Résurrection, Cookham – 1924-27 Stanley Spencer

Stanley Spencer (1891-1959)

 

 Résurrection, Cookham

 1924-27

Huile sur toile

Dim 274 x 548 cm

Conservé à la Tate Britain à Londres

 

 

Le peintre

Stanley Spencer est un artiste britannique. Il est né dans une famille artistique, son père est musicien professionnel, son frère Gilles est un peintre réputé.
Il grandit dans le village de Cookham à trente kilomètres de Londres.
Il fera de ce village son modèle de prédilection tant pour ses paysages que pour ses sujets religieux.
Dès sa quatorzième année, il pratique le dessin.
En 1910, il s’inscrit à la Slade School of Fine Art du Collège Universitaire de Londres. Il se lie avec Henry Lamb, auteur d’une des œuvres marquantes de la peinture britannique moderne : The Death of a Bretonne -1910.
Pendant la première Guerre mondiale, il sert dans le service de santé de l’armée britannique, puis dans l’infanterie.
Spencer est très marqué par les années de guerre.
Entre 1927 et 1932, il puise dans ses souvenirs à la fois réels et imaginaires pour représenter la vie quotidienne des soldats sur les fresques murales d’un monument commémoratif, la Gandham Memorial Chapel à Burgholere.
En 1929, Spencer rencontre Patricia Preece qui deviendra sa seconde épouse. Son engouement pour Preece coïncide avec son intérêt pour l’imagerie érotique.
Pendant la seconde Guerre mondiale, il sert en tant que peintre de guerre sur les chantiers navals de Glasgow tout en continuant à vendre des tableaux de paysages et des portraits.
Élu membre de la Royal Academy of Arts, Spencer fait partie d’une délégation culturelle britannique envoyée en Chine en 1954.
En 1955, La Tate Gallery lui rend hommage en organisant une rétrospective de sa carrière.
En 1958, Stanley Spencer est anobli.
Trois ans après sa mort, la Galerie Stanley Spencer est inaugurée dans le village de Cookham.

Son œuvre s’est construite à l’écart des grands courants de l’art moderne.
Spencer peint surtout les thèmes de la guerre, de la religion ou de l’érotisme.

Ses tableaux forment un ensemble significatif de l’art britannique de l’entre-deux-guerres.

 

Le tableau

C’est une scène inspirée des Saintes Écritures que Spencer transpose dans son village natal de Cookham dans le Berkshire.

Pour peindre ce tableau, Spencer a repris l’ancien studio d’Henry Lamb à un étage supérieur du Vale of Health Hotel.

La vue qu’il a peinte est une vue plongeante imaginaire, le point de vue surélevé inclut la rivière. Il prend pour modèle, l’église Holy Trinity à Cookham.
Spencer n’avait pas l’intention que sa représentation de l’église soit réaliste.
Il peint délibérément à travers ses souvenirs.

Le tableau constitua la pièce maîtresse de la première exposition individuelle de Stanley Spencer en 1927 aux Goupil Gallery de William Marchant dans Regent Street.
Lors de l’exposition, la toile a fait sensation, divisant l’opinion.
Duveen Trust a intercédé pour que la Tate Gallery se porte acquéreur de la toile.

La Tate a déboursé 1000£ (une somme considérable à l’époque).

C’est ainsi que ce chef d’œuvre fut exposé du vivant de Spencer à la Tate Gallery

Cette toile est considérée comme l’une des plus grandes peintures anglaises du XXe.

 

Composition

La composition est construite sur un principe de juxtapositions

Le second plan jouxte le premier plan lui-même prolongé par le fond du tableau occupé, pour ¾ de l’espace, par l’église et un petit ¼ s’enfonce dans la toile, à gauche de la composition, où des âmes voguent sur la Tamise.

Le premier comme le second plan représentent un cimetière où les tombes sont ouvertes.

La composition fourmille de personnages excentriques.
Ce sont des morts ressuscités.

La perspective est gommée sur les 3/4 de la composition à droite de la toile les personnages ont la même taille au premier comme au second plan.
Sur le ¼ gauche de la composition, un chemin guide notre regard vers le fond du tableau et on observe que les personnages et les tombes sont plus petites.
Ce côté du tableau est une échappatoire pour le regardant qui prend le reste du tableau en pleine face et en pleine lumière.

Spencer s’est représenté tout nu dans l’axe du tableau
Le christ est assis sous le porche avec des bébés nus dans les bras.
Dieu est debout, derrière le siège.
Le porche disparait sous des guirlandes de roses blanches.

Les tombes hachent la toile de verticales, relayées par les verticales de la végétation et celles des grilles du portail de l’église.
Ces lignes communiquent une formidable énergie à la composition.

Le tableau abonde de détails attestant de l’imagination visionnaire et débordante de Spencer.

Le regardeur s’attache à scruter les expressions des ressuscités et les situations où le peintre les a mis.

Les ombres sur la toile indiquent que la lumière dominante vient de la droite.
Les personnages situés  le long du mur de l’église, sont baignés de lumière.
La lumière raconte.
Spencer pense que « la lumière est la Sainte présence, la substance de Dieu ».

Le tableau exprime une foi chrétienne non-conventionnelle.

Cette toile est gaie et rafraichissante.

 

Analyse

Durant les années qui suivirent chacune des deux guerres mondiales, les peintres britanniques ressentirent le besoin de développer une identité et un style dont les sujets ne furent pas tirés des combats.

Spencer se tourna vers les traditions figuratives et autres formes représentatives, soulignant son individualité.
Ses tableaux ont leur identité propre et se distinguent des expérimentations contemporaines françaises.

Le réel ou le symbolique, le familier ou l’étrange, le physique ou le spirituel, le prosaïque ou le beau, se côtoient dans ses toiles piquées de surréalisme.

Spencer sait déceler une signification derrière l’apparence physique des choses.

Dans ce tableau, Spencer contraint l’iconographie religieuse à des fins contemporaines.

C’est une scène biblique excentrique.

Sa créativité s’efforce de transmettre les troubles et les sentiments profondément ancrés dans son inconscient.
Son imagination provoque ses images rêvées, reflets de son monde onirique et souvent déroutantes.

I-   Spencer considère ce tableau comme l’une de ses toiles les plus visionnaires.
Spencer dit à propos de ce tableau : « Tout a une sorte de double sens pour moi, il y a le sens ordinaire des choses de tous les jours, et le sens imaginaire de tout cela, et j’ai voulu réunir les choses, et dans Résurrection, Cookham, vous avez un bon exemple de ce genre de chose… Ceci, c’est plus ou moins l’église de Cookham, et au-delà se trouve la rivière. »

Son village, Cookham, se prête au sujet d’une Résurrection moderne.

Spencer illustre le thème de la Résurrection au pied de la lettre, tous les morts ressuscitent dans un état de bonheur ! Des personnages de tous âges, sexes et types ethniques émergent des tombes du cimetière de Cookham d’une façon à la fois comique et touchante.

Au centre de la toile, un personnage nu a les bras tendus sur une pierre tombale, à la manière du Christ. Il s’agit du peintre lui-même.
La nudité de Spencer annonce ses sujets ultérieurs à connotation plus sexuelle, comme Autoportrait avec Patricia Preece –1937.
Spencer exprime ses obsessions romantiques et sexuelles.

On repère sa femme Hilda plusieurs fois dans ce tableau. D’autres personnages de son entourage sont reconnaissables.

Le christ est assis sous le porche avec des bébés nus dans les bras. Dieu est derrière le siège et pose affectueusement sa main dans les cheveux du Christ.
Le porche est couvert de roses blanches.
Spencer met en scène son affinité avec les représentations fleuries de la Vierge et de l’Enfant dans la peinture italienne.
Les fleurs sont disproportionnées, trop grosses elles confèrent au lieu l’attribut de la perfection.

Dans l’angle supérieur gauche, les âmes sont acheminées au ciel sur des bateaux de plaisance de la Tamise.

II-   Dans ce tableau baigné de lumière, la lumière est celle de la révélation, de la rédemption.

Spencer a le souhait de révéler le sens des choses : « Je suis conscient qu’il y a une signification particulière dans ce que je vis que j’aime et que je souhaite exprimer clairement. Je commence à chercher les moyens de le faire et cette recherche m’amène à la contemplation de la Résurrection… Cette vie étant la clef de la suivante me dit quelque chose de la prochaine vie et amène la vie ressuscitée à m’en dire plus sur ce qu’est la résurrection dans cette vie. Cette relation fait sortir le sens que je vois dans ce monde. Dans l’image, la résurrection a, pour ainsi dire, partiellement eu lieu grâce à la perfection déjà de certaines choses… »

Spencer transpose la scène de la terre Sainte à Cookham, le village où il a grandi et passé la majeure partie de sa vie.

Résurrection, Cookham est l’occasion de montrer la réconciliation du peuple, de la famille et de l’amour.
Il exprime la compassion qu’il ressent pour ses concitoyens.

Il exprime aussi son amour pour la nature.
Les fleurs, les arbres et les plantes sont dépeints avec subtilité, le lierre se déploie en grandes brassées, la vigne-vierge se décline en vert tendre, le cyprès se tient droit et raide et les herbes se dressent comme des petits soldats.

Cette nature avec ses rapprochements et ses  contrastes,  concorde avec la philosophie de Spencer  qui trouve  en elle,  la joie de l’inclination individuelle apportant la variété.
La prairie sauvage avec ses fleurs sauvages, son trèfle, ses marguerites, mélangés aux fleurs de serre opèrent comme le mélange de cette vie et de la vie ressuscitée.

III-   Le peintre confère à Cookham une dimension céleste, en rapport avec le paradis de son enfance.
Spencer utilise la Résurrection en tant que symbole chrétien de l’antique quête d’immortalité de l’homme.
Ce tableau religieux est chargé d’une signification miraculeuse, condensée à la façon d’une allégorie personnelle, en rapport avec la rédemption de l’humanité.

Pour Spencer c’est le rôle sacrificiel joué par le soldat, qui le place parmi les élus promis à la gloire de la Résurrection, dont Cookham est le lieu propice.

Ce tableau est d’inspiration médiévale.
Le naturalisme figuratif, son principe narratif clair et lisible, reflètent les influences de Giotto et Cimabue.

Pendant la première Guerre mondiale, Spencer sert pendant quatre ans, sur le front macédonien. Les effets de guerre sur la maturation de son œuvre sont manifestes.
Son style gagne en puissance et en originalité, Spencer se rapproche des visions de Blake et Füssli et fait preuve d’une iconographie toujours plus inventive.
Que l’on retrouve dans ses tableaux :
The last supper -1920, Christ Carring the Cross, The Betrayal -1914 et surtout
The Résurrection, Cookham – 1924-27

 

Conclusion

Peu de français connaissent Stanley Spencer, il n’est pas représenté dans nos musées et les livres d’art le zappent.

La vie imaginative de Spencer est extrêmement riche.

Parce que c’est un peintre visionnaire, Spencer est très anglais, dans la lignée de Blake –pour les images rêvées et de Samuel Palmer -pour l’importance accordé au paysage.

L’originalité comme la variété de son œuvre, dépassent toute influence.

Spencer est resté un artiste indépendant et n’a rejoint aucun mouvement artistique de son époque.

Il compte parmi les artistes européens les plus importants de son temps.

Si ses confrères le rejettent dans les années 30 en raison de son intérêt pour l’imagerie sexuelle. Ses œuvres de nus, illustrent sa relation avec sa seconde épouse, Patricia Preerce.
Elle était lesbienne, le mariage n’a jamais été consommé.

Ses nus préfigurent certains des tableaux de Lucian Freud.

Les critiques d’aujourd’hui considèrent que son œuvre annonce le renouveau de la peinture figurative de la fin du XXe.

 

Sources : les écrits et les lettres de Stanley Spencer conservés dans les archives de la Tate Gallery.