Vénus et Cupidon -1625 Artemesia Gentileschi

Artemesia Gentileschi (1593-1652 ou 3)

 

Vénus et Cupidon

1625
Huile sur toile
Dim 96,52 x 143,83 cm

Conservé aux États-Unis, au musée des Beaux-Arts de Virginie

 

La peintre

Gentileschi est née à Rome en 1593 et morte vers 1652 à Naples.

Elle fait son apprentissage artistique dans l’atelier de son père Orazio, peintre maniériste et représentant du caravagisme romain. Elle apprend la rigueur du dessin, elle est très douée. Sa filiation avec Caravage date de ses années d’apprentissage.

Elle a 17 ans lorsqu’elle réalise son premier tableau : Suzanne et les vieillards.

Étant une femme, l’enseignement des beaux-arts lui est interdit. Son père lui donne un précepteur, le peintre Agostino Tassi. Tassi la viole. Orazio lui intente un procès où les pratiques judiciaires soumettent Artemesia à la torture. Pour prouver son innocence on lui enserre les doigts dans des entrelacs. Cet évènement est à l’origine de toute la violence de sa peinture.
Sa toile Judith décapitant Homopherne-1612-14, impressionnante de violence exprime son désir de vengeance et de revanche.

Elle se marie et s’installe à Florence. C’est une période féconde. Elle est la première femme à être acceptée à l’Académie de dessin. Séparée de son mari, elle s’installe à Rome en 1622 puis à Venise entre 1626 et 1629.
À Rome, elle rencontre Simon Vouet, les deux peintres s’apprécient. Elle va à Naples en 1630 et rejoint son père qui travaille à la cour de Charles 1er, à Londres en 1638.
Gentileschi retourne à Naples en 1642 pour y finir ses jours. En 1649 elle peint encore activement. Elle serait morte en 1653.

 

Le tableau

Vénus est la déesse de l’amour dans la mythologie romaine. Elle apparait dans ce tableau avec Cupidon, son fils et dieu de l’amour.

Étendue sur le lit, nue à l’exception d’une petite gaze vaporeuse, Vénus repose négligemment sur son coude et cambre le dos pour mettre ses seins en valeur.

On est dans une chambre éclairée en clair-obscur où la figure nue domine la toile. On distingue, la tenture et le bois du lit, au mur un grand tableau représente une campagne éclairée également en clair-obscur.

 

Composition

La composition tient dans un cadrage rectangulaire et s’articule sur deux plans.

Le premier plan est entièrement occupé sur toute la longueur de la toile par le corps nu de Vénus. À sa tête se tient Cupidon.
Au deuxième plan, la tenture du lit sur la droite du tableau et sur la gauche un grand cadre contenant un paysage occupe tout le fond du tableau.

Vénus est cadrée très serrée et légèrement en contre-plongée.

Ainsi le spectateur a le nez sur la figure.
Elle est mince, jeune et son corps est parfait. Elle est nue, allongée dans une pose sensuelle, ses paupières sont closes, les traits de son visage sont détendus. Elle dort, son expression et sereine et pleine de grâce. De son bras droit, on ne voit que la main posée au creux de sa hanche. Ce geste accentue la cambrure du dos. L’autre bras suit la ligne du corps.
La dormeuse est totalement détachée de son attitude provocante.

Cupidon veille sur elle. Son bras gauche enserre délicatement le coussin sur lequel repose le visage de Vénus. Il tient dans sa main droite levée au-dessus de sa tête un bouquet de flèches qui renvoi un rayon de lumière.

L’axe du tableau est un trou d’ombre perdu dans les replis de la tenture du lit. Les deux diagonales qui partent des coins inférieurs gauche et droit du tableau se croisent en bordure du bois du lit pour se fondre dans ce trou. Elles conduisent le regard du spectateur sur l’arrondi de la hanche qui est perpendiculaire à la deuxième ombre du tableau qui dissimule l’intimité de la jeune-femme.

En écho au corps lascif de Vénus, répond en arrière-plan, un tableau dans le tableau, une nature en clair-obscur qui épouse les lignes et les ombres du premier plan, où le feuillage épais prend le relais de la tenture, où le vallonnement du paysage rime avec les courbes du corps de Vénus.

À la Renaissance les Vénus endormies étaient représentées dans un paysage. En peignant une campagne au crépuscule baignée par une faible lumière éclairant un vallon, Gentileschi respecte l’iconographie des maîtres italiens.

La chair de Vénus est blanche, sculptée en un clair-obscur contrasté d’ombre et de lumière et sa pose inspirée du Cupidon endormi-1608 de Caravage, témoigne de l’influence soutenue de ce dernier sur l’œuvre de Gentileschi.

Gentileschi utilise trois couleurs dont les tonalités varient avec l’éclairage du tableau. Pour la Vénus elle utilise du blanc crémeux pour le torse et du blanc nacré pour le linge vaporeux qui glisse sur sa hanche. Sa couche est une draperie bleue lapis-lazuli (référence au monde marin et à Vénus anadyomène) le coussin sur lequel est délicatement posé sa tête est ourlé d’une passementerie d’or, sa couleur, assortie aux tentures de velours du lit est rouge-cramoisi.

Le rouge et le bleu, deux couleurs complémentaires, fortes, cadrent la toile et lui donnent son rythme.

Le corps de cupidon, dans l’ombre est d’un blanc ambré.

La composition, les couleurs et le coup de pinceau léger sont en accord avec les représentations sensuelles des maîtres italiens qui ont influencés Artemesia   Gentileschi.

 

Analyse

Au XVIIe, la nudité constituait un sujet épineux. D’un côté, la fascination que continuaient à inspirer l’Antiquité et la sculpture classique incitait les artistes à explorer les représentations du nu. De l’autre, les écrivains de la contre-Réforme critiquaient certaines tendances artistiques, jugées indécentes et susceptibles d’inciter à la luxure.

La sensualité des images pieuses devint plus problématique à mesure que le siècle avançait. La beauté des saints montrés quasi nus pouvait avoir des effets indésirables sur le spectateur. Le problème des nus féminins était encore plus contrariant pour l’Église. En l’absence de prétextes biblique ou mythologique, les représentations érotiques du corps féminin étaient rares au XVIIe.

Vénus et l’érotisme du corps féminin.

La lumière avec ses différents points d’éclairage rend le tableau accessible au spectateur et l’invite à entrer dans l’image.

La narration se fait par l’image.

Vénus prise dans la lumière est mise en scène de façon théâtrale. Sa silhouette est trop parfaite pour être naturelle, son corps plein, la vivacité vibrante de sa peau et son déhanchement sont ouvertement érotique.

C’est un nu érotique mais, Vénus n’est pas soumise au regard masculin car elle ferme les yeux.

Gentileschi confère à la femme une intériorité dont le spectateur ne prend pas toute la mesure.

La vénus aux yeux clos est absorbée par son propre mystère.

Vénus dort devant les yeux du spectateur. Elle personnifie la beauté, la beauté qui s’ignore. Divine et vivante à la fois, sa nudité provocante rompt avec les vulgarités et les appétits de la vie quotidienne.

Ce glissement des représentations antiques, du corps matérialisé par la sculpture, à l’image du corps idéal peint, permet de passer de l’image des dieux à l’image de la femme, de l’adoration au désir.

Giorgione est le premier à témoigner de cette évolution. Avec sa représentation du nu féminin, de Vénus il ne reste que le nom. Aucun attribut (myrte ou rose, pomme ou grenade, bélier, bouc, lièvre, cygne, tourterelle ou colombe), sa pose assoupie sera reprise par tous les peintres.

Cette pose récurrente permet au spectateur d’identifier Vénus.

Cupidon n’est présent que chez Gentileschi et Vélasquez.

La Vénus endormie –1510 de Giorgione et La Vénus d’Urbin –1538 de Titien précèdent Vénus et Cupidon de Gentileschi- 1625
Les formats sont à quelques centimètres près, identiques.
Suivront dans un plus grand format La Vénus au miroir de Vélasquez –1647 et
l’Olympia -1863 de Manet.

Trois attitudes : les Vénus endormies, celle de Giorgione fait un geste très sensuel pour cacher son pubis, celle de Gentileschi se déhanche. Elles dorment sans songer à leur nudité, l’érotisme est dans leur attitude.

Chez Titien et Manet, les Vénus sont éveillées et conscientes de leur nudité, l’érotisme est dans leur regard qui affronte et provoque le spectateur.

Quant à celle de Vélasquez, c’est une Vénus qui se regarde et tourne le dos au spectateur, mais est-ce bien elle qu’elle regarde…l’érotisme est dans les lignes de son dos et dans la conscience de son corps.

Gentileschi en déjouant l’image des Dieux et grâce à sa technique de peinture, emmène le spectateur sur le chemin du désir avec une représentation de Vénus dans laquelle le spectateur perçoit l’altérité de la figure qui le fait rêver.

 

Conclusion

Le procès du peintre Agostino Tassi pour le viol d’Artemesia Gentileschi et l’intérêt d’Artemesia Gentileschi pour le nu féminin et la violence féminine contre les hommes (La décollation d’Holopherne –1611-1612) ont suscité des lectures féministes de son œuvre.

Vénus et Cupidon est adaptée aux goûts de ses commanditaires masculins.

D’autres femmes peintres ont du succès à la même période qu’Artemesia Gentileschi qui est la plus brillante de toutes :
Deux maniéristes : Sofonisba Anguissola (1535-1625) est spécialisée dans le portrait, Lavinia Fontana (1552-1614) peint des portraits, des scènes religieuses et mythologiques.
Une baroque : Fede Galizia (1578-1630) peint des natures mortes et des portraits.

Artemesia Gentileschi est considérée comme une artiste majeure du courant caravagesque