Affiche de l’exposition aixoise à l’hôtel Caumont

Une exposition formidable à voir absolument ! 

Dufy : « à suivre la lumière solaire, on perd son temps. La lumière de la peinture, c’est tout autre chose : c’st une lumière de répartition, de composition, une lumière-couleur. »

Le fil rouge de l’exposition – « comment faire tenir ensemble tout cela » disait Dufy, Suivre tableau après tableau, le cheminement du peintre  du début du siècle aux années 20 où en suivant son instinct,  il finit par trouver son style propre.

Régates aux mouettes – vers 1930 Raoul Dufy

Raoul Dufy (1877-1953)


Régates aux mouettes

Vers 1930

Huile sur toile

Dim 81 x 100 cm

Conservé au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris

 

Le peintre

Raoul Dufy est né au Havre.
En 1893, il fréquente l’École Municipale des Beaux-Arts du Havre et participe aux cours du soir de Charles Lhuillier qui a eu pour élèves Georges Braque et Othon Friesz -qui deviendra un grand ami de Dufy.
Ce sont des années difficiles pour le jeune artiste qui peint des aquarelles académiques, des paysages et principalement des autoportraits.
En 1899, la ville du Havre offre une bourse à Dufy, il a 23 ans et s’inscrit à l’École Supérieure des Beaux-Arts de Paris. Léon Bonnat est son maître.
En 1902, il participe à la première exposition de la Société des arts du Havre.
En 1903, il expose au Salon des indépendants et au Salon de Berthe Weill qui lui achète sa première œuvre.
C’est l’époque de l’impressionnisme et du postimpressionnisme avec Monet, Pissarro, Manet et Boudin.
Puis en 1905, Dufy découvre le fauvisme au Salon des indépendants avec une toile de Matisse. Il rencontre Albert Marquet est adhère au fauvisme.
En 1907 il se détache de ce mouvement et, avec Braque se rapproche de Cézanne et du cubisme. Dufy expose au Salon d’automne où a lieu une importante rétrospective posthume de Paul Cézanne.
En 1908 il peint à l’Estaque avec Braque.
Vers 1922, il fréquente les champs de course et prend goût au spectacle des foules, des chevaux et du mouvement.
Dufy a des problèmes financiers et se diversifie.
Il  grave sur bois et illustre des livres. En 1923, avec Artigas il crée des céramiques ; pour Jean Cocteau il réalise une décoration théâtrale.
Sa contribution aux arts décoratifs (tapisseries, soieries, tentures, céramiques, décors de théâtre) est considérable.
Il passe à l’aquarelle tout en continuant le pastel.
Dufy voyage, en Italie, au Maroc, en Espagne, en Belgique et en Angleterre.
Son style évolue, il est plus souple, plus joyeux.
Il séjourne à Nice de 1925 à 1929.
A partir de 1926, il commence à dissocier les couleurs et le dessin.
Sa notoriété grandit, Dufy répond à des commandes pour des Expositions internationales.
En 1929, à Deauville et à Trouville, il poursuit ses séries sur les courses et les régates. C’est l’année de sa première exposition personnelle à New York.
Son tableau Le Paddock entre au musée du Luxembourg en 1932.
En 1936-37, la Compagnie Parisienne de Distribution d’Électricité lui passe sa plus grande commande : il peint, avec l’aide de son frère jean Dufy, une grande fresque qui à ce jour est la plus grande du monde : La Fée Électricité. Cette fresque est réalisée pour l’exposition internationale des arts et des techniques de 1937 à Paris. Elle se compose de 250 panneaux, chaque panneau mesure 200 x 120 cm. Cette huile sur contreplaqué a une dimension totale de 1000 x 6000 cm.
La fresque est mise en lumières et présentée animée dans le cadre de l’exposition qui a lieu en ce moment à l’hôtel Caumont à Aix en Provence -à voir absolument.
En 1951, Louis Carré devient son marchand. Celui-ci l’expose dans sa galerie à New-York.
En 1952, Dufy représente la France à la XXVIe Biennale de Venise et remporte le Grand Prix de peinture.
C’est aussi l’année de sa première exposition rétrospective au musée d’Art et d’Histoire de Genève.

Dufy est atteint de polyarthrite rhumatoïde, ce qui ne l’empêchera pas de peindre jusqu’à sa mort.
Dufy s’installe à Forcalquier dans les Hautes Alpes où il meurt d’une crise cardiaque le 23 mars 1953.


Le tableau

Dans les années 1930, Dufy découvre l’univers très distingué des compétitions nautiques, en France comme en Grande-Bretagne.
Il en fait un de ses thèmes favoris.
L’alchimie particulière créée par l’esprit sportif et l’ambiance mondaine attise sa curiosité. Dufy peint une vision enjouée des fêtes maritimes.

L’attrait de Dufy pour la mer, les ports et les lieux de villégiature constitue sa première source d’inspiration et domine son œuvre.
Les scènes nautiques seront un thème qu’il déclinera jusqu’à la fin de sa vie d’artiste.

 

Composition

Dufy : « il y a le réel, il y a ce que l’on voit, ça n’est pas la même chose. Ce qui m’appartient ce n’est pas cela, mais ma propre vision du réel. »

Le tableau est animé par une dynamique entre le calme et le mouvement.

Dufy combine les lignes horizontales, verticales et diagonales.
Le trait est hardi et vigoureux. Le dessin rapide et enjoué.

Les tons jaunes, oranges, bleus et verts saisissent parfaitement l’atmosphère du bord de mer. Les voiles sont gonflées et claquent au vent, la surface agitée de la mer nous renvoie l’iode.

Évanescence et spontanéité, Dufy trace les formes en noir sur un fond coloré.
Parce qu’il laisse les personnages et les oiseaux évidés, le fond de couleur transparait.

L’agitation des bateaux, les silhouettes des marins, le vol des mouettes, tout participe à une joyeuse confusion.

Dufy éparpille des touches blanches pour illuminer sa composition et faire miroiter les couleurs. Le bleu de l‘eau est maquillé sous des touches de vert, de jaune, l’eau est tantôt grise, tantôt jaune et tantôt verte.
Il faut lever les yeux dans le coin supérieur droit de la composition pour retrouver le bleu du ciel.

Pour traduire l’effet des vagues Dufy ponctue sa mer d’accents circonflexes noirs ou bleus.

Rien ne distingue le ciel de la mer si ce n’est un semblant de ligne d’horizon, matérialisée par la légère ondulation des vagues , peintes à grands traits superposés , teintés en vert.

Au premier plan les voiles des bateaux sont colorées.
Au deuxième plan, si tant est qu’il y ait un deuxième plan les voiles s’effacent et se confondent avec le ciel.
Seul un voilier a hissé une voile jaune électrique sur la gauche de la composition. C’est le plus éloigné des voiliers.
Cette tache de couleur vive crée une vibration dynamique.

Dufy pense que l’espace est inséparable de la sensation.

Dufy se sert de la lumière pour créer l’impression d’espace et de profondeur.

Dufy : « le peintre a besoin d’avoir sans cesse sous les yeux une certaine qualité de lumière, un scintillement, une palpitation aérienne qui baigne ce qu’il voit. »

La lumière est limpide,  on dirait une aquarelle,  alors qu’il s’agit d’une peinture à l’huile.
Dufy utilise les couleurs à l’huile en touches fines, avec légèreté, . C’est ce qui donne au tableau l’apparence d’une aquarelle.

Analyse

La « patte » de Dufy

A partir des années 1920, Dufy développe un style unique, joyeux, coloré, emblématique.

Dufy désolidarise la couleur du dessin, la laisse déborder des contours.
La liberté des couleurs fait écho à la spontanéité du dessin.

Des lignes agiles profilent des silhouettes, des oiseaux et des bateaux … Souples, serpentines, élégantes, toutes ces formes sont esquissées sur un bleu lumineux, limpide et pétillant.  Régates aux mouettes est une fête.

A / Le cheminement de Dufy

Originaire du havre, Dufy est d’abord influencé par les impressionnistes, Monet et Boudin avant que l’exemple de Matisse et des fauves ne lui révèle le pouvoir de la couleur et la force du dessin.
Puis il explore les tableaux de Cézanne. Usine à l’Estaque -1908 ou Bateaux à quai -1908 en sont des exemples.
Les caractéristiques Cézaniennes seront reconnaissables dans ses tableaux jusqu’en 1919.
En 1911, Dufy illustre un recueil de poésies de Guillaume Apollinaire, Le Bestiaire ou Le cortège d’Orphée.  Ce travail marque son entrée dans le monde décoratif.

À partir de 1913, 1914,  il commence à réintroduire de plus en plus de couleurs.
Si ses constructions sont encore géométriques à la manière de Cézanne, Dufy introduit une touche décorative dans toutes ses compositions.
Les feuilles de palmier dans Bateaux à quai ou
Une rose (son motif préféré) dans Maison et jardin –1914

A partir de 1913, il introduit le noir dans ses tableaux.
Des lignes noires que Dufy distribue pour faire exploser les couleurs et donner de la profondeur.

Dans Le jardin abandonné –1913,
Cartel de l’exposition aixoise :
« Dufy s’émancipe de la nature et son rapport à la réalité se fait de plus en plus lâche. C’est moins le motif que les lignes, les volumes et leur intrication qui l’intéresse… les objets, devenus simples motifs décoratifs sont disproportionnés, qu’il s’agisse des trois oiseaux blancs, de la volière au treillage vert, de l’arabesque du blanc et du bleu ou de la branche de feuilles vertes schématisée. »

Dufy : « nous avons l’arbre, le banc, la maison. Mais ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il y a autour de ces objets. Comment faire tenir ensemble tour cela ? »


B/ Cette caractéristique, le trait noir par-dessus la couleur est sa marque de fabrique.

Il parvient à son style propre au début des années 1920 :
– Indépendance de la couleur par rapport au dessin,
– Simplification des formes dans une composition qui refuse toute perspective classique.

A partir de 1926, il comprend que l’esprit enregistre plus vite la couleur que le contour.
La couleur imprègne la vue, la ligne en tant que contour se déplace insaisissable.
Dufy commence à dissocier les couleurs et le dessin.

Dufy disait qu’un cheval photographié en pleine course est irrémédiablement stoppé dans son élan tandis que réduit à un signe par la main de l’artiste il continue à galoper.

L’avenue du bois de Boulogne -1928
Cette composition a la régularité d’une frise. L’alignement des chaises, le défilé des chevaux sont dans un équilibre parfait.
La seule touche d’irrationnel dans l’ordonnance du tableau, est la présence de l’oiseau au premier plan.

Dufy a trouvé sa « patte » : son dessin fera le récit de la scène tandis que la couleur créera par ses modulations l’espace du tableau.

Son style est de plus en plus esquissé, schématisé.
Et ses scènes de plus en plus imaginaires.

Dufy : « Ce que je demande aux arts c’est de nous faire vivre l’irréel parce que pour la réalité nous savons ».

Un tableau marque la naissance  de son trait, c’est
La jetée – Promenade à Nice-1926.
Une composition faite d’aplats indépendants du dessin tracé par-dessus en noir. Les formes fantasmagoriques, les ligne sinueuses, se détachent sur un ciel méditerranéen.

Le couscous chez le pacha de Marrakech –1926
Le dessin superpose les grilles de ses motifs répétés. Il signe en se représentant de dos au bas de l’aquarelle.
Dufy commente ce tableau : « Quand je rentrerai du Maroc il n’y aura plus aucune goutte… Seule l’aquarelle peut rendre l’atmosphère d’un pays où la lumière blanche du soleil dématérialise les surfaces jusqu’à la transparence. »

Dans Régates aux mouettes on retrouve sa marque :
Nul besoin d’être précis, nul besoin de perspective ou de figuration, un geste semble suffire.
Appuyées d’un mouvement de pinceau, d’un éclat de couleur, des formes synthétiques sont surlignées d’un trait envolé. Le tableau est lumineux.

Le regardant est devant une jetée portuaire face aux bateaux et aux mouettes.

C/ Les paysages maritimes, ports, plages régates …sont son thème favori.

Dufy est né dans une cité portuaire, le Havre, la paysage maritime est son refuge son point d’encrage.

Sophie Krebs, la commissaire de l’exposition aixoise :
« Dufy adore la mer, la joie de la navigation, les fumées des bateaux à vapeur, la foule enthousiaste sur les quais…il estime qu’on ne peut pas être un vrai peintre si on n’a pas la mer à côté de soi ! Pour lui l’eau est un formidable élément qui fait miroiter toutes les couleurs et scintiller tout le décor ».

 

Conclusion

Contrairement aux artistes qui trouvent un « truc » et refont le même tableau toute leur vie, Dufy admirateur des impressionnistes, compagnon d’art du fauvisme, héritier du cubisme Cézannien s’est longtemps cherché.

C’est en suivant son instinct qu’il a trouvé son « trait » reconnaissable entre tous, la dissociation des couleurs et du dessin schématisé par des lignes, des virgules, noires.

« Peindre c’est voir pour les autres » disait Dufy.

Son œuvre recense près de deux mille tableaux, plus de six mile aquarelles, plusieurs centaines de dessins.

Le tempérament du peintre efface les chagrins et les difficultés multiples de sa vie et de sa carrière pour n’en retenir qu’une image heureuse.
Dufy a toujours gardé cette grande quiétude qui transparaît dans tous ses tableaux et traduit son amour pour la vie.

Dufy sait sublimer la lumière. L’exposition à l’hôtel Caumont d’Aix en Provence est titrée : « Dufy, l’ivresse de la couleur »
Tout est dit.

Son œuvre pleine d’esprit restera un hymne à la lumière, au bonheur et à la joie de vivre.