Vue de Pirna, prise du château de Sonnenstein – vers 1759-1760 – Bernardo Bellotto

Bernardo Bellotto (1722-1780)

 

Vue de Pirna, prise du château de Sonnenstein

Vers 1759-1760

Huile sur toile
Dim 55 x 75 cm

Conservé au musée national de Varsovie, déposé en 2004 au musée du Louvre

 

Peintre

Bernardo Bellotto naît à Venise. Formé par son oncle Canaletto à la peinture de paysages urbains, Bernardo Bellotto est inscrit à 17 ans à la corporation des peintres de Venise. Il travaille dans cette ville entre 1738 et 1742 avant d’entreprendre de nombreux voyages dans les grandes villes européennes qu’il représente dans ses toiles (Dresde, Florence, Vienne, Varsovie).
En 1747, Bernardo Bellotto quitte définitivement l’Italie.
Nommé peintre de la Cour en 1748, il reste au service de Philippe-Auguste à Dresde, jusqu’en 1758. Au cours de cette période il réalise 14 Vues de Dresde et son chef-d’œuvre, les 11 Vues de Pirna. Il reprendra cette série en formats réduits pour plusieurs amateurs particuliers.
Il est invité en Autriche par l’impératrice Marie-Thérèse.
En 1761, il est à Munich. Puis retourne à Dresde en 1762.
En 1767 le roi Stanislas Poniatowski le retient en Pologne, Bernardo Bellotto s’installe à Varsovie.
Le roi le nomme peintre de la cour en 1768.
Il réalise dans cette ville ses plus belles toiles.

Après la Seconde Guerre mondiale, Varsovie sera reconstruite d’après les tableaux réalisés par Bellotto.  Témoins silencieux de l’ancienne beauté de Varsovie, la précision de ses tableaux a participé à la reconstruction de la ville.

Peu de peintres ont autant fait pour une ville que Bellotto pour Varsovie.

 

Le tableau

Ce tableau conservé au Musée du Louvre est une réplique réduite autographe, exécutée vers 1759-1760, d’un tableau peint en 1753-1755.

Collection du Chancelier Prince Wenzel (1711-1794) à Vienne.
Vente de cette collection en 1820 à la famille Potocki à Cracovie.

Après 1945, le tableau est au musée national de Varsovie.

Prêt de longue durée au Louvre, à partir de 2004.

 

 Composition

Ce tableau est réalisé avec précision et réalisme des détails.

Le sens du détail de Bernardo Bellotto est impressionnant.
Visages, costumes, détails architecturaux sont d’une richesse d’exécution remarquable.

Bernardo Bellotto use d’une technique suggestive, les “détails” sont proposés à l’imagination du regardeur.

Le rendu de l’atmosphère, l’importance donnée au ciel, l’intensité du clair-obscur au premier plan sont saisissants.

Bernardo Bellotto est attentif à la représentation des nuages et des ombres.
Le peintre souligne les contrastes d’ombre et de lumière et la tonalité assombrie.

Le premier plan très développé, est dans l’ombre.
À gauche de la composition, les toits de la ville, dans l’axe du tableau, un canon est gardé par des soldats.
Le second plan est dans la lumière.
À droite de la composition, s’élève le château, au centre une douve et des figures.
Le premier plan dans l’ombre rend lumineux le second plan dans la lumière.
Le fond du tableau est occupé par un bras de mer avec un voilier, au-delà, la montagne s’élève, en perspective atmosphérique.

Bellotto joue avec les lignes. Verticales, courbes, diagonales, horizontales, obliques, s’entrecoupent, tourbillonnent et rythment la composition.

L’espace, largement ouvert sur le bras de mer, éclaire le château d’une belle lumière qui accentue la précision des formes et la réalité des personnages.

La présence des personnages concourt à la véracité de la scène.
Les figures sont soulignées par des points de peinture blanche. Elles créent l’ambiance, animent la scène et rendent le tableau vivant.
Les figures sont décimées sur tous les plans. Tout un petit peuple s’agite devant les façades du château.

Au premier plan, dans l’ombre on devine des soldats en armure autour d’un canon.
Au second plan, dans la lumière, au bord d’une douve, deux autres soldats, une femme assise à ses côtés et un troisième soldat semble allongé. Sur la droite de la composition, une femme tient son enfant sur ses genoux Plus loin sur les remparts, deux personnages regardent la scène du premier plan et sur la droite de la composition un soldat est de dos.
À l’arrière-plan, sur le bras de mer, un voilier avance, la voile gonflée par le vent, on distingue l’équipage sur le pont.

L’espace peint rassemble plusieurs points de vue.
Le regardeur a un point de vue surplombant.

Bellotto utilise la perspective linéaire pour créer l’illusion de profondeur et de réalisme de son tableau. C’est une construction en diagonale de la perspective.
Bellotto distord sa perspective et anime un espace élargi, dilaté.
Il favorise ainsi en élargissant le cadre de la composition, l’illusion de continuité entre l’espace peint et l’espace réel. Cette vaste perspective et cet imposant château s’insèrent naturellement dans le tableau.
La visibilité de l’espace n’est pas définie par sa profondeur mais par son étirement.

Les couleurs sont froides et intenses. Les bruns et les verts sont saturés, son ciel, chargé de lourds nuages, est d’un bleu froid et les zones d’ombre sont puissantes.
Bellotto n’use pas de couleurs lumineuses.
Les couleurs saturées capturent parfaitement la lumière du soleil.

Cette composition est fraîche et vive.
Bellotto se distingue avant tout par son interprétation remarquablement intuitive des effets produits par le soleil ou les formations nuageuses, par  la perspective atmosphérique ou par la description des personnages vaquant à leur vie quotidienne.

  

Analyse

Au début du XVIIIe, une période de paix et de stabilité sous le règne de Frédéric-Guillaume 1er de Prusse permit aux pays germanophones de retrouver leur place dans l’histoire de l’art, après la fragmentation du Saint Empire romain germanique cinquante ans plus tôt.
L’influence italienne, qui avait prévalu au cours du siècle précédent, déclina devant le nouveau style français.

Tout au long de cette période, l’Église catholique constitua le plus important mécène.

Paris et la Prusse étaient étroitement liés depuis le tournant du siècle, au point que certains artistes allemands intégraient l’Académie parisienne.
Les peintres de la cour de Prusse ont donné à l’art de cette période un pigment bleu sombre, le bleu de Prusse, inventé à Berlin en 1705.
Cette couleur est constituée d’un mélange de potasse et de sang d’animal additionné de sulfate de fer, il s’agit du premier pigment synthétique moderne.
C’est le peintre Pesne qui le fit connaître aux artistes parisiens, dont Watteau, qui l’utilisa dans L’embarquement pour Cythère.

Venise est considérée comme la capitale des peintres représentant un paysage urbain, appelés les peintres védutistes.
Canaletto, Bernardo Bellotto et Francesco Guardi sont les peintres les plus représentatifs du genre.

Entre la fin du XVIIe et le début du siècle suivant, l’utilisation d’une chambre optique ou chambre noire, permet de reproduire la réalité avec une fidélité croissante, grâce à une perspective méticuleuse qui ne résulte plus de l’application des règles de la géométrie.

Cet instrument rend possible une peinture hyperréaliste tant les détails sont nets  ainsi les œuvres de Canaletto ont-elles permis d’établir des statistiques sur les marées dans les canaux vénitiens.

Le roi de Pologne Auguste III, voulu attirer Canaletto à sa cour.
C’est finalement son neveu et élève de prédilection, Bernardo Bellotto, qui partira pour Dresde, puis Varsovie.

Sous le règne de Frédéric-Auguste, Bernardo Bellotto réalisa une série de vues magistrales de Dresde et de la campagne environnante.


C’est à Dresde, que le style artistique de Bernardo Bellotto s’est pleinement développé.

Bernardo Bellotto, réalise des paysages urbains aux architectures très détaillées, comme cette vue de la ville de Pirna, près de Dresde.
Ses paysages urbains démontrent une maîtrise, de la précision topographique, de la perspective linéaire et du contrôle de la lumière et de la clarté d’exécution.

On retrouve dans ce tableau les éléments caractéristiques de son style, comme le paysage naturaliste et le ciel nuageux, traités dans une palette froide qui évoque avec précision le climat nord-européen.

Son tableau exploite un point de vue inhabituel.
L’activité au premier plan donne à la composition un échelle humaine rare chez l’artiste, qui est surtout connu pour ses vues panoramiques.
Les figures humaines ajoutent de l’intérêt visuel au tableau.

Les détails des bâtiments sont subordonnés à l’atmosphère ténébreuse créée par le ciel agité.
Le ciel est d’un bleu profond et le contraste des ombres et lumière est saisissant.

Bellotto suggère les détails plutôt que de véritablement les représentés.
Par exemple, l’homme de dos au second plan, est-il en train d’uriner ou bien regarde -t-il, par la fenêtre ce qu’il se passe à l’intérieur ?

Il conçoit et définit sa composition en fonction de la lumière.
C’est une lumière cristalline, froide qui unifie la composition et fixe les valeurs de l’espace.
Les effets de lumière du soleil et les ombres des bâtiments donnent de la profondeur et de la texture à son tableau.
La facture relativement rugueuse amplifie cet effet.

Le tableau produit une scénographie urbaine qui ne relève plus vraiment d’un réalisme illusionniste. Bellotto ne peint pas la réalité telle qu’elle est, il en propose une adaptation iconique.

La maîtrise de l’architecture équilibre la composition.
Les effets d’ombre et de lumière ajoutent une dimension à la composition.

Le tableau de Bellotto est marqué par l’aspect imposant, étendu, noble de la vue.

Le regardeur s’enfonce dans la composition géométrique de l’espace où se réfléchissent formes, motifs, couleurs et lumières.

La perspective de Bellotto offre à notre regard des points de vue que l’on ne pourrait pas percevoir à l’œil nu. En assemblant des éléments architecturaux et spatiaux distincts, le tableau ouvre sur un espace plus virtuel que réel.

Bellotto joue sur la dialectique du visible qui caractérise sa peinture, ses motifs architecturaux, leur perception visuelle.
Il ouvre le champ de la perspective,  élargit le champ de l’espace perçu par l’œil du regardeur.

Bellotto utilise les couleurs complémentaires pour créer des contrastes visuels et des effets atmosphériques.

Bellotto transcende la réalité et capture l’essence de ce qu’il voit.

Son oncle et maître Canaletto disait :
« Un bon tableau est un voyage dans un monde où les choses sont plus belles que dans la réalité… Le vrai but de l’art est de rendre visible l’invisible. »

Conclusion

Au fil de sa longue carrière et de ses voyages, Bernardo Bellotto laisse des séries extraordinaires de vues, témoignant de la diversité de son inspiration et de son étonnante capacité à se renouveler.

Bernardo Bellotto est mort à Varsovie. Contrairement à l’œuvre de son oncle Canaletto, largement copiée, la majorité des peintures de Bellotto ont été retrouvées dans les collections privées des royaumes européens.
De ce fait, il demeura un figure relativement obscure de l’histoire de l’art.

Ce n’est qu’au XXe qu’il a été redécouvert et correctement évalué.

Aujourd’hui ses tableaux sont conservés principalement à la Galerie de peinture des vieux Maîtres de Dresde et au Musée national de Varsovie.