothéose d’Homère

1827

Huile sur toile

Dim 386 x 512 cm

Conservé au musée du Louvre à Paris


Le peintre

Ingres est le fils d’un miniaturiste, à 11 ans il est admis à l’Académie Royale  de Toulouse.
En 1795, il a un 1er prix de composition.
En 1796, il a un Grand prix et entre dans l’atelier de Jacques-Louis David, le plus grand peintre néoclassique de l’époque.
En 1801, il remporte le prix du Torse et obtient le prix de Rome.
En 1806, il rejoint la villa Médicis. Ingres admire Raphaël. Il travaille à son thème préféré, le nu féminin. Il réalise aussi des peintures d’histoire sur des thèmes mythologiques.
A la fin de sa résidence artistique il choisit de rester à Rome où ils se marie.
De 1835 à 1841 il occupe la fonction de directeur de la villa Médicis.

Le style d’Ingres, jugé trop maniériste en France ne plaît pas aux collectionneurs.
Sa Grande Odalisque est jugée sévèrement, ses contemporains lui reprochent de ne pas savoir traiter correctement l’anatomie.
Dans les années 1850, Ingres est un portraitiste prolifique. Ses portraits représentent la haute société du Second Empire qu’il tend à idéaliser en accentuant la préciosité des costumes, la noblesse des postures et l’intensité des regards.


Le tableau

Ce tableau est une commande à Ingres pour décorer un plafond du « musée Charles X » au Louvre.
Cet espace correspond aux actuelles salles égyptiennes.

A partir de 1826, l’architecte Fontaine aménage au premier étage de l’aile sud de la cour carrée neuf salles, inaugurées en 1827 par Charles X.

Pour orner ces salles des plafonds furent commandés aux meilleurs artistes de l’époque. Les sujets représentés s’inspiraient des collections qui étaient exposées. Les plafonds peints des quatre premières salles évoquent Homère, Pompéi, Herculanum. Ceux des quatre salles suivantes illustrent l’Égypte, l’architecture renaissance de Rome et rendent hommage à Charles X.

Le tableau représente Homère déifié recevant l’hommage des grands hommes de l’antiquité et des temps modernes.

Cette composition aux nombreux personnages est déposée en 1855.

 

Composition

C’est une composition classique, symétrique et pyramidale.
Ingres s’est inspiré des fresques 1510-11, réalisées par Raphaël pour les appartements pontificaux du Vatican qui représentent l’école d’Athènes et le Parnasse.

Homère domine la scène assis sur un trône en bois, placé sur le palier d’une volée de marches. Il tient un bâton à la main. Il est vêtu d’une toge qui a glissé de son épaule, découvrant son buste de vieillard. Il porte une barbe et se tient très droit, le regard au loin, droit devant lui.

Derrière lui s’élève un temple d’architecture classique.
Devant lui, sur les marches, se rassemblent des personnages historiques, des auteurs, des artistes, des penseurs.

Ornant à l’origine un plafond cette œuvre figure un Homère déifié recevant les hommages de 42 figures de l’Antiquité et de l’époque moderne.

Homère est au sommet d’un triangle équilatéral, dans l’axe de symétrie.
Le fronton de la façade du temple reprend la même figure géométrique du triangle.
Cette composition est d’une grande rigueur.
Chaque personnage représenté de part et d’autre d’Homère a son correspondant qui lui fait face, seule la Victoire brise cette symétrie apportant du rythme à la composition.

Les drapés sont d’un dessin classique, les personnages ont des attitudes figées.

La lumière est douce et égale. Elle entre dans la toile par la gauche et diffuse ses rayons sur les figures, éclairant les peaux et sculptant les robes.

Un ciel gris au fond du tableau rempli l’espace laissé par les personnages et l’architecture. Sur la gauche du tableau, une bande de lumière s’insère entre le ciel et l’architecture.

La Victoire ailée, personnifiée et vêtue de rose, ceint le front d’Homère d ’une couronne de laurier. Sa robe est la seule de couleur claire, ses gestes sont souples, tout en rondeur contrairement aux autres figures très raides. Sa présence apporte de la vie à la représentation.

Assis sur les marches aux pieds d’Homère, deux personnages issus des textes inspirateurs de l’Apothéose, un personnage de l’Illiade dotée d’une épée -en référence à la guerre de Troie et un autre de l’Odyssée muni de la rame d’Ulysse -évoquant son éprouvant voyage.

A la droite d’Homère aux côtés d’Eschyle qui déroule un parchemin, Apelle, peintre le plus célèbre de l’Antiquité et peintre à la cour d’Alexandre le Grand tient ses pinceaux.
Entre eux, se glisse Euripide, identifié grâce à son poignard symbolisant la tragédie.
Au-dessus d’Eschyle, l’homme à la capuche est Hérodote qui recharge l’encensoir.
Derrière Apelle, se tient Raphaël en toge sombre et plastron blanc.
A la droite de Raphaël, Virgile introduit Dante en manteau rouge.

En face, à la gauche d’Homère, Pindare lève son luth, signifiant l’importance de la poésie chantée, à ses côtés Phidias,  sculpteur renommé d’Athènes tient ses maillets à bout de bras. Derrière Phidias, à l’extrême droite, Alexandre le Grand tient un coffret qui contient les manuscrits d’Homère -évocation des lectures de jeunesse d’Alexandre.

Tous ces personnages sont représentés en pied.

Sur les derniers degrés, au bas de la toile, Ingres a figuré les artistes et auteurs contemporains, eux sont représentés à mi-corps :

A gauche du tableau, Nicolas Poussin, à la gauche duquel se tient Pierre Corneille, derrière lui Shakespeare porte une barbe.
A droite du tableau Molière présente un masque symbolisant l’art de la scène, à sa droite, Racine, vêtu de bleu, montre un feuillet sur lequel sont inscrits les titres de ses œuvres.

Gravé en grec sur les marches, un texte : « Si Homère est un Dieu qu’il soit vénéré parmi les immortels / et s’il n’est pas un Dieu, qu’il soit tout de même dans les esprits ».

La frontalité, la symétrie, l’harmonie régulière des formes, les gestes interrompus caractérisent cette composition très rigide.

 

Analyse


I- Le néoclassicisme en France

Pendant toute la période néoclassique, comme au cours des années de la Révolution puis de l’ère napoléonienne, Paris fut le centre européen des arts.
Bouleversant l’ordre établi, la Révolution (1879-1799) tente d’instaurer une nouvelle société fondée sur l’égalité et la liberté.
Une nouvelle philosophie est définie à partir des leçons morales de l’Antiquité. ; de la même manière, les peintres les plus éminents se servent de l’iconographie antique pour représenter la vertu et la moralité.
L’académisme va pérenniser la rigueur néoclassique.

Jacques-Louis David, le plus grand représentant de la peinture néoclassique, met son art au service de Napoléon et de sa propagande.

D’autres peintres, notamment Jean-Auguste-Dominique Ingres, sont également employés par le souverain pour réaliser des scènes idéalisées glorifiant l’héroïsme et la vertu et témoignant de l’ascension de l’empereur et de sa femme Joséphine.


II- Dans ce tableau Ingres glorifie le modèle classique

Ingres s’inscrit dans la chaine des temps en suivant l’exemple des grands maîtres. Il aspire à être le meilleur représentant du classicisme.

Ingres a réalisé pour cette toile plus de 200 études préparatoires cherchant à atteindre la pureté formelle.

Le peintre, à la fois, respecte les règles universelles de l’art, l’Harmonie et la Raison et innove avec sa conception non historique du temps.

D’abord dans son décor, la représentation des colonnades antiques du Panthéon est perçue comme ce qu’il y a de plus beau en architecture.
Puis avec ses personnages, Ingres met en avant l’art de l’Antiquité et du présent.

Ingres s‘inspire directement des fresques de Raphaël avec l’unité du schéma géométrique et la distribution régulière des personnages.


III- Une représentation académique démodée

La toile d’Ingres est un exemple type de programme très rependu au XIXe dans les musées, les bibliothèques et les académies.
Ces lieux de mémoire, comme le Louvre, font l’éloge et la perpétuation des traditions nationales. Ce sont des creusets pour les artistes modernes.
Ces lieux s’appuient sur le langage allégorique pour promulguer des idées d’harmonie et de savoir universel.

La rigidité de ce tableau est rébarbative aujourd’hui.
Sa conception et son exécution répondent aux dictats du classicisme.

Ingres tentait de définir l’art suprême, à la recherche du style juste. Son intention était de promouvoir un monde meilleur à travers l’art.

Si le tableau fut admiré à sa première représentation il devient très vite l’exemple du classicisme sans intérêt et démodé de l’Académie.

L’allégorie de la Victoire couronnant le poète Homère nous dérange, cette pureté formelle ne correspond plus à nos goûts.

D’Ingres nous préférons  son travail sur la ligne,  ses odalisques du Bain turc -1852-59 et sa Grande Odalisque -1814
Ce peintre habile dessinateur et adepte de la ligne pure nous séduits avec ses œuvres maniéristes, ses figures fantasmées de harem qui représentent la beauté féminine des femmes occidentales dans un décor oriental.

Ce  style-là, inspira de nombreux artistes dont Henri Matisse, Auguste Renoir, Pablo Picasso et Man Ray.

 

Conclusion

A la fin du XVIIIe et au début du XIXe le néoclassicisme devint plus austère et évolua vers davantage de pureté, influencé par l’art antique grec et romain.

Quand Delaroche (1797-1856) reçoit la commande d’une grande fresque pour l’hémicycle de l’École des Beaux-Arts en 1842, il suit le schéma de la composition d’Ingres et représente les plus grands artistes : Apelle, Phidias et Raphaël.

Si les artistes conservèrent leur indépendance, comme Pierre Paul Prud’hon, dont la grâce et l’élégance évoquent davantage le règne de louis XVI que la Révolution, la tendance artistique majoritaire était plutôt au nationalisme politique et l’austérité esthétique.

Sous l’empire l’art est au service de la politique.

Le passage du classicisme à la modernité se fera progressivement. Le système académique perdra de sa primeur, la hiérarchie des genres tendra à disparaitre.

Ingres décède à Paris, couvert de tous les honneurs.
Il a légué une partie de son œuvre -dont des milliers de dessins, au musée de Montauban, sa ville natale.