Retable du miroir du Salut – 1435 K. Witz

Face externe – volet gauche :
Ecclésial (haut gauche),  Gabriel (haut droit)
St. Augustin (bas gauche)

Face externe -volet droit :
Synagogue (Haut droit),  St.Barthélemy (bas gauche)

Face interne -volet gauche :
Antidater devant Jules César (haut gauche)
Esther devant Assaérus (haut droit)
L’empereur Auguste devant la Sybille de Tiber ((bas droit)



Face interne, volet droit :
La reine de Saba devant Salomon (haut gauche)
Abraham devant Melchisedech (haut droit)
SabbothaÏ et Beneja (bas gauche)
David et Avishai (bas droit)




La pêche miraculeuse -1444 Konrad witz

 

Konrad Witz (1400 – 1445)

 

La pêche miraculeuse

1444

Détrempe sur bois de sapin rouge marouflé

Dim 132 x 154 cm -hors cadre

Conservé au Musée d’art et d’histoire de Genève, Suisse.

 

Le peintre

C’est un peintre suisse. Il est formé par son père avant de découvrir l’art flamand et l’art bourguignon. En 1431, Il s’établit à Bâle en ayant vu les œuvres de Robert Campin et de Van Eyck. En 1432 ou 37, il exécute son premier retable dit
Du miroir du salut. Parmi les panneaux du ce retable, celui de la Synagogue est l’un des plus accomplis. On y trouve la hardiesse des coloris et la liberté de la facture. La composition est dominée par trois couleurs jaune, bleu et rouge, toutes assorties au fond gris. Ce triple accord fait de la Synagogue un panneau exceptionnel dans la peinture allemande de la première moitié du XVe.
En 1434, il est admis dans la corporation du Ciel, regroupant les artistes et les selliers. En 1435, Il est reçu au nombre des bourgeois et établit un atelier prospère. Il a probablement voyagé en Italie en 1439-40 en suivant les déplacements du concile, de Bâle à Ferrare et de Ferrare à Florence.

Sa carrière s’étend sur une dizaine d’années. Son catalogue comprend plus d’une vingtaine d’œuvres, conservées dans divers musées.

C’est un peintre important du courant gothique tardif du Haut-Rhin qui influença la pré-Renaissance au nord des Alpes.

 

Le tableau

Ce tableau fait partie d’un retable polyptyque qui se trouvait à l’origine dans le chœur de la cathédrale de Genève.

Le retable est une commande de l’évêque de Genève, François de Metz, pour le maître-autel de la cathédrale Saint-Pierre.

Initialement il était composé de quatre tableaux posés au recto et au verso de deux volets se refermant sur une pièce centrale. Ouvert il mesurait près de six mètres. Pendant la Réforme, les visages des personnages religieux ont été détruits, et la pièce centrale a disparu.
Après les dommages causés par l’iconoclasme de la Réforme -en 1535, les panneaux rescapés réapparaissent au XVIIIe. Une première restauration malhabile a lieu en 1835, suivie de deux autres en 1915 et 1917. Avec les nombreux repeints et reconstructions modernes -particulièrement en ce qui concerne les têtes, une restauration s’imposait. En 2011, une troupe d’experts s’est attelée à cette tâche durant un an et demi. La restauration de 2011 décide de conserver les visages reconstitués de manière arbitraire en 1915, même si ce ne sont pas ceux d’origine -les dégradations des visages d’origine les rendant pratiquement inexistants. Les faces extérieures représentent la scène appelée La pêche miraculeuse et La délivrance de saint Pierre ; les faces intérieures, peintes sur fond d’or, montrent L’adoration des mages (au dos de La pêche miraculeuse) et la présentation du donateur à la Vierge (au dos de La délivrance de saint Pierre).

Ce tableau doit sa célébrité à la représentation topographiquement correcte du paysage du « petit lac » extrémité occidentale du lac Léman.
Dans ce panneau, Witz situe la scène biblique au bord du lac de Genève et détaille avec précision, la campagne environnante.
On reconnait la colline des Voirons sur la gauche, le Môle au centre devant les neiges du Mont-Blanc et le petit Salève sur la droite.

Le tableau combine trois récits évangéliques : l’apparition de Jésus au bord du lac (Jean 21, 1-14), la pêche miraculeuse (Luc 5,4-11) et Jésus marchant sur les eaux (Matthieu 14, 24-33).

On note la double présence de Pierre, sur la barque et dans l’eau.

 

Composition

La composition s’étage en trois plans

Au premier plan le Christ s’avance dans l’eau en s’adressant aux pêcheurs et portant secours à Pierre.
Le second plan est occupé par le lac, avec une barque de pêcheurs sur la gauche, une tour et des maisons sur pilotis à droite. Dans la barque il y a trois pêcheurs qui remontent un filet plein de poissons et Pierre plus, deux rameurs -un à la poupe et un à la proue.
L’instant d’après Pierre se jette à l’eau au-devant du Christ.
La rive opposée du lac délimite le plan et marque l’axe du tableau
Au-delà, un troisième plan est un paysage vallonné précédé de pâturages et couronné par un ciel bleu nuageux.
Ce paysage occupe la moitié supérieure du tableau.

C’est une composition narrative et dynamique.
Chaque personnage représenté est dans l’action.
Les rameurs ont leurs robes qui volent au vent.
Dans la même image, Pierre est représenté deux fois, dans la barque et dans l’eau.
Les personnages inscrits dans le paysage, bien que miniaturisés, ont une fonction bien définie.
Tous servent le propos du peintre.

Witz est attentif à tous les phénomènes optiques.
Le Christ porte un manteau rouge, la couleur de la papauté.
Les cardinaux sont entièrement vêtus de rouge à partir du milieu du XIIIe.
Les deux rameurs sont également vêtus de rouge, Pierre porte une robe bleue.
Ces couleurs sont mises en valeur par la couleur verte qui domine la composition. Le vert de l’eau, le vert des pâturages et des arbres, le vert des montagnes.
Le vert de l’eau est nuancé par la lumière qui par transparence renvoie les reflets des pêcheurs, de Pierre et des rives.

 L’utilisation de la diffraction de la lumière est une nouveauté à cette époque. Les jambes de Pierre sont déformées sous l’effet de l’eau.
C’est la première fois que ce phénomène est représenté sur un tableau.

Le paysage occupe une place prépondérante dans la composition

Cette composition intègre le paysage du lac Léman.
L’authentification est sans équivoque, il s’agit du « Petit Lac » aux portes de Genève. De droite à gauche, le Petit Salève, le Môle pointu, les Voirons et, au fond le Mont-Blanc.
Cette vue cohérente est le premier portrait topographique de la peinture médiévale.
Les indications de la rive gauche du lac sont précises.
De droite à gauche on voit une partie de la tour de l’Ile, séparée des rives par les deux bras du Rhône. Elle se miroite, comme la ruine triangulaire, dans l’eau calme. Plus loin, on distingue sur pilotis, une partie du faubourg du Temple, quartier portuaire peu à peu conquis sur les marais. Derrière une estacade légèrement en oblique, les pierres de Niton. Une rive boisée s’étend jusqu’à la tour. Ce domaine appartient au duc Amédée VIII. Plus loin, s’étendent les grands communs de Hurtebise longés par un long mur, muni d’une porte. Sur la hauteur suivante, en partie cachée par la tour de l’Ile, sur la droite de la composition, on aperçoit encore une partie du prieuré Saint Victor.
Les terrains représentés sont coupés par des bocages et fermés par des haies.
Ces clôtures sont un signe de propriétés individuelles. La terre est riche et cultivée. La Suisse est un pays producteur de céréales.
Les routes témoignent de la circulation, interrégionale le long du lac Léman et rappellent l’importance stratégique de la ville comme centre économique.
Le peintre peint un lieu prospère.

Cette composition est l’une des plus savantes du XVe.

 

Analyse

I – Konrad Witz est un peintre novateur

Son œuvre favorise les effets de réel et s’émancipe du style gothique international aux  décors de théâtre, ornés et précieux.

Witz reproduit le réel jusque dans les moindres détails.
Ses architectures sont réalistes et solides.
Au loin, sur les rives du lac, les petits personnages ont tous une activité.
Witz s’intéresse aux reflets et aux ombres portées.
Il innove en représentant les effets de la diffraction de l’eau, lorsqu’il peint
les jambes de Pierre qui apparaissent déformées, en transparence sous l’eau.
La montagne la plus éloignée, le Mont Blanc est de couleur bleue.
Une allusion du peintre à la perspective atmosphérique des Italiens.

Les couleurs sont somptueuses, notamment les rouges, Witz travaille ses glacis.

Il a le sens de la composition, il sait animer son tableau.

Dans cette peinture le paysage joue un rôle dominant.
Ce tableau permet d’apporter des informations sur la disposition des bâtiments à cette époque. La transparence de l’eau révèle l’existence d’une « carronerie », une ancienne fabrique de briques.
Une carrière d’argile a réellement existé à cet endroit.

II – Witz fusionne et adapte plusieurs récits de l’Évangile pour servir son propos.

Ce tableau est un tableau narratif.

Witz choisi un cadre verdoyant pour dérouler une scène biblique « adaptée ».

Dans la scène biblique de la pêche miraculeuse, il y a deux barques, le lac est battu par les vagues et les disciples poussent des cris de peur et se prosternent dans la nacelle. De même le filet ne se déchire pas.
L’évangéliste Jean dit que Pierre se jette à la mer.

Dans ce tableau, dans la barque, seuls deux pêcheurs réagissent à l’apparition du Christ. Ces attitudes ne correspondent pas à la réaction collective décrite dans les évangiles.

Witz  remixe les épisodes des évangiles cités.

Leur dénominateur commun est la mise en valeur des rapports entre Pierre et le Christ.

Le tableau fait allusion à la situation de l’Église au moment du concile de Bâle, qui affirme la prééminence du rôle de saint Pierre.

Ce tableau est une commande.

Cette iconographie insolite est le souhait du commanditaire du retable :
Le cardinal François de Metz nommé évêque de Genève en 1426.
François de Metz est membre de l’ordre des bénédictins. Il assiste au concile de Bâle. L’évêque est l’un des électeurs de l’antipape, Amédée VIII nommé à la succession de saint Pierre par le concile de Bâle en 1440.
Amédée VIII devient le pape Felix V.

Le tableau est mémorial et politique.

La scène peinte se situe dans les terres du duc Amédée VIII de Savoie.
C’est pendant le concile que l’évêque François de Metz rencontre Konrad Witz et lui passe commande du retable La pêche miraculeuse.
Le concile débattait de la situation de l’Église, qui ne pouvait être consolidée qu’en réaffirmant la prééminence de l’apôtre Pierre voulue par le Christ lui-même.

Dans la scène, Witz peint le Christ portant secours à Pierre.

Pierre est évoqué à chaque fois que l’on affirme les vérités fondamentales de l’Église dans des moments de crise.

Amédée VIII hésite avant d’accepter la tiare. La raison principale de cette hésitation est purement économique : de quoi vivra le nouveau pape loin de Rome ? Les ressources parviendront du duché de Savoie à la tête duquel se trouvait Louis, fils d’Amédée VIII.
Les terres savoyardes deviennent les terres nourricières des cardinaux.

Le lac Léman est un lieu sûr, loin des enceintes protectrices de la ville.
Les personnages miniaturisés ne sont pas de simples accessoires pittoresques.
Les blanchisseuses travaillent au bord du lac et sèchent leurs draps au soleil. Les paysans labourent et travaillent les champs. Une bergère garde ses moutons.
Les cavaliers, derrière un drapeau savoyard, se dirigent vers Genève.

Chaque personnage tient son rôle de co-acteur de cette ambition politique.
Ils participent à l’état de paix et de bonheur qui allait du Jura aux côtes méditerranéennes et au cœur duquel se trouvait le bassin lémanique.
La procession des cavaliers, signifie qu’en 1444, un nouveau patron protecteur est en place à Genève.

Cette topographie concrète est un paysage politique.

C’est aussi un paysage sanctifié et saint,  un écrin pour les scènes bibliques remixées.
Le lac représenté symbolise le lac de Tibériade, dont les rives sont fertiles et les eaux poissonneuses, comme le lac Léman.
Le lac est une représentation du monde des hommes.
Seule la barque de l’église offre une protection.
Le tableau accentue la distance entre la divinité du Christ et l’humanité de l’homme. Le Christ vêtu de rouge, offre une impression de puissance inébranlable en contraste avec l’univers mouvant du lac.

La conjugaison équilibrée de tous ces éléments narratifs assure, grâce à un dosage juste, une balance subtile entre le réel et le visionnaire.

 

Conclusion

A l’époque de la Renaissance, les pays germanophones  étaient des principautés très indépendantes dont les villes riches et très actives sur les plans commercial et intellectuel encourageaient la production artistique.

Ce tableau est peint à l’aube de la Renaissance, et à la croisée des influences artistiques de l’Europe du Nord et de l’Italie.

Witz tient une place charnière dans le réseau dense de rapports entre l’art nordique et l’art italien,
Les sources nordiques et la veine italienne résonnent dans son œuvre.

Familier avec le Nord et le Sud, Witz est un peintre de liaison et de synthèse.

Witz , en terre savoyarde, fait le lien dans la trame artistique européenne.