Le message de Mignonne

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Je dois à mes parents de ne pas m’avoir transmis de sentiment de haine.
Je ne suis pas raciste. Et lorsque je voyage je pense que j’ai la chance de vivre dans un pays formidable.

Mon enfance a été riche d’expériences qui m’ont construite.

Je me rappelle de l’une d’elle qui se passe en Auvergne en Haute-Loire.

Un grand pré, un pâturage, c’est l’été, le soleil est haut à midi, l’heure où l’herbe est chauffée à blanc.
Une jument de trait alezane qui répond au nom de Mignonne est plantée droite dans le soleil.
Elle est immobile, les yeux mis clos, le cuir de sa peau frissonne régulièrement pour se débarrasser des taons.
La seule ombre du pré est celle que projette son corps massif entre ses jambes.
Le chat est venu s’y réfugier, il est allongé de tout son long entre ses sabots.
La jument ne bouge pas.
C’est ainsi tous les jours quand le soleil est à son zénith.
Tous les jours sauf un.
Ce jour là j’ai éprouvé une émotion intense.

À l’autre bout du pâturage un troupeau de vaches encadré par les chiens suit le fermier venu les chercher pour les emmener à l’ombre de l’écurie.
Une vache ne suit pas le troupeau.
Elle reste à l’écart, cachée par trois petits arbres de clôture.
Elle s’accroche à la maigre ombre des arbustes.

J’observe la scène de la terrasse.

La vache est restée en retrait pour vêler toute seule.
Son dos brille de sueur, elle est entrain de mettre bas.
Bientôt apparaît un petit veau tout mouillé, hagard, incertain sur ses jambes raides.
La vache souffrant de la chaleur s’est couchée aux côtés de son veau.
Elle veille.

Les sabots de Mignonne claquent sur la terre craquelée du pré.
La vache tourne péniblement la tête.
Mignonne est dans son pré,  la vache était de passage.et le fermier conduit rarement son troupeau jusqu’ici.
Elle ne se connaissent pas.
Mignonne, avance d’un pas régulier, droit sur la vache, elle s’arrête devant elle et ébroue sa crinière.
Elles se dévisagent. et la vache se lève péniblement.
La jument contourne le veau et prend la place de la vache.

C’est la première et la dernière  fois de ma vie que je verrai Mignonne dans cette posture.
Je n’en crois pas mes yeux de voir cette grosse masse précautionneusement couchée aux côtés du petit veau.

La vache s’est éloignée et rejoint très lentement un point d’eau à l’autre bout du pré.
C’est une vieille baignoire alimentée par une citerne d’eau de pluie.
La citerne est vide, il reste un peu d’eau au fond de la baignoire.
La vache a terriblement soif.
Elle a confié son petit veau à la jument et s’avance résolument vers la baignoire..
La jument surveille.

Mignonne se lève pour laisser la vache reprendre sa place et retourne à l’autre bout du pré.

Je suis très impressionnée par le spectacle que je viens de voir.

Papa Maman, Mignonne a remplacé la vache!
Mignonne a donné son eau!

 C’est le triomphe de la générosité et de l’attention sur l’indifférence .

Lorsque la bêtise des hommes m’impatiente je me calme en me remémorant cette scène..

Mignonne m’a transmis le message essentiel de prendre le temps de regarder et d’écouter l’autre.

 

Oedipe explique l’énigme du sphinx -Ingres 1

Jean -Auguste-Dominique INGRES (1780-1867)

 

Oedipe explique l’énigme du sphinx

1808
Huile sur toile
Dim. 189 x 144 cm

Conservé au Louvre

 

J-A-D INGRES

1780 Naissance à Mautauban
1792 à 1797 son Père, peintre et sculpteur encourage ses penchants artistiques, le dessin et le violon. Il se forme à Toulouse à l’académie des Beaux Arts
1797 Il arrive à Paris et intègre l »atelier de David
1801 Il remporte le prix de Rome
avec le tableau Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon
1806 Ingres découvre l’Italie, Rome, Raphaël et le Quattrocento qui marquent définitivement son style. Il restera vingt ans en Italie.
1624 Il présente au Salon à Paris un tableau qu’il destinait à la cathédrale de Montauban le : Vœu  de Louis XIII. Ce tableau remporte un vif succès.
1835 à1840 il est directeur de l’Académie de Rome
1855 à Paris à l’exposition universelle une salle entière est consacrée à ses oeuvres
1862 Il participe à la vie politique en faisant partie du Sénat
1867 Il meurt à Paris


Le tableau

Œdipe explique l’énigme du sphinx (1808) est un envoi officiel de la Villa Médicis (Rome). Ce tableau à l’origine une étude de figure, fut repris en 1827 par Ingres qui le transforma pour en faire un tableau d’Histoire : IL agrandit la figure du Sphinx et ajouta le personnage du second plan.
Ces agrandissements n’interfèrent pas sur le fait qu’Oedipe soit une figure d’une harmonie formelle exceptionnelle.
Ingres compose ici une œuvre, où l’intelligence exprimée par la beauté classique du corps triomphe de la bête et de l’obscurité?.


Le Mythe

Œdipe, personnage au destin extraordinaire et à la situation familiale complexe, est en train d’affronter le sphinx, ce monstre au corps de lion, à la tête de femme et aux ailes d’oiseau de proie, envoyé par les dieux (Héra, Apollon ou Hadès selon les versions) pour punir les Thébains.
C’est un défi de l’esprit qui se joue ici, et non du corps et de la force.
Le sphinx pose effectivement son énigme fatale : « Quel est l’être qui a quatre pieds le matin, deux le midi et trois le soir ? »
à laquelle Œdipe répond :
« L’homme », symbolisant le passage du temps sur lui- même lorsqu’il marche à quatre pattes enfant; debout à l’âge adulte et en s’aidant d’une canne au soir de sa vie…


Description

Le triomphe d’un homme sur un monstre.
Un environnement rocheux,
Dans le coin gauche du tableau,  la plante d’un pied surgit d’une cavité sombre, à coté, un squelette humain.
Au premier plan, un homme jeune au corps musclé et nu, penché en avant, dos arrondi, coude gauche en appui sur son genou gauche,  le pied  posé sur une roche. Sa main droite retient un drapé rouge et deux lances pointées vers le bas. IL est de profil face au monstre.
Dans la moitié supérieure gauche et faisant face à l’homme, le monstre, également de profil, et dont on ne voit que la moitié du corps, aux pattes de lion, à la poitrine et à la tête de femme et avec des ailes d’oiseau de proie. Il  regarde l’homme dans les yeux et sa patte gauche est levée.
Dans le coin en bas à droite, un homme barbu en torsion, tête et bassin tournés vers l’homme du premier plan, et le monstre.. Ses épaules et ses bras sont en direction de la ville que l’on devine au loin. Le drapé rouge qui l’enveloppe vole au vent.

La lumière est traitée en clair-obscur avec un contraste important : le personnage est baigné dans une lumière vive, alors que le haut et l’arrière plan gauche sont très sombres, la tête du monstre est dans la pénombre, son corps est dans la lumière.

Répondant au style néo-classique, les contours sont nets, bien dessinés.
On observe une dominante de brun avec des touches de rouge et des nuances de bleu dans le fond.


Composition

Ingres a peint son étude de figure d’après un modèle vivant. Il fit poser celui-ci dans l’attitude de la statue antique Hermes à la sandale. Cette pose met en valeur les muscles du corps du modèle, sa force et sa détermination.
La posture de l’homme dessine un demi-cercle dans lequel son corps s’inscrit. La lance construit une oblique forte, contre balancée par celle suggérée par son avant bras gauche. Le tout dessine des formes géométriques harmonieuses.
Le spectateur entre dans le tableau par le jeu des regards .
Le spectateur regarde le sphinx, le sphinx regarde Œdipe, Œdipe regarde le sphinx. Ainsi la question de l’énigme du sphinx est renvoyée au spectateur.


Analyse

C’est un tableau narratif.
Œdipe est traité en héros triomphant.
Le titre permet d’identifier les deux figures au premier plan: la créature hybride est le Sphinx, l’homme devant elle est Œdipe.
La connaissance du mythe permet de comprendre l’instant figuré par le peintre  grâce à la posture du personnage principal. C’est une attitude de réflexion soulignée par l’index d’Œdipe, elle renvoie à la réponse qu’il apporta à l’énigme du sphinx. Le sphinx valide la réponse d’Œdipe en levant la patte.
La ville à l’arrière plan est Thèbes, devant laquelle la créature s’était posée selon le mythe. L’homme en mouvement est peut-être un compagnon d’Œdipe ou un voyageur effrayé par le sphinx.
Le pied et le squelette du 1er plan illustrent le mythe du sphinx. Ces sont des victimes mortes de n’avoir su résoudre l’énigme.

Le thème de l’oeuvre est celui du triomphe de l’intelligence et de la beauté humaine. C’est aussi une scène de l’homme face à son destin puisque l’exploit d’Œdipe l’amène à devenir roi de Thèbes et à épouser sa mère.


Conclusion

La suprématie de l’intelligence humaine sur la bête telle est la démonstration philosophique d’Ingres dans cette oeuvre.
Le peintre use de son savoir faire technique pour mettre en valeur la beauté plastique du corps humain.
De la référence à l’idéal de beauté hérité de la statuaire grecque antique, à l’harmonie des courbes et des lignes, du travail minutieux du clair-obscur au modelé du corps, tout dans ce tableau est mis en oeuvre pour mettre le héros valeureux « en lumière »

En 480 av JC, on  trouve le mythe illustré sur une céramique peinte, un attique à figures rouges
Depuis la fin de l’Antiquité le sujet du mythe du sphinx a été rarement traité.
En revanche à partir du XIXe il passionna de nombreux artistes.
En 1864 Gustave Moreau l’a illustré sur un tableau
En 1983 Francis Bacon fait de même

Madame Récamier-David

Jacques-Louis DAVID
(1748-1825)

Madame Récamier, née Julie, dite Juliette, Bernard

1800
Dimensions 174 x 224 cm
Huile sur toile
Conservé au Louvre

J-L David
1764-1773 formation
1774 il gagne le prix de Rome et part à Rome
1780 Retour à Paris
1781 Remarqué par Diderot le tableau Les funérailles de Patrocle est un succès
1782 il ouvre son atelier
1783 David est reçu à l’académie Royale de peintures et de sculptures avec
La douleur d’Andromaque
1785 Avec Le serment des Horaces David devient le chef de file de la nouvelle école de peinture, le néoclassicisme.
Parallèlement à sa vie de peintre, David mène une activité politique.
Il soutient Robespierre.
1790 il prend la tête de la « commune des arts ». Il obtient la fin du  contrôle du Salon par l’Académie des Arts et participe comme commissaire adjoint au premier « Salon de la Liberté ».
1792 il se radicalise
1793 il vote la mort du roi et peint Marat assassiné
1795-98 il peint les Sabines
Mis à mal pendant le Directoire, il est emprisonné
1797 il rencontre Bonaparte et se met à son service.
Il réalise pour lui sa plus grande composition Le sacre de Napoléon

Chef de file du mouvement appelé le néoclassicisme, David opère une rupture avec le style libertin de la peinture rococo du XVIIIe
Son oeuvre est constituée principalement de tableaux d’histoire et de portraits. Dans son atelier se sont formés de nombreux artistes venus de toute l’Europe, les plus célèbres de ses élèves sont Girodet, Gérard Gros et Ingres.

Au moment où David exécute son portrait, Juliette Récamier a 23 ans. Célèbre pour sa beauté et son esprit, elle réunit dans son salon parisien les plus grandes célébrités du monde politique, artistique et littéraire. Son salon sera fermé en 1803 sur ordre du gouvernement qui le considère comme l’un des principaux foyer de l’opposition au premier consul Bonaparte.

Composition

Le format horizontal est insolite pour un portait.
Ce format étant utilisé pour les tableaux d’Histoire.

David réalise un portrait sans décor ni artifice

Madame Récamier occupe le centre du tableau.
Elle est semi-allongée sur le coté, le haut du corps tourné vers le spectateur dans un mouvement de torsion.  Elle est vêtue d’une robe blanche à l’antique dont le bas retombe en drapé sur le sol. Ses cheveux  cours et bouclés sont ceints d’un large turban. Elle est pieds nus. Son bras gauche s’appuie sur deux coussins, le droit est posé sur sa jambe .Le mouvement du torse et son regard animent le tableau et rendent le portrait vivant.

Le cadre est dépouillé. Au pied de la méridienne un tabouret et à gauche du tableau un candélabre ces meubles pompéiens sont caractéristiques du style « empire » qui est à l’avant garde de la mode

Le  haut du candélabre marque le départ d’une diagonale qui suit la ligne du corps et donne à la composition son équilibre.
David crée un espace autour de la jeune-femme qui met en valeur l’arabesque élégante du corps.
L’harmonie claire de l’ensemble est valorisée par les tons chauds des meubles.

Le tableau est inachevé : les accessoires, les murs et le sol sont restés à l’état de frottis avec des accords de bleu de jaune d’ocre et de brun pour le fond et un frottis léger et vibrant pour le sol.

La facture de ce tableau échappe  au néoclassicisme, ce n’est pas un tableau au rendu lisse.

Analyse

Le portrait rompt avec les portraits traditionnels qui sont plus resserrés sur les visages des modèles.
David crée une distance entre le spectateur et la jeune-femme.
Le mobilier et la robe sont d’une grande simplicité.
La sévérité de l’antique est atténuée par la grâce du modèle, les courbes souples des bras, des lignes du dos et du cou, ainsi que par le délicat visage au regard profond.

Il s’agit d’un portrait idéal d’une époque qui s’exprime à travers une simplicité recherchée et un goût raffiné.
Madame Récamier représente la nouvelle société, symbole de l’ascension sociale, elle est l’image d’une grande bourgeoise, l’image d’un monde neuf, sans origine.

David d’abord comme portraitiste minutieux des notables de l’ancien régime (Portrait de Lavoisier et de sa femme) réalise ici un portrait à la psychologie subtile et peint un tableau au « singulier mélange de réalisme et d’idéal » jugera Delacroix.

Par la volonté de David, le tableau restera inachevé.
Il dira « Madame les femmes ont leurs caprices, les artistes aussi. Laissez moi satisfaire le mien. Je laisse votre portrait dans l’état où il se trouve ».
Le portrait est parfait et son inachèvement est devenu esthétique.

Madame Récamier a commandé un autre portrait au peintre Gérard.
Achevée en 1805, l’oeuvre plus maniérée met en lumière la modernité du portait de David.

Parce qu’il a mêlé avec passion son engagement politique et son oeuvre de peintre, David fut l’un des artistes les plus admirés et les plus honnis de son temps.