Animaux – 1941 Rufino Tamayo

Rufino Tamayo (1899-1991)


Animaux

1941

Huile sur toile

Dim 77 x 102 cm

Conservé au MoMA à New-York

 

Le peintre

Rufino Tamayo est né à Oaxaca. C’est un pur indien zapotèque.
En 1910, deux évènements écrasants, marqueront son évolution artistique : le déclenchement de la révolution mexicaine -un mouvement social qui mit fin à la dictature de Porfirio Diaz et, le passage de la comète de Halley qui illumina la Terre. Le souvenir inoubliable de ces évènements se transforma en un profond intérêt pour tout ce qui touche à l’infini.
En 1917 il intègre l’Académie des Beaux-Arts de Mexico. Il quitte l’Académie au bout de quelques mois, et travaille en autodidacte. Il est nommé chef de la section de dessin ethnographique au Musée d’Archéologie de Mexico. Poste où il prend conscience des sources de l’art mexicain.
En 1926, Tamayo s’installe à New-York, où il vivra par périodes sur plus de vingt ans.
Il participe, parallèlement à ses fonctions d’enseignant de peinture, à de nombreuses expositions collectives nationales et internationales.
Ses tableaux sont exposés dans les plus grands musées : Musée Guggenheim de New-York, Musée de la Reine Sofia à Madrid, Oslo, Mexico, Paris…
Il côtoie les peintres mexicains, Frida Kahlo et Diego Rivera.

Son œuvre graphique, entamée en 1925 est ample : lithographies, gravures et mixographies (mélange de litho et gravure).

Rufino Tamayo est à la fois peintre, sculpteur et graveur.
Son indépendance et son ouverture d’esprit en ont fait l’un des premiers peintres de dimension internationale de l’Amérique latine.

 

Le tableau

Tamayo a peint ce tableau à New-York, à la veille de l’entrée de l’Amérique dans la Seconde Guerre mondiale.

Ce couple de chiens hargneux capture, selon les mots de son collègue peintre mexicain Juan Soriano : « Cette horreur devant un monde qui se transformait en pierre devant nos yeux ».

Animaux appartient à une série d’animaux sauvages exécutée dans les années 1940.

Le tableau représente deux chiens aztèques précolombiens dans un style naïf.

 

Composition

C’est une composition percutante de lignes, de couleurs et d’espace.

Sur un fond jaune vide, baigné d’une lueur rouge, les chiens  hurlent découvrant leurs crocs, tandis que les os bleu pâle près de leurs pattes suggèrent la mort, le carnage.

Les figures des chiens sont schématiques, sculpturales et dynamiques.
Les chiens ont perdu leurs traits individualisés et ressemblent à des robots.

L’espace est plat et enveloppant, il n’y a pas de profondeur. Le morceau de rocher qui s’avance dans la même direction que les chiens, à gauche de la composition à la forme d’un os géant.
C’est un espace vide, nécessaire.  Un espace de couleurs qui racontent la scène.

Les couleurs narratives sont vives, denses et contrastantes.
La texture est froide.
Le noir du pelage des chiens est bleu, le rouge du pelage est froid.
Le jaune du fond est taché de rouge.
Les os du premier plan sont violets, acides. Ils ressortent violemment sur la terre brune gorgée de sang rouge.

L’éclat de la couleur attire le regardant.
Le fond jaune c’est l’éclat du soleil, la lueur d’espoir après le carnage.
Le regardant projette son imaginaire sur cette orchestration chromatique.

Ce tableau exprime la fureur.

 

Analyse

Les violences chromatiques forcent à situer Animaux dans le contexte national de son origine et dans le contexte international de ses effets.

 I-   Le contexte national

L’œuvre de Tamayo en son temps
Les œuvres de Tamayo sont souvent associées aux images de l’héritage Zapotèque.
Tamayo conserve de son enfance le souvenir des légendes indiennes et des histoires fantastiques transmises de génération en génération.

Les artistes mexicains furent profondément affectés par les idéaux politiques et sociaux (réforme agraire, du travail et de l’éducation, et restrictions du pouvoir de l’église) nés de la révolution mexicaine (1910-1921), et animés d’un fort sentiment nationaliste.

Ces tendances, associées aux mouvements avant-gardistes européens tel que le cubisme, qui furent rapportés au Mexique par Diego Rivera entre autres, donnèrent naissance à la Renaissance Mexicaine.

En 1938, André Breton et Léon Trotski publièrent : Pour un art révolutionnaire indépendant dans lequel ils écrivent « L’indépendance de l’art -pour la révolution-pour la libération définitive de l’art ».
Ils revendiquaient une société dont le dessein est d’être façonnée par la culture et d’être ouverte aux révolutions artistiques.
Aspiration que Rufino Tamayo prit à cœur.

Tamayo pense que la peinture figurative s’avère plus accessible au peuple pour lequel il peint que l’abstraction, considérée comme ésotérique et inapte à servir la révolution.
Tamayo marie le patrimoine mexicain à un message social explicite.

Les chiens qui protègent leur maigre pitance peuvent symboliser l’attitude des mexicains vis-à-vis de leur patrimoine.
Le contraste violent entre le rouge et le jaune de l’arrière-plan participe à ce sentiment de désespoir, et traduit les peurs et les angoisses provoquées par la seconde Guerre Mondiale.
Les couleurs sombres rehaussent la force d’évocation.
Le sujet a probablement été inspiré par des évènements contemporains -révolution mexicaine et Seconde Guerre mondiale, mais aussi par des sculptures funéraires précolombiennes en terre cuite.
Dans la mythologie aztèque et maya, les chiens étaient considérés comme des guides vers le monde souterrain et leurs sculptures étaient souvent enterrées avec les membres de la classe dirigeante.

Avec Animaux, Tamayo atteint la sensibilité de l’ homme mexicain .
Ce tableau est un cri pictural expressionniste qui valorise l’art précolombien et populaire.

Juan Acha : « C’est à l’intérieur de ce nationalisme que son œuvre évolue vers l’empire de la couleur même pendant ces années de résidence à New-York et Paris. »


II-   Le contexte international

 Dans les années 40, Tamayo trouve son style.

Sa peinture sort de la terre et du passé et se projette dans l’art de ses contemporains. Il s’inspire à la fois du cubisme, du surréalisme et de l’art populaire maya et aztèque.
Sa thématique se démarque de celle des artistes plus politiques comme David Alfaro Siqueiros et José Clemente Orozco.
Tamayo se détourne des préoccupations sociales et de l‘actualité pour retrouver la dimension onirique et fantastique de l’art.
Il aspire à l’universalité, sans temps et sans espace.
C’est un peintre philosophe.

Son monde est chromatique.
Tamayo amplifie les possibilités expressives de la couleur.
La magie de Tamayo se niche dans la couleur,  cet élément pittoresque, irrationnel et universel de l’art

Juan Acha« Au cours des années 40, la peinture de Tamayo est la transfiguration individuelle, mexicaine et actuelle de ses pèlerinages cezanniens et braquiens et de ses expériences avec la peinture internationale du moment, vécus pendant les années 20 et 30 et ses visites à New-York. »

Animaux est une œuvre puissante.


Conclusion

L’œuvre de Tamayo est forte et originale.
J’aime beaucoup la puissance des couleurs de ce peintre. Ses tableaux sont formidables.

La peinture de Tamayo acquiert une renommée latino-américaine.
Beaucoup d’artistes à travers le monde voient dans le mexicain le point de départ d’une tendance picturale de production latino-américaine.

Tamayo a travaillé dans le sens d’une intégration de l’art des civilisations précolombiennes et de l’art populaire à la révolution plastique qui s’est opérée dans l’Europe du début du siècle.

Tamayo est l’un des plus singuliers artistes de l’art mexicain du XXe.
Il a su resté indépendant des courants artistiques dominants, ce qui lui a permis de s’ouvrir sur une peinture onirique chargée de toute une symbolique mexicaine aspirant à l’universel.

Après sa mort, un musée portant son nom est créé dans sa ville de naissance, regroupant nombre de ses œuvres ainsi que des objets précolombiens importants.

En 1981,  le musée d’art contemporain Tamayo ouvre ses portes dans la ville de Mexico.

Les tableaux de Tamayo sont répartis à travers le monde, au musée Guggenheim de New-York, au musée d’Art de Naples en Floride, au musée national de la Reine Sofia à Madrid et dans la collection Phillips de Washington.

Le dernier mot à Octavio Paz :  « Si je pouvais dire en un seul mot ce qui distingue Tamayo des autres peintres, je dirai, sans hésitation, « le soleil » car le soleil est dans chacune de ses toiles, que vous le voyez ou non. »


Source :
Les deux citations sont extraites de l’article de Juan Acha (1982)
Introduction à l’œuvre de Rufino Tamayo –Vie des arts 26(106).