Juan Oliver (XIVe)
Cycle de la passion
Vers 1335
Fresque
Dim 6,15 x 3,76 m
Conservé au Musée de Navarre à Pampelune
Le peintre
Sans doute formé en Angleterre, puis à Avignon, Juan Oliver a travaillé à ce retable mural destiné au réfectoire de la cathédrale de Pampelune.
Juan Oliver est mentionné dans une note de paiement datée de 1332 comme
« peintre de Pampelune ».
Il s’agit probablement du même Juan Oliver, peut-être d’origine anglaise, dont les archives de la Curie papale attestent qu’il travailla à Avignon entre 1316 et 1321 sous le règne du pape Jean XXII, en collaboration avec le Toulousain Pierre du Puy à la décoration du palais pontifical.
La fresque
Si l’on parle souvent de gothique linéaire à cause de ses contours et de ses lignes marqués, il doit beaucoup au gothique français et anglais.
Les scènes de la Passion et de la Résurrection du Christ sont encadrées par des prophètes.
En bas figurent les armoiries des mécènes royaux et nobles de l’œuvre.
Ce panneau est divisé en quatre registres verticaux.
Au sommet de la fresque, le registre supérieur est à son tour partagé en deux cadres, recevant l’un et l’autre une scène de la Passion du Christ.
À gauche, la flagellation, à droite, le Christ porte la croix sur le chemin du calvaire.
Au-dessous et occupant le centre de la fresque : la Crucifixion.
Le regardeur voit : L’éponge gorgée de vinaigre, la lance perçant le côté du supplicié, la crucifixion des deux larrons, les lamentations de la Vierge et de jean, les moqueries des juifs, la foi du centurion…
Dans le troisième registre, deux nouvelles scènes se partagent la largeur du panneau : à gauche, la mise au tombeau du Christ, à droite, une scène synthétique avec les Saintes Femmes au tombeau et la Résurrection.
Dans le bas de la fresque, le quatrième registre présente alternativement de petits personnages en pied (des jongleurs et des musiciens) et des motifs héraldiques.
De part et d’autre de la composition iconographique principale, le regardeur voit une série de personnages représentés en pied les uns au-dessus des autres, ils sont au nombre de six de chaque côté. Ils portent un phylactère de grande dimension sur lequel on a peint un texte plus ou moins long, ils sont identifiés par une courte inscription donnant leur nom : David, Salomon, Habacuc, Siméon, Jérémie, Jean-baptiste puis Isaïe, Caïphe, Zacharie, Aggée et Ezequiel.
L’ensemble de la composition se caractérise par les qualités technique et esthétique de l’exécution.
Le regardeur remarque les détails du vêtement et de l’architecture.
Analyse
Cette peinture illustre le lien entre la sphère religieuse et la cour au XIVe, avec des femmes, des musiciens et des bouffons figurant parmi les blasons.
Cette fresque peinte en 1335 pour le réfectoire de Pampelune peut être considérée comme une composition iconographique ayant pour thème central la Crucifixion du Christ.
La dimension de cette scène lui confère une position prépondérante dans le message transmis par l’image.
Le peintre insiste sur les souffrances physiques du Christ : la flagellation, le portement de croix, le supplice de la croix, le sang versé, le corps déformé par la douleur.
Le Christ abandonne son corps souffrant pour revêtir l’habit de gloire et manifester sa divinité.
La fresque de Pampelune n’est donc pas seulement un récit historique de la Passion, il s’agit bien plus d’une réflexion autour du corps du Christ et, par extension, autour de l’Eucharistie.
Cette fresque se rapproche de deux œuvres réalisées pour la même cathédrale à savoir les peintures murales funéraires qui accompagnaient autrefois le tombeau de Sanchez de Asiain -1360 -conservée au musée de Navarre et le retable de la famille Caparroso -fin XVe autrefois placé dans l’abside de la cathédrale et aujourd’hui déposée dans l’une des chapelles du bas-côté nord.
Ces trois œuvres se caractérisent par une même qualité technique, par une égale richesse dans l’iconographie et par un thème commun : la Passion du Christ.
La crucifixion peinte au centre de la fresque est une image qui réunit de façon synchronique, plusieurs épisodes de la Passion tels qu’ils apparaissent dans des Evangiles différents.
À gauche du crucifié, le peintre a représenté la foule des mauvais, moqueurs et voyeurs, qui assistent à la mort du Christ.
L’examen des textes épigraphiques peints sur les peintures murales du réfectoire confirme que la composition de la fresque dans son ensemble trouve sa source dans une synthèse des récits de la Passion du Christ.
Les inscriptions de la fresque du réfectoire de la cathédrale de Pampelune sont au cœur d’un discours iconographique d’une richesse exceptionnelle.
L’attention portée aux inscriptions permet d’accorder un sens supplémentaire à l’iconographie.
Les textes auprès des personnages permettent de comprendre l’importance de la représentation dans le contexte qui est le sien.
En centrant la narration de la Passion autour du corps, les inscriptions accordent au programme iconographique une dimension eucharistique signifiante dans le cadre du réfectoire, souvenir de la Cène.
À Pampelune les compléments épigraphiques sont la clef de compréhension des images dans leur contexte.
La peinture gothique
Les caractéristiques du style gothique sont plus manifestes dans l’architecture que dans la peinture et la sculpture, arts moins tributaires des innovations techniques.
De nombreux facteurs, notamment la croissance des villes au Moyen-Âge ont contribué à l’évolution spectaculaire de la peinture gothique, tant dans son style que dans sa fonction.
L’augmentation et l’enrichissement des commanditaires du monde profane ainsi que la transformation du mécénat religieux ont largement diversifié le commerce de l’art.
Dans ce contexte les artisans se sont concentrés dans les villes, formant une classe de professionnels organisés en guildes.
La peinture gothique fut d’abord exécutée à la tempera, puis à l’huile sur panneau et sur fresques, avec une palette toujours plus étendue de couleurs secondaires.
Avec une attention portée au réel plus prononcée que dans la peinture romane, la peinture gothique diffusa une nouvelle iconographie sacrée qui impliquait directement le regardeur.
La peinture gothique mit en valeur l’humanité du récit biblique et souligna les émotions des personnages en les individualisant.
Plus citadins, les ordres franciscain et dominicain jouèrent un rôle primordial dans l’évolution de ces tendances, même si les formes demeuraient très stylisées.
Au cours de cette période, l’évolution de la doctrine religieuse, avec l’obligation nouvelle pour les laïcs de se confesser et de communier tous les ans, eut des répercussions sur l’iconographie, qui revêtit un caractère plus spirituel.
Le contenu narratif et les détails des scènes figuratives se firent plus spectaculaires et chargés d’émotion. Le pardon des péchés par la prière donna lieu à des retables -des panneaux de plus en plus monumentaux aux diptyques portatifs- qui devinrent la principale expression de l’art religieux, supplantant le reliquaire jusqu’alors dominant.
Au XIIIe et XIVe le nombre des mécènes royaux et nobles s’accrut.
Leurs sièges devinrent d’importants centres artistiques favorisant l’apparition d’un style plus courtisan appelé « gothique international » qui s’étendit en Europe à partir de la Bourgogne, de la Bohême, de la France et du nord de l’Italie.
Ces peintures se caractérisent par une grande qualité picturale, avec des personnages élégants et gracieux et des drapés décoratifs.
Le regardeur remarque un réalisme très détaillé dans les tenues de cour et les détails des cadres.
Ces œuvres douces et lyriques se distinguent également par une artificialité raffinée.
Conclusion
Cette œuvre restitue l’éclat, la beauté , les couleurs de cette période de floraison qui va des années 1280 au début du XVe.
À partir du XIVe un goût pour le confort et l’esthétique se diffuse dans touts les niveaux de la société. Les intérieurs sont décorés dans les grandes demeures des élites comme dans celles des plus humbles. Les murs et les poutres sont ornés de motifs ou de scènes figurées. Les objets de la vie quotidienne témoignent aussi des modes et des influences qui traversent la société.
Les nouveautés gotiques d’Île de France circulent grâce aux artistes, à leurs carnets de dessein ou aux multiples petits objets précieux : manuscrits , ivoires…
De nombreux artistes originaire du royaume de France et de toute l’Europe occidentale sont attirés à Avignon, (centre de la chrétienté depuis que la papauté s’y est installée en 1309), par les commandes du pape, des cardinaux et de leurs proches.
Au Moyen-Âge les hommes et les idées voyagent.
Le réfectoire des chanoines de la cathédrale de Pampelune, décoré en 1335 par Juan Oliver s’inscrit dans la continuité des réalisations gothiques des premières années du XIVe.
Sources :
Vincent Debiais : Du corps mortel du Christ au Corps Glorieux du Sauveur : les inscriptions dans les peintures du réfectoire de la cathédrale de Pampelune.-2006
Catalogue de l’exposition du 18/10/22 au 22/01/23 au musée de Cluny : Toulouse 1300-1400, l’éclat d’un gothique méridional