Triptyque Donne – 1479-1480 Hans Memling

Hans Memling (1430-1494)

 

Triptyque Donne

1479-1480

Huile sur chêne

Dim : centre : 71 x 70,3 cm, volet : 71 x 30,5 cm

Conservé à la National Gallery de Londres

 

Le peintre

Hans Memling est un peintre primitif flamand d’origine allemande.
Il est né à Seligenstadt en électorat de Mayence vers 1435-1440, il devient citoyen de Bruges en 1465.
Avant de s’installer à Bruges, Memling travaille dans l’atelier bruxellois de Rogier van der Weyden.
Après la mort de son maître Rogier van der Weyden en 1464, Memling ouvre son atelier à Bruges en 1465.
Au XVe, la ville est une plaque tournante du commerce et de la finance où s’établissent des négociants et artisans de toutes nationalités.
Les peintres étrangers représentent plus de la moitié des artistes enregistrés dans le registre de la corporation à Bruges.
Dans cette cité florissante et prospère, Memling trouve des commanditaires. Sa renommée s’étend jusqu’en Italie. Il fait fortune, appartient à la guilde de Saint-Luc et devient notable.
Il a travaillé pour Jeanne de France, pour les Clifford, pour les Portinari, pour les Sforza.


Le retable

Hans Memling s’est représenté avec un chapeau rouge observant Jean-Baptiste dans le volet intérieur de gauche.

Commandé par John Donne de Kidwelly, diplomate gallois résident à Calais dans les années 1470, lors d’un de ces voyages à Bruges.

C’est un retable flamand à deux volets peint recto -verso.

 

Composition

La composition est rigoureusement symétrique et gouvernée par la verticalité.

Dans le panneau central, la Vierge est assise sur un trône formant baldaquin et tient son fils sur les genoux, dans une loggia ouverte sur un paysage champêtre visible à l’arrière-plan.
La Vierge retient l’Enfant de sa main droite et tient dans sa main gauche un livre de prières.
L’Enfant tourne les pages du livre de sa main gauche et se penche pour saisir de sa main droite une poire que lui tend un ange musicien.
Les deux anges musiciens sont agenouillés de part et d’autre de la Vierge, retenant leur instrument avec leur main droite.

Les donateurs sont agenouillés, aux pieds de la Vierge.
À gauche de la composition, John Donne, en prière, les mains jointes. Le velours noir doublé de fourrure qui l’habille, désigne son appartenance à la haute bourgeoisie. Il porte un collier d’or avec un lion en argent, emblème du roi d’Angleterre Édouard IV, autour du cou.
Face à John Donne, à droite de la composition, l’épouse, Elisabeth Hasting, porte un collier identique, sa fille est agenouillée derrière elle.

Derrière les donateurs, sainte Catherine présente John Donne à la Vierge alors que son épouse est présentée par sainte Barbe.

Dans le fond du tableau, s’étend un paysage verdoyant, dans lequel serpente une rivière. Ce paysage très élaboré, comporte un moulin, un pont et une tour.

Les vêtements sont peints avec minutie, en distinguant les différentes étoffes et les bijoux.

Sur les volets latéraux sont représentés les saints patrons de John Donne.
Saint Jean-Baptiste avec un agneau, sur le volet de gauche et
saint Jean l’Évangéliste tenant une coupe, sur le volet de droite.
Le paon derrière saint Jean l’Évangéliste, représente l’éternité.

 

Analyse

Qu’il soit peint ou sculpté voire les deux, le retable est une forme majeure de l’art européen.

De part son format et son emplacement, il était pour les artistes de la Renaissance, l’objet de commandes importantes.

Placé au-dessus de l’autel dans une église ou dans une chapelle privée, le retable représentait le personnage sacré auquel l’autel était dédié et procurait aux fidèles une source de méditation lorsqu’ils assistaient à la messe ou priaient.
Les églises étaient de véritables livres d’histoires religieuses et des petits musées exposant les œuvres des maîtres locaux ou étrangers.

Les grands peintres créaient des retables pour les notables de la ville et pour les mécènes d’autres pays. Ainsi les artistes flamands réalisèrent des retables pour l’Italie, l’Espagne et l’Angleterre.

Les retables flamands se distinguaient de ceux des autres pays d’Europe à la fois par leur format et par leur style.

Les retables flamands comprenaient un panneau central et deux volets latéraux refermables.

Le dos de ces volets étaient peints de portraits de saints ou de récits simplifiés, offrant au regardeur des thèmes de méditation même quand la scène centrale était invisible.

Les retables flamands présentaient les figures et les évènements sacrés dans des cadres très détaillés.

Le rôle des cours a été un moteur essentiel.
Les souverains ont acquis des peintures des grands maîtres flamands. Leurs collections constituent un stimulant et des références pour les peintres autochtones.
Les retables flamands sont exportés en grand nombre depuis Bruxelles, Malines et Anvers dans toute l’Europe de la Suède au Portugal.

Les retables de Memling s’inspirent de ces prédécesseurs.
À van Eyck, il emprunte les tapis orientaux, les paysages mis en valeur par des colonnettes de marbre, les miroir convexes.
De Rogier van der Weyden il hérite de l’idéalisation.

Le triptyque de Donne

La minutie avec laquelle sont représentés les différentes étoffes et les bijoux offre au regardeur un prolongement de son propre monde.
Ce qui rend l’évènement réel et palpable.

Memling s’affranchit du poids des traditions flamandes, il intensifie l’animation de ses lignes et le raffinement des attitudes.
Il a assimilé les leçons de Jan van Eyck et de Rogier van der Weyden et accorde une grande importance au rendu des matières, à la couleur et à la lumière.

Il polit les « angles » de Jan van Eyck et de Rogier van der Weyden.

Il explore la douceur.
Les ombres claires modèlent les corps, purs et souples.
Les volumes, les expressions des personnages sont rendus avec le plus grand naturalisme. Les saintes ont des visages empreints d’une gravité sereine.
La Vierge, d’une exquise élégance est grâcieuse, pleine de noblesse et de douceur. Son corps est dissimulé dans une ample robe bleue agrémentée d’un imposant manteau rouge.
Le charme naïf et joyeux de ses personnages est accentué par la richesse des couleurs.

Sa facture est raffinée.

Par la facture et la composition, ce retable se rapproche de la manière de van Eyck. Si la minutie de reproduction des objets réels de van Eyck est supérieure à Memling. Celui-ci le dépasse dans la transfiguration des modèles, Memling met toute son âme, il idéalise, il glorifie.

Cette sensibilité, cette idéalisation qui le distingue des autres artistes flamands est sans doute due à son origine.
Hans Memling n’est pas flamand mais allemand, il est né en terres rhénanes qui durant tout le Moyen-Âge avaient étaient un vivant foyer de rêverie poétique et mystique.
En appliquant les principes de verticalité, de frontalité et de symétrie, Memling suit à la fois le penchant de sa nature peu encline aux passions et les préceptes de sa tradition rhénane.

Hans Memling a renouvelé la peinture flamande en lui apportant l’émotion et en l’arrachant au naturalisme où elle stagnait.

À la différence de ces prédécesseurs, Memling développe sa maîtrise du paysage, qu’il place en fond de ses retables. S’il prête attention aux personnages du premier plan, il façonne également le paysage de l’arrière-plan.

Ce paysage champêtre déroule une rivière sur laquelle se trouvent un moulin dont la roue évoque le martyr de sainte Catherine et une tour qui évoque  la prison de sainte barbe.

Ce paysage surprend par sa vérité et la richesse de ses détails.

Le peintre effectue un travail de miniaturiste réclamant une grande attention du regardeur.
Deux cygnes nagent dans l’anse de la rivière ; devant le moulin, un meunier décharge un sac de farine du dos d’un âne ; une vache paît dans un pré ; encore plus loin, en bordure d’un bosquet, un cavalier monte un cheval blanc.

Memling est un observateur attentif. IL sait se montrer étonnamment proche du réel. Ce paysage est aussi important que le motif central.

Dans La Vierge et l’Enfant entre saint Jacques et saint Dominique, dit La Vierge de jacques Floreins- 1485-1490 Memling reprend les mêmes attitudes  pour  la Vierge et de son fils.
Attitudes que l’on retrouve également dans Vierge en majesté entre deux anges musiciens –après 1479.

Ces reprises d’attitudes d’un tableau à l’autre évoquent  les carnets de dessins préparatoires et le travail d’atelier.

 

Conclusion

Artiste luxueux et minutieux, Hans Memling fut un brillant peintre de portraits et de retables.

Hans Memling a été l’un des principaux artistes de Bruges.

Il a mis dans son œuvre le rêve d’une âme délicate et passionnée, un amour de la grâce et de l’élégance. Ses qualités de dessinateur, de modeleur et de coloriste, en font l’un des plus grands représentants de l’art flamand.

Erwin Panofsky n’est pas de cet avis, citation de son livre : Les Primitifs flamands :
« Si Memling exerça une influence considérable dans l’orbite restreinte de son époque et de sa ville, les générations suivantes jugèrent ses créations faibles et pâles ; et si les romantiques et les victoriens estimèrent que sa suavité représentait le summum de l’art médiéval, nous inclinons plutôt à le comparer à un compositeur tel que Felix Mendelssohn, qui parfois nous enchante, jamais ne nous choque et jamais ne nous transporte… »

Max JaKob Friedländer complète : « l’œuvre de Memling s’écoule à petites vagues tranquilles vers la fin bien heureuse de la Rédemption et de la Transfiguration, en glissant sur ce qui est terrible et en s’attardant sur ce qui est joyeux…Aussi nette et bien ordonnée que les personnages situés près de nous, la nature, au loin, nous invite, pareil à un parc en plein été, avec des chemins sinueux, des chevaux blancs, des eaux paisibles et des cygnes, des maisons où l’on voudrait vivre et des collines bleutées à l’horizon…un pays idyllique où il fait toujours beau. Memling n’est ni un explorateur comme van Eyck ni un inventeur comme Rogier. Il lui manque à la fois la passion du regard et le fanatisme de la foi ».

Erwin Panofsky lui reconnaît un talent certain pour les portraits. « …Dans le portrait il parvient à une réelle synthèse entre stylisation et ressemblance… Son tempérament bienveillant et sincère fait ressortir ce qu’il y a de mieux dans chaque individu, sans s’abaisser à la flatterie ; et son style, par ailleurs si immuable qu’il est presque impossible de dater ses peintures sans l’aide d’indices externes, se révèle progressiste, varié et même original. »

À vous de voir !