Maison en Provence- La vallée de Riaux, près de l’Estaque – vers 1883 Paul Cezanne

Paul Cezanne (1839-1906)

 

Maison en Provence -La vallée de Riaux, près de l’Estaque

Vers 1883

Huile sur toile

Dim 65 x 81,3 cm

Conservé à la National Gallery of Art de Washington

 

Le peintre

Paul Cezanne est considéré comme le précurseur du postimpressionnisme et du cubisme.
Cezanne est très attaché à la Provence et à Aix en Provence où il est né, où il a agrandi, où il a peint de nombreux paysages et où il est enterré.

C’est un peintre radicalement novateur lorsqu’il utilise la géométrie dans ses natures mortes dans ses paysages et dans ses portraits.
Les historiens le considèrent comme le père de l’art moderne.

Cezanne rêvait d’une vie de bohème, ce qui contrariait son père qui l’avait inscrit à la faculté de droit avec l’intention d’en faire un banquier. Cezanne résiste, encouragé par son ami Zola, à la volonté de son père.
Cezanne père finit par accepter les désirs de son fils.
A partir de 1857, il suit des cours à l’école de dessin d’Aix en Provence, sous la direction de Joseph Gibert -directeur et conservateur du musée.
En 1859, Cezanne reçoit le second prix de peinture de l’école d’Aix en Provence, avec une étude de la tête d’après le modèle vivant à l’huile et de grandeur naturelle.
En 1860, Cezanne monte à Paris. Cezanne aspirait à  une vie libre, loin des conflits avec son père. Zola, l’ami aixois de Paul, l’attend avec impatience.
Dans les années 1865, Cezanne adopta un style abrupt inspiré de Courbet. Sa peinture est violente, puissante, virile. Cezanne travaille au couteau une matière très épaisse.
Dés 1872, Cezanne semble avoir incorporé une deuxième langue visuelle, l’impressionnisme. Cezanne appartient à cette génération.
Aux côtés des impressionnistes, il participa à la deuxième et à la troisième, exposition indépendante, en 1874 et 1877. Il côtoie Auguste Renoir, Claude Monet, Édouard Manet et Alfred Sisley.
Mais il trouve cette technique trop simpliste, l’impression rétinienne sur la toile des impressionnistes ne le satisfait pas.

Camille Pissarro incite Cezanne à peindre en plein air, directement d’après nature. Ce conseil s’avéra essentiel pour Cezanne.

Ses recherches techniques, du « passage » et des points de vue multiples, ne furent pas appréciées de son vivant. Elles représentent l’antithèse de l’impressionnisme.

De plus en plus il évita ses contemporains qui le marginalisaient.
Cezanne est un peintre écorché vif, sauvage et généreux.
Il se sentait rejeté et incompris.

En 1886, il retourne à Aix en Provence.
Son caractère ombrageux le conduit vers la contemplation de la nature pour mieux la saisir dans sa peinture.
Cezanne se réfugie dans un monde solitaire de structures picturales.

 

Le tableau

La chaleur bleuit la maison, ricoche sur les rochers et écrase l’herbe des collines. C’est une chaleur à couper au couteau, une chaleur provençale.

« C’est une maison bleue adossée à la colline
On y vient à pied
On ne frappe pas
Ceux qui vivent là, ont jeté la clef ».
Chante Maxime Le Forestier, un siècle plus tard. (1974)

Elle est là cette maison, tout près, dans la vallée de Riaux, à deux pas de l’Estaque.

J’aime infiniment ce tableau, les perspectives multiples, les empilements, la sobriété de la gamme chromatique, tout dans cette composition s’harmonise.
Les fenêtres sont rares, la maison se protège du soleil.
C’est un peu comme si la maison tournait le dos au regardant.

Cezanne est fidèle à ses principes, le regardant n’entre jamais dans ses tableaux.

A partir de 1864, Cezanne séjourne régulièrement à l’Estaque où sa mère loue une maison sur les hauteurs du village.
Cézanne y installe son premier atelier d’Artiste.
Entre 1786 et 1885, il y reçoit ses amis, Émile Zola, Camille Pissarro, Claude Monet, Auguste Renoir, Adolphe Monticelli (peintre marseillais aux œuvres colorées et expressives).

En 1886, Cezanne retourne à Aix en Provence et à sa montagne Sainte-Victoire.

 


Composition

Cette composition est un tissu de couleurs.

La hauteur, la largeur et la profondeur de la composition, sont presque équivalentes.
L’équilibre entre ces dimensions génère une atmosphère de calme et de plénitude.

Un amoncellement de diagonales qui se contredisent et se heurtent à des horizontales apportent de la profondeur et construisent la colline sur laquelle est accrochée la maison.
Les couleurs étagent les plans -3 plans, en de larges bandes horizontales superposées.

La maison est mise en scène avec précision.
Elle se dresse au second plan, dans l’axe du tableau, entre deux collines.
C’est une bastide provençale à plusieurs corps.
La lumière et les ombres se réfléchissent sur ses façades, sculptant ses volumes, illuminant ses murs. La maison se dresse fière et défie le soleil.
Elle s’intègre dans ce paysage comme une évidence.

Cezanne expérimente dans cette composition un mode pictural structurel et des perspectives multiples qui à la fois créent et annihilent l’impression de profondeur et maintiennent une fragile tension entre la réalité de la surface bidimensionnelle et l’illusion de tridimensionnalité.

La gamme chromatique est réduite.
Cezanne est un coloriste scrupuleux.
La couleur participe à l’équilibre de la composition, elle crée des niveaux divers et superpose les plans.
Les rochers des collines sont en calcaire, ils absorbent le bleu du ciel et s’imprègnent de couleur.
Les bleus intenses du ciel provençal et des collines se marient avec les ocres des rochers et de la maison. Les plages de verts valorisent les bleus.

Cezanne sculpte son tableau, il peint à la manière d’un modeleur.
Il utilise la technique des plans de couleur crées à petits coups de pinceau qui s’accumulent, forment la matière et donnent une impression de tissage.
Il peint directement sur la toile, suggérant la forme, la couleur, les tonalités, les ombres et les lumières.
Ses traits petits, parallèles, abrupts et multicolores, fusionnent d’une couleur dans l’autre et créent une unité rythmique.

Cezanne restitue l’atmosphère vibrante du lieu.

C’est ce jeu d’ombre et de lumière qui exprime la chaleur de Provence.

La couleur est indépendante du soleil et doit son intensité aux couleurs fortes de la toile.

Cezanne manipule le bleu.
Ses taches de bleu heureusement emmêlées aux couleurs transmettent au regardant le poids, la densité de la chaleur.

Cezanne transmet une émotion visuelle.
Le regardant sent la présence de l’air qui vibre dans la toile.

Ce paysage flotte entre le naturel et le factice et dégage une grande harmonie.

 

Analyse

Comment Cezanne s‘est emparé de la peinture et la réinventée
Cezanne est un peintre en pleine possession de son art.

Comment au-delà  de ses questions et de ses doutes intenses qu’il confiait à un vieil olivier devant son bastidon-atelier aixois – et le vieil arbre lui répondait, Cezanne a inventé son propre style.

Cezanne est devenu le « père de l’art moderne ».

 « Ma méthode c’est d’aimer le travail » disait Cezanne.
C’est un peintre méthodique et classique dans sa forme d’esprit.
Son mode d’étude était une méditation.

Cezanne est un coloriste et un compositeur.
On découvre l’audace de ses couleurs, sa quête de l’abstraction et sa quête de la vérité.

Cezanne considérait que pour qu’une séance de peinture en extérieur soit bonne, il fallait que le temps soit gris clair.
Dans son atelier aixois, pour ses natures mortes et leurs fruits, il peindra les murs en gris clair.

Cezanne cherche, travaille et découvre que l’ombre n’est pas concave mais convexe, « l’ombre s’évapore » disait-il en peignant la montagne Saint Victoire.
Il dit encore : « j’ai besoin de connaître la géologie, comment Sainte Victoire s’enracine…tout cela m’émeut, me rend meilleur ».

Les œuvres que Cezanne soumit aux expositions des impressionnistes (en suivant l’exemple de Pissarro) témoignent d’une transition entre un mode d’expression sombre et maussade – ses premiers tableaux imprégnés  des Delacroix et des Courbet, et les paysages et les natures mortes qui domineront sa carrière ultérieure.

Sa présentation de formes tridimensionnelles à l’aide de hachures parallèles soigneusement structurées, qui font ressortir la planéité de la toile, distingue l’œuvre du peintre de celle de ces contemporains.

Durant les deux décennies qui suivirent sa participation aux expositions impressionnistes, Cezanne affina la facture de ses toiles et développa la technique du « passage », grâce à laquelle un aplat se diffuse ou « passe » dans un autre, créant une riche composition de couleurs vibrantes, changeantes mais stables.

Il expérimenta aussi ce qui allait devenir la marque de fabrique de ses tableaux à venir : le renoncement au point de vue fixe et monoculaire qui dominait la peinture occidentale depuis la Renaissance.

Cezanne introduit des perspectives multiples et des points de vue mobiles dans une composition.
Contrairement à ses contemporains qui s’attachent à saisir la réalité par la tache de couleur, les tableaux de Cezanne rendent avec justesse la réalité du monde à travers une vision binoculaire, tout en attirant paradoxalement l’attention sur l’illusion de la construction.

Il réalise de multiples versions d’un même sujet, expérimentant sans cesse les possibilités artistiques.

Ses tableaux sont d’une grande sincérité.

Dans Maison en Provence Cezanne peint une réalité abstraite de couleurs et de formes.

La chaleur dilue la couleur.
Cezanne ne peint pas les couleurs que l’œil voit, il peint les couleurs que son œil perçoit, les couleurs transfigurées par la chaleur.
L’œil de Cezanne est l’œil du peintre qui interprète et qui transmet.

Cezanne inscrit une temporalité dans la durée.
Ce paysage n’est pas du matin ou du soir.
C’est un paysage provençal.

C’est l’obsession de sa vie de peintre : la temporalité dans la durée.
Cette quête le poussera à peindre jusqu’à la veille de sa mort.

La maison parle au regardant de la chaleur, de son amour du soleil.
C’est une maison massive, une maison qui fait « le gros dos » au soleil, une maison provençale.

« C’est une maison bleue ».

 

Conclusion

Cezanne fut incompris et peu estimé par ses pairs de son vivant.

Il est reconnu tardivement par ses contemporains, lors d’une rétrospective organisée en 1895 par Ambroise Vollard.

Deux ans après sa mort, ses œuvres étaient largement exposées et commentées.

Cezanne joua un rôle déterminant dans le développement du cubisme. On le qualifia de « père de l’abstraction moderne » pour l’emphase de ses hachures parallèles et de ses aplats de couleur ainsi que pour sa réinvention de la nature au moyen du cylindre, de la sphère et du cône.

On  recense 950 tableaux (dont 87 portraits de la montagne Sainte Victoire) et 600 aquarelles sans compter les tableaux qu’il a détruits. Rigoureux, austère, intelligent, Cezanne détruit les toiles dont il n’est pas satisfait.
Cezanne était un peintre en perpétuelle recherche.

Cezanne a influencé les cubistes, les fauves et les avant-gardes.
Picasso parle de Cezanne en disant « notre père à tous ».