Moi et le Village -Marc Chagall

Marc Chagall (1887-1985)

 

Moi et le village

1911
Huile sur toile
Dim 192 x 151 cm

Conservé au MoMA   – (musée d’art moderne à New-York)

 

Chagall entame sa formation artistique à Vitebsk (son village natal) et Saint Pétersbourg où il découvre les œuvres de Cézanne, van Gogh, Matisse et Picasso.
En tant que juif, l’accès à certaines régions de Russie, de même que tout séjour prolongé dans les grandes villes lui sont interdits.

« Je suis arrivé à Paris comme poussé par le destin » écrit-il dans Ma Vie. (son autobiographie). Chagall est en France en 1910, il se crée une nouvelle identité française et francise son nom Moishe Shagalov.

Les tableaux de Chagall sont empreints d’une thématique fantasque qui relève se son univers métaphorique personnel autant que du savoir chromatique russo-oriental qui lui a été enseigné.

 

Sujet

Moi et le village est un mélange de réel, de féerie et de poésie. Chagall peint son village natal Vitebsk (Ce village souvent présent dans ses toiles, fait pleinement parti de son identité) ; le village de ses rêves et de ses souvenirs.

 

Composition

Le tableau se compose d’une succession de plans et de personnages.

Au premier plan, à la même échelle, deux grands profils se font face, à gauche du tableau, une tête d’animal -celui d’une chèvre ; à droite du tableau un visage d’homme -celui du peintre. (Chagall aime s’introduire furtivement dans ses tableaux).

Au centre entre les deux profils, une branche fleurie tenue par la main du peintre.

Les profils et les fleurs sont contenus et liés dans un cercle coloré.

D’autres images se superposent :
Une femme trayant une vache (dessinée dans la tête de la chèvre).
Au second plan, un paysan portant une faux à l’épaule traverse l’espace, une femme, la tête à l’envers, lui indique le chemin.
Dans le haut du tableau, un village russe, avec des maisons sens dessus-dessous, le dôme d’une église orthodoxe et un pope qui regarde le paysan passer.

L’espace pictural se divise en multiples facettes : Les recouvrements et les transparences, les diagonales et les verticales, les trois plans participent au mouvement du tableau.

Le déséquilibre apparent de la composition et des personnages donne une lecture singulière du tableau.

Les contrastes des couleurs créent la lumière et participent d’une atmosphère.

Le vert et le rouge à droite du tableau, les bleu, blanc, rose et jaune à gauche du tableau intimement reliés à la matière sont unis dans un brassage intense de formes.

Ses constructions oniriques s’empilent dans l’espace.

Chagall combine les couleurs vives du fauvisme et du cubisme orphique avec des formes flottantes, déformées ou isolées.

Il ne tient pas compte des règles de la perspective et recherche de nouvelles façons de remettre le réalisme en question.

 

Analyse

Le rapport du langage et de l’œuvre peinte

Le mot et le texte sont au cœur de l’inspiration de Chagall.

Son autobiographie « Ma Vie » est une peinture en parole.

Dans son langage poétique les tableaux et les images se succèdent.

Ses tableaux ont un aspect calligraphique avec leurs traits dessinés, dérivant de l’écriture et laissant libre court à la spontanéité de l’expression.

Sa sémantique picturale procède d’objets mentaux complexes, de représentations issues de son imagination et d’une pensée associative.

Chagall joue sur l’échelle des personnages et privilégie la construction circulaire pour faire émerger le fil narratif de la composition.

Chaque strate du tableau représente un pan de souvenir.

Le souvenir d’enfance qui occupe une sensibilité, les récits entendus, les légendes colportées forgent l’image mentale de Chagall et créent son univers poétique.
Chagall peint son enfance, son village et sa vache« la vache dans notre cour dont le lait était blanc comme neige, la vache qui parlait de nous ».

Plutôt que d’imiter la nature, il présente l’art comme un « état d’âme » où les sphères temporelles et magiques peuvent cohabiter.

La vitalité et l’imagination qui impriment son œuvre sont sensationnelles.

L’homme et la chèvre se regardent les yeux dans les yeux, chacun portant des perles autour du cou. Des prismes circulaires suggèrent des corps cosmiques et le cycle permanent des saisons, tandis que la prédominance du rouge rappelle les icônes russes traditionnelles. Les activités à Vitebsk, telle la traite des vaches et la moisson, se superposent aux formes semi-transparentes qui se dédoublent pour former la tête de la chèvre et les collines du village. Le quotidien devient symbolique, le rameau fleuri que tient le peintre au visage vert suggère l’arbre biblique, et le paysan avec sa faux pourrait incarner la mort. L’église dans le fond soulignent la prédominance du christianisme.

Une régulation géométrique témoigne des leçons cubistes et orphiques libérant, sur fond d’art populaire russe, toutes les potentialités imaginaires et chromatiques de Chagall.

À ce titre Moi et le village est une œuvre marquante.

Il fait triompher son univers émotif et irréaliste propre, avec ses hiérarchies, ses mesures et ses amours : Moi, le village, le monde …

Jean-Louis Prat écrit « Marc Chagall …par la seule peinture, il exprime un monde où l’homme est l’essentiel de la pensée, où la poésie est une référence nécessaire, où la musique tout comme la danse sont l’écho de la vie, où les amoureux trahissent l’émotion de la rencontre, où la couleur dans son effervescence crée la tension subtile d’un imaginaire dont il veut à tout prix préserver l’unité et la beauté… il superpose la réalité à l’irréel sans pour autant être surréaliste et la magie de la couleur, alliée à celle des formes, révèle l’alchimie dont il se réclame sans cesse ».

 

Conclusion

Le style de Marc Chagall, juif originaire de Vitebsk en Biélorussie, mêle modernité et tradition, identité française et étrangère, imagerie judaïque et chrétienne ou populaire.

Le déracinement de Chagall se perpétue dans son rapport aux mouvements artistiques juifs, la recherche historique et ethnographique, le courant folkloriste, la peinture de genre et le renouveau théâtral.

Dans son autobiographie « Ma Vie » -1922 Chagall évoque les origines du terme
« surnaturalisme » forgé par Guillaume Apollinaire pour désigner son œuvre, et que le poète transforme ensuite en « surréalisme ».

Le monde flottant et onirique de Chagall est la juxtaposition singulière d’une imagerie et de symboles disparates à la fois préfigurant le surréalisme et illustrant la compréhension juive hassidique (les juifs hassidiques croient que l’âme des pêcheurs transmigre dans un animal après la mort) contemporaine des mondes physiques et mystiques.

Si son œuvre témoigne de sa connaissance de l’avant-garde française et russe, elle est tout à fait personnelle et enracinée dans les souvenirs de son pays natal.

Chagall est l’auteur de sa vie, d’une vie rêvée dans la perfection.

Dans un univers mécanisé où la poésie est exclue, les tableaux de Chagall proposent une vision du monde à la fois banal et fabuleux.