Les haleurs de la Volga – 1870-73 Repine

Ilya lefimovich Repine (1844-1930)

 

Les haleurs de la Volga

1870-73

Huile sur toile

Dim 132 x 281 cm

Conservé au Musée d’État russe de Saint Pétersbourg

Le peintre

Repine naît à Tchougouïev, près de Kharkiv.
En 1855, à onze ans, ses parents l’envoient dans une école de topographie ; à la fermeture de l’atelier il entreprend une formation de peintre d’icônes et poursuit sa formation à l’Académie impériale des beaux-arts à saint Pétersbourg.
Il y reste huit ans.
En 1869 Repine rencontre le critique d’art Vladimir Stassov qui fera partie du
« cercle des proches » du peintre.
Il étudie le dessin avec Ivan Kramskoï qu’il considère comme son maître.
À sa mort Repine écrira qu’il était celui qui lui avait enseigné la peinture.
En avril 1873, Repine a droit à un voyage à l’étranger en tant que pensionnaire de l’Académie des beaux-arts. Il voyage à Vienne, Venise, Florence, Rome, Naples et s’installe à Paris. Il rencontre Manet.
Au contact des impressionnistes, Repine évolue dans son usage des lumières et des couleurs.
Il retourne à Moscou. Il travaille d’octobre 1876 à septembre 1877 dans sa propriété de Tchougouïev en Ukraine.
Il intègre une association de peintres, les « Ambulants », un mouvement réaliste apparu en Russie dans les années 1860.
La période moscovite dure de 1877 à 1882.
A la veille d’un voyage dans la capitale, Repine avoue dans une lettre que Moscou l’épuise.
Âgé de 38 ans, il retourne dans la ville où il a passé sa jeunesse. Débute une seconde période pétersbourgeoise de 1882 à 1900.
De 1894 à 1907, Repine est maître de l’atelier de peinture de l’Académie. Il démissionne en 1907, argumentant du peu de temps qu’il lui reste pour son travail personnel.

Introduction à l’exposition consacrée à Repine qui a eu lieu au Petit Palais du 5 octobre 2021 au 23 janvier 2022.
Commissariat : Christophe Leribault, Stéphanie Cantarutti et Tatiana Yudenkova.

« Figure incontournable du monde de l’art de l’époque, Repine s’intéresse aux différents aspects de la vie culturelle : littérature, musique, sciences…
Il est très proche de nombreuses personnalités russes comme l’écrivain Tolstoï, le compositeur Moussorgski, ou encore le collectionneur Trétiakov. Témoin de tous les bouleversements de la Russie de son temps, Repine est particulièrement attentif aux profondes mutations historiques et sociales que connaît son pays et en fait l’écho à travers ses œuvres. »

 

Le tableau

En 1868, c’est le temps où Repine est élève à l’Académie des beaux-arts de Saint Pétersbourg.
Le peintre voit des haleurs sur la Neva. Le contraste entre les passants désœuvrés se promenant sur les berges et ces hommes aux corps striés par les sangles, l’impressionne. Il lui vient alors l’idée de cette composition.
Repine commence à composer des esquisses traduisant « cette force vivante du trait ».
En 1870, le peintre se rend sur la Volga, l’artère fluviale la plus empruntée, une route commerciale qui existait depuis les temps anciens.
Repine entreprend un voyage sur la Volga du nord au sud. Il  trouve les rives de la Volga monotones. Il passe les trois mois d’été dans le village de Chiriaïevo, au pied des monts Jigouli qui est un des lieux de rassemblement des bateliers. Il observe les bateliers dont la tâche était de remonter les cargos sur la Volga. Peu à peu il repère les hommes qu’il souhaite immortaliser sur sa toile. Repine a le coup de foudre pour certains haleurs, il entreprend de les convaincre de poser pour lui. Il lui a fallu 20 jours pour s’entendre sur le prix des poses.
Repine a pris le temps de s’immerger dans la vie de ces hommes.
Le peintre connait toutes les personnes représentées dans son tableau par leur nom. Chacun des onze bateliers aura sa tenue, son caractère et son histoire.
Repine trouve « le modèle le plus achevé de l’haleur », un homme du nom de Kanine. Il lui trouve « un regard profond, une expression de gentillesse particulière du visage, propre aux hommes qui sont infiniment supérieurs à leur milieu ». Dans le tableau il figure dans le trio de tête, « un trapèze de tissu sale noué autour de la tête », il est à la tête du groupe, c’est lui qui donne le rythme. Avec son bout de tissu sur la tête, avec ses habits réappréciés de ses propres mains, Kanine inspirait un grand respect.
À propos de son tableau Repine commente : « Quel bonheur que Kanine n’ait pas pensé à se baigner ou se couper les cheveux, comme cela était arrivé avec d’autres modèles, venus coiffés et rasés jusqu’à en être méconnaissables. Il se présenta en avance, et, comme tous les gens sérieux, il posa sérieusement ; il savait prendre une position inhabituelle, et s’y adaptait facilement, sans me faire de problème ».

Ce tableau est une peinture de genre historique.
Il représente la réalité de la Russie tsariste du XIXe.
Ce dur travail était saisonnier, à l’automne et au printemps. Les haleurs parcouraient près de 35 km par jour en tirant les bateaux en amont, le groupe marchait au rythme de ses chants.
Ces hommes harnachés comme des bêtes de somme semblaient tirés le fardeau de souffrance de tout le peuple russe.

Repine présente le tableau à l’exposition universelle de Vienne en 1873 où il reçoit une médaille de bronze.

La toile a un succès immédiat et rend le jeune Repine célèbre dans toute l’Europe. Mais en Russie, le tableau divise. Les conservateurs reprochent au peintre d’avoir donné de la Russie une image arriérée et les progressistes eux, célèbrent la modernité de Repine qui entraîne le regardant dans une profonde réflexion sur la condition humaine.

Il vend le tableau pour 3000 roubles au Grand-Duc Vladimir Alexandrovitch.

Conséquence du succès de ce tableau, Repine reçoit le soutien financier de l’Académie de Saint Pétersbourg qui lui permet de se consacrer entièrement à la peinture.

Ce tableau est le premier tableau célèbre de Repine.


Composition

Sous une lumière dorée Repine représente onze haleurs, harnachés et inclinés vers l’avant dans un effort collectif et épuisant.
Malgré leur pauvreté et la dureté de leur vie, ces haleurs sont dignes.

Les haleurs ont la peau tannée par le soleil et portent des vêtements usés jusqu’à la corde. Chacun est investi d’une identité propre, avec des traits individualisés et diverses formes de résignation à la résistance dont témoigne la position des corps.

L’horizontalité de cet imposant tableau souligne l’effort des personnages hâlant une lourde barge, attelés comme des bêtes.
Au centre un personnage casse la ligne. Il est vêtu de rouge, il est jeune et s’est redressé.

La ligne d’horizon découpe la toile en deux parties égales.

Dans la partie supérieure, le ciel se dilue dans les nuages roses, bleus et blancs, sculptés par la lumière.
Dans la partie inférieure, la Volga s’étire jusqu’à l’horizon, elle occupe le second plan. L’eau de la Volga sublime la lumière dorée.
Au premier plan La colonne de personnages évolue sur un chemin de halage. Les berges de la Volga sont sablonneuses. Dans l’axe des bateliers, le voilier qu’ils halent est immense parce que tout près de la colonne. Plus loin dans l’axe du voilier halé par les hommes, la fumée d’un bateau à vapeur s’inscrit dans l’horizon. Sur la gauche de la toile et sur la ligne d’horizon -délimitée par la berge opposée, un voilier navigue. La voile gonflée par le vent nous indique que le vent souffle à contre-sens pour les bateliers.

En amenant les personnages au bord du tableau le peintre abolit la distance entre le regardant et ses figures.

Le regardant participe à l’effort qui est optimal. Les hommes s’enfoncent dans le sable à chaque pas et doivent lutter contre le vent contraire.
Le regardant ressent la force, le dévouement des bateliers.

 

Analyse

I- Le réalisme européen

« Je ne peux pas peindre un ange, car je n’en ai jamais vu », affirmait Gustave Courbet en des termes qui traduisent l’essence du mouvement réaliste qui se développa en Europe au XIXe.

Le réalisme est attaché à la représentation d’une réalité observable et à la fidélité à l’expérience visuelle.

Ce souci de dépeindre le monde contemporain et ses conditions de vie fit du réalisme un mouvement artistique autant qu’un manifeste sociopolitique.

Les figures monumentales des peintres européens furent un rappel pénible pour beaucoup du fait que le prolétariat était une réalité sociale désormais impossible à ignorer.

Au milieu du XIXe, la classe ouvrière qu’elle fût rurale ou urbaine, devint un nouveau sujet artistique.
Jusqu’alors les paysans étaient généralement insérés dans un tissu rassurant de sentimentalité artistique ou relégués à un simple rôle de faire-valoir.

II- Repine représente les ouvriers sans sentimentalisme ni idéalisation.

Contrairement aux peintres français (Millet, Daumier ou Courbet) dont les paysans privés de traits faciaux individualisés sont érigés en héros anonymes, le russe Repine personnalise ses ouvriers avec soin, prolongeant même leurs particularités faciales dans leur pose pour traduire la résignation, l’épuisement et le mépris, ainsi qu’un sentiment de dignité.
Le regardant voit distinctement les expressions de chaque visage et la douleur qu’il exprime.

III- Repine est le maître du réalisme social

La première fois que Repine a vu les haleurs il a été frappé par le contraste entre la souffrance humaine et la beauté naturelle environnante.

Il a réalisé des dizaines d’esquisses afin de représenter le plus justement possible et sans fioritures, le réalisme de la scène et le côté obscur et inconnu de la vie de ces paysans, bateliers saisonniers.

L’intention du peintre est de provoquer chez le regardant l’émotion qu’il a lui-même ressentie.

Il étudie minutieusement les attitudes des haleurs dont chaque geste est déterminé par l’effort physique.
Chaque batelier pose un pied devant l’autre perpendiculairement.
C’est la position du batelier dans l’effort, les hommes avançaient uniquement avec l’aide de la jambe de devant.
Ils avançaient la première jambe et trainaient l’autre derrière eux.
Et les chansons devaient se caler sur ce rythme.

Le regardant éprouve la violence de la misère et du labeur, ainsi que la capacité des haleurs à endurer la souffrance.

Repine met son pinceau au service du peuple en peignant ses conditions de vie.

Le souhait de Repine est de communiquer au regardant son sentiment de révolte contre les conditions de vie imposées aux paysans à l’époque tsariste.

Ce travail de halage est exténuant et les paysans s’exécutaient parce qu’ils avaient désespérément besoin d’argent.

Si la toile préfigure la révolution russe à venir, le réalisme de Repine est social, pas socialiste.

La toile de Repine a fait des haleurs le modèle de la malédiction du peuple russe.

Dans l’imaginaire russe, les bateliers (appelés bourlakis) sont comme les mineurs de Zola en France, l’incarnation de ce que le peuple a pu endurer de plus terrible.
Le chant des bateliers est encore connu de tous les russes. 
C’est la chanson de Balakirev : « Volga, rivière maternelle, immense et profonde ».

 Ce tableau offre un aperçu de la vie des bateliers de la Volga mais aussi de toute cette Russie en loques.

En même temps le regardant est subjugué par les couleurs de la toile magnifiées par la lumière. Repine emploi une palette lumineuse qui traduit l’empathie qu’avait le peintre pour ces personnages.

Un rayon de lumière dorée qui flatte les visages tannés par le soleil et porte un message, c’est le reflet de l’âme russe :

Les bateliers de la Volga sont devenus l’incarnation du destin de l’homme russe éternellement malmené par la vie mais, malgré tout, encore et toujours debout.
Ce travail de batelier s’accorde avec le tempérament de l’homme russe.

Les bateliers représentent l’essence de l’homme russe.
L’homme russe résigné au travail et qui reste philosophe face aux épreuves.
L’homme russe ne se révolte pas, il accepte sa vie telle qu’elle est puisque « c’est Dieu qui l’a voulu ».

Au fond du tableau, un navire à vapeur
Il est très loin, mais bien présent. Il incarne le progrès.
Repine représente le futur qui s’avance à grands pas et rendra obsolète le travail des bateliers

IV- D’autres peintres russes ont immortalisé les haleurs appelés bourlakis

La Volga est le plus long fleuve d’Europe, elle irrigue du nord au sud les plaines de Russie. Pour les habitants, la Volga touche au sacré, ils la surnomment « la petite mer adorée »

Bourlakis –1866 de Vassili Verechtchaguine, soit six ans avant la toile de Repine.

Volga sous Yourievets –1869 de Alexeï Kondratievitch Savrosov

Le travail est devenu obsolète avec l’apparition des bateaux à vapeur et le gouvernement soviétique a officiellement interdit les haleurs en 1929.


V- Les haleurs d’aujourd’hui

Incroyable et pourtant vrai les russes d’aujourd’hui payent des week-end au bord de la Volga pour s’harnacher comme le faisaient les haleurs du temps de Repine.

Article de Lorraine Millot, lu dans le journal Libération du 9-07-2007 :

« Attelés comme des bourrins, ce sont cinquante hommes et femmes ce dimanche qui plissent le front, bombent le mollet et ploient sous le poids d’une barge censée transporter du blé sur la Volga. Les fameux haleurs russes ­- qui, du XVIIe au XIXe siècle, tiraient les bateaux chargés de sel, de tissus ou de céréales pour remonter les grands fleuves du pays – ont repris du service. Sauf qu’il s’agit là d’une assemblée de médecins, déguisés en gueux le temps d’une après-midi …
En Russie, où le travail de forçat n’est pas un souvenir si ancien, le symbole est fort : le pays s’est tellement développé ces dernières années qu’il peut s’amuser à revivre les douleurs d’antan…
Pour la troisième saison consécutive, une agence touristique d’Ouglitch, petite ville des bords de la Volga, à 225 kilomètres au nord-est de Moscou, propose cette attraction, très demandée. « Cette année, nous avons à peine le temps d’entretenir notre barge, tant il y a de groupes qui s’inscrivent pour venir jouer les bourlakis », s’amuse Elena Kapoustina, directrice de l’agence Poutnik ».

Repine doit se retourner dans sa tombe !

Je vous ai parlé de Germinal. En France on visite les mines du Nord Pas de Calais qui font partie intégrante de l’histoire du bassin industriel ; elles ont façonné le paysage avec leurs terrils et leurs puits.
En France on ne joue pas aux mineurs.
Et parce que l’histoire a parfois été tragique dans ces puits, les visites des mines sont organisées pour ce souvenir et perpétuer la mémoire.

Perpétuer la mémoire, c’est aussi l’argument des russes…

 

Conclusion

L’œuvre de Repine est considérée comme un jalon essentiel de l’histoire de la peinture russe des XIXe et XXe.

Le peintre considère qu’il a pour mission de montrer les griefs sociaux, de les critiquer et d’apporter des changements.

Repine aspire à ce que sa peinture reflète la diversité des existences tout en désirant plaire au public aussi son œuvre compte de nombreux portraits.

J’ai retenu celui de Modeste Moussorgski et l’un de ceux qu’il consacra à Léon Tolstoï qu’il représenta pieds nus ancré au sol et en paysan, ce qui dénote une proximité avec l’écrivain, celui-ci ayant comme première ambition de se fondre dans le peuple.

Repine est le plus important représentant du réalisme russe.
Le peintre s’efforcera toute sa vie de conserver un lien avec sa ville natale et avec l’Ukraine. Les motifs ukrainiens prennent une place importante dans son œuvre.

Repine est le peintre de l’âme russe.

C’est la guerre totale dans le Donbass

Orage sur la mer -1824-28  John Constable
Huile sur papier marouflé sur toile
Collection de l’Académie Royale des Arts à Londres

 

Le Donbass est la cible de frappes intenses.
C’est l’horreur au quotidien depuis plus d’un mois.

L’armée ukrainienne à le moral en berne.
Les russes pilonnent sans discontinuer.

Sievierodonetsk est la bataille clef du Donbass
L’offensive des russes s’accélère.
La Russie a l’avantage en matière d’artillerie, de blindés et d’hommes.

Le ministre ukrainien de la défense annonce 100 soldats tués et 500 blessés chaque jour.

L’armée ukrainienne se retire de la ville de Sievierodonetsk.
Le projet est de « consolider leurs forces sur des positions où elles peuvent mieux se défendre ».

L’Ukraine nous demande des armes pour renverser les russes.
Kiev a besoin d’une aide occidentale « constante ».

Pendant ce temps la résistance s’organise dans les zones occupées en Ukraine,
La guérilla est le cauchemar des russes.

« La population locale continue à opposer une résistance totale » écrivait l’état-major ukrainien.

« Les autorités ukrainiennes ont mis en ligne un site pour coordonner l’action de résistance, qui donne des instructions pour commettre des sabotages, contourner la censure russe et publie des informations sur les actions menées contre l’occupant russe ».

Sources : Le journal LCI et Le Monde