The Reception – 1873 John Frederick Lewis

John Frederick Lewis (1805-1876)

 

The Reception

 1873

Huile sur toile

Dim 63,5 x 76,2 cm

Conservé au Centre d’art britannique de Yale à New Haven dans le Connecticut.

Le peintre

Issu d’une famille d’artistes. Il est le fils d’un graveur et paysagiste allemand installé en Angleterre.
Il apprend dans l’atelier de Sir Thomas Lawrence. Initialement Lewis était un peintre animalier. Il a peint deux grandes scènes avec des animaux -conservées dans la Royal Collection et la Tate Britain : John Clark avec les animaux à Sandpit Gate -1825.
Lewis visite l’Europe en 1827 puis voyage en Espagne et au Maroc entre 1832 et 1834.
En 1837 il est en Italie et en Grèce. Il va jusqu’à Constantinople en 1840 et poursuit jusqu’en Égypte.
Lewis a vécu au Caire de 1841 à 1851.
En 1851 il retourne à Londres. Il commence par peindre des aquarelles puis revient aux peintures à l’huile qu’il vend à un meilleur prix.

Ses scènes évocatrices de maisons, de mosquées et de marchés firent de lui l’un des peintres orientalistes les plus somptueux.

En 1859 Lewis devient un associé de la Royal Academy et un membre en 1865.

 Lewis a peint est exposé presque jusqu’à la fin de sa vie.

 

Le tableau

Le tableau représente un intérieur oriental très orné caractéristique de l’œuvre de Lewis.

Ce tableau a été peint à Londres en atelier d’après les dessins que Lewis a rapporté de son séjour au Caire.

 

Composition

C’est une composition domestique sophistiquée.

Nous assistons à la réception des invitées par la maîtresse du lieu dans la fraîcheur de son patio.

Lewis représente avec soins l’architecture intérieure de la maison.

Lewis peint ses personnages au second et au troisième plans.
Le peintre tient ainsi le regardant à distance.
Le regardant est au bout du bassin et plus bas que celui-ci. Il a une vue en contre-plongée qui lui permet de voir le décor du plafond de l’alcôve.

Au premier plan, un bassin intérieur décoré de faïences fleuries, miroite le décor et trace la perspective de la pièce.
Au second plan, les personnages structurent la composition et organisent l’espace du patio.
A gauche du tableau un groupe de femmes. Elles sont accompagnées d’une fillette et représentées en pied, leurs regards tournés vers l’alcôve centrale. Elles portent des tenues orientales soyeuses et de couleurs discrètes. Elles esquissent une révérence, la fillette apporte un coffret, probablement un présent. Elles sont précédées par un serviteur noir en tenue d’apparat qui les introduit auprès de la maitresse de maison.
A droite du tableau, une femme agenouillée au bord du bassin regarde en direction de l’alcôve, sa tenue est celle d’une servante ; à ses côtés une gazelle détourne sa tête dans sa direction.
Au troisième plan, dans l’axe du bassin, un renfoncement prolonge la pièce C’est une alcôve, un vaste divan bleu occupe les trois côtés de l’espace. Au-dessus des dossiers bleus une enfilade de fenêtres ouvertes sur un jardin.
Sur les murs des motifs de marqueterie : au-dessus des fenêtres des treillis de bois, au-dessus des treillis, encadrés par des poutres de bois, des vitraux de couleurs.
Le plafond de l’alcôve est entièrement peint de motifs floraux.
Une femme se tient debout au centre de l’alcôve, le regard tourné en direction du groupe, à gauche de la toile. C’est la maîtresse de maison, elle se tient droite et porte une robe rouge, lumineuse. A ses pieds une femme est étendue, adossée au canapée, le bras gauche replié à la hauteur de son visage et appuyé sur un coussin. La maîtresse du lieu tient à la main droite un coussin semblable, sans doute s’apprête-t-elle à s’allonger à son tour.

Les bords de la toile, à droite comme à gauche représentent d’autres alcôves. Celle de gauche sert d’entrée pour le patio -la porte restée entrouverte indique le passage du groupe. Celle de droite reproduit le même décor que l’alcôve centrale et laisse supposer que le patio est bordé d’une succession d’alcôves de repos.

Le treillis des murs, les fenêtres et les niveaux du sol ordonnent le désordre de l’Orient. Le peintre reproduit le décor oriental avec minutie.
L’architecture de la pièce permet à Lewis de jouer avec la clarté du patio et la préciosité du décor, la variété des motifs de marqueterie, la finesse du stuc ciselé et le découpage de l’espace.

Lewis décrit avec une grande précision le mobilier et les costumes.
Ce sont des costumes orientaux, les robes sont longues et couvrantes.
Les femmes portent un châle dissimulant leurs chevelures.
Le serviteur noir arbore un magnifique sarouel blanc nacré qui miroite dans la lumière, sa peau est mise en valeur par la couleur rouge de son bonnet et de son écharpe.

Pour les costumes, le peintre choisi des couleurs délicates qui jouent avec les extraordinaires effets de lumières filtrant à travers la dentelle des moucharabiehs.

Lewis applique la couleur rapidement sur un fond blanc produisant ainsi un effet brillant, un chatoiement semblable à un bijou.

La lumière diffuse installe une atmosphère sereine, le temps semble suspendu et pourtant la scène grouille de vie.

 

Analyse

L’Orient définit les contrées lointaines situées à l’ouest de l’Occident.
L’Orient est le lieu sacré où se lève le soleil.
L’Orient est le berceau de l’humanité.

L’Orient attira de longue date les voyageurs occidentaux et avec la campagne d’Égypte de napoléon en 1798, il s’ouvrait pour la première fois à un public qui ne se réduisait plus aux seuls intrépides.

Outre la campagne d’Égypte, plusieurs événements du début du XIXe, tels que la prise d’Alger par les Français, la guerre d’indépendance grecque et la publication de l’œuvre épique turque Don Juan (1818-1823) de Byron, suscitèrent un intérêt pour l’Afrique du Nord et le Proche-Orient.

Il existait deux routes principales, l’une traversant l’Espagne et le Maroc, qu’empruntaient surtout les peintres français, l’autre par la Grèce et l’Asie Mineure, préférée des anglais. Les deux itinéraires conduisaient au Caire, à Jérusalem et Constantinople, ultimes destinations.

I – L’Occident a construit l’orientalisme pour dominer l’Orient.

Le colonialisme a une grande importance dans la construction de l’orientalisme.

La réalité politique du temps, mais aussi la littérature fantasmée a constitué les fondements de l’orientalisme.  On parle de missions civilisatrices, qui appartiennent à un système politique et social.
On regarde le monde oriental selon une hiérarchie où il est impossible de confronter des objets de la même période (le XVIe en Italie et au Benin).

Au XIXe, l’Orient est une culture à conquérir.
Les scientifiques, les explorateurs et les artistes sont sur les rangs.

Il est important de prendre en compte la dimension politique et sociale pour comprendre l’art orientaliste du XIXe et du début du XXe.

Le contexte fait de projets  artistiques plus ou moins communs et d’intérêts politiques et économiques concurrentiels est extrêmement complexe.

Il y a d’une part la politique des peuples colonisateurs et d’autre part, les peintres qui ont choisi de décoloniser leurs œuvres.

Au départ, simples souvenirs, lors des expéditions, les objets sont récoltés pour témoigner que la conquête a eu lieu. Rapporter, prouve que l’on s’approprie la culture d’un autre.
Les objets sont exposés, ils deviennent un patrimoine.
L’étendue de l’acquisition de sa connaissance est justifiée par le voyage qui a permis de rapporter l’objet.
C’est une vision idéalisée qui permet de savoir et de faire savoir au regardant que l’on a acquis cette culture.
Il était d’usage au XIXe d’avoir une chambre dans le goût oriental.

Dès 1850, il y a des colonies d’artistes au Caire qui cherchent à montrer à l’Occident le merveilleux ailleurs, composé et fantasmé.

II – L’Orientalisme se développe à l’époque du romantisme

Pour les artistes, L’Orient fut un territoire mystérieux et impénétrable, d’une beauté exotique et d’un érotisme intense, fascinant dans son étrangeté.

L’orientalisme est un terme flou.
Il définit une période d’engouement pour l’Orient.
L’orientalisme est en littérature dès le XVIIIe et il est toujours là au XXIe. Ce n’est pas un mouvement, c’est une inspiration.

Pour la plupart des artistes, l’Orient est un Orient d’atelier, un Orient imaginé.

Parmi les œuvres orientalistes les plus populaires, un grand nombre ont pour thème le harem, dont les détails sont largement imaginés ou empruntés à la légende. Cette profusion de femmes séduisantes ne correspond ni à la démographie réelle des pays musulmans ni à leurs mœurs.

Les artistes ont souvent recours à des œuvres littéraires, en général des œuvres de fiction, telles les lettres persanes –1721 de Montesquieu, Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore -1819 d’Antoine Ignace Melling, jusqu’à l’Aziyadé –1879 de Pierre Loti.

Pour certains artistes c’est un orient vécu, pour Delacroix (Maroc), pour Jean-Léon Gérôme (Istanbul, Égypte) et pour John Frederick Lewis (L’Égypte, le Caire).

Le style orientaliste n’existe pas
L’orientalisme ne se rattache pas à une école ni à un style, même si nombre de ses représentants étaient des peintres académiques.

C’est l’Occident qui définit l’Orient : Un ailleurs idéal.

Chaque pays a son Orient, les contes des mille et une nuits, sont illustrés différemment en France et en Angleterre.

Parce que l’Orient est une géographie imaginaire fondée sur les productions littéraires et artistiques issues des fantasmes et des fantaisies occidentaux.

Pour les anglais l’Orient c’est l’Inde
Pour les français, l’Orient ce sont les pays du bassin méditerranéen Égypte, Maroc, Algérie. Des pays qui faisaient l’objet d’explorations, de missions d’études.

III – L’Orient signifie l’ailleurs.

Un lieu teinté d’exotisme, de sensualité et d’érotisme.
L’Orient fait aussi figure de repoussoir.
Dans les salons on découvre des toiles érotiques orientalistes qui permettent une liberté de représentation qui serait obscène si la scène se déroulait en France.

Il y a deux types d’Orientalisme :

L’orientalisme littéraire fantasmé qui s’oppose à l’orientalisme des voyageurs peignant sur place. L’Orient des voyageurs est photographique et scientifique. Les éléments que les voyageurs prélèvent sur place tout comme les photographies et les dessins sont utilisés par les peintres qui n’ont jamais voyagé.

L’Orientalisme est-il une représentation de l’Orient ?
L’orientalisme des artistes est un trompe-l’œil pour le regardant qui est frappé par les scènes exotiques.
Une confiance implicite s’instaure entre le regardant et l’artiste, un fantasme généralisé par la conviction que le tableau représente la vérité.
Le regardant croit ce qu’il voit sur la toile. Celle d’un Orient peuplé de femmes nues et dociles.

L’orientalisme est la construction d’un goût de la part des occidentaux.

Un espace politique et culturel dans lequel l’orientalisme s’inscrit.
Une inspiration commune retranscrite par les artistes.
Un regard porté sur l’ailleurs par des artistes qui n’appartiennent pas à cet ailleurs.

L’Orient qui parvient à conquérir l’inconscient collectif des Européens se distingue par l’absence de notion de temps. Il est exalté comme un lieu indéterminé entre le rêve et la réalité, où des personnages des Mille et une Nuits peuplent un paysage exotique.

Un tableau orientaliste provoque chez le regardant un voyage par procuration.
Le regardant perd ses repères et découvre l’exotisme, il est dépaysé.
Le regardant est dans une situation de plaisir,
il fait un voyage virtuel vers des contrées inconnues.

La fantaisie et l’aspiration aux plaisirs sensoriels sont indissociable.

Le seul public des tableaux orientalistes est un public occidental.

John Frederick Lewis s’immergea pendant une décennie dans la culture du Proche-Orient, notamment au Caire où il habite dans une maison ottomane.

Cette maison sert de décor à son tableau : The Reception

Lewis peint The Reception durant les dernières années de sa carrière en Angleterre. A une époque où il sollicite principalement son imaginaire tout en s’inspirant d’esquisse et de dessins réalisés alors qu’il vivait au Caire.

Dans ce tableau il met l’accent sur le décor.

IV – Lewis se démarque de la peinture orientaliste par son refus de représenter des odalisques nues.

Dans The Reception l’Orient ne s’exprime pas à travers les corps dénudés.

Le peintre s’intéresse à l’intensité de la lumière et son interaction avec l’architecture. Lewis travaille le rendu de la luminosité de ses couleurs.

Son souci descriptif s’attarde sur l‘architecture, les effets de lumières, le mouvement des silhouettes ou, des vêtements, des étoffes et des motifs comme dans son Message d’amour -1854.

La poésie est dans l’air.

Que ce soient les odalisques d’Ingres L’Odalisque –1814 ou Le bain turc -1863 ou Le bain maure -1889-90 de jean-Léon Gérôme les peintres privilégiaient les représentations sensuelles.
La thématique du harem sert de prétexte pour peindre des nus.
La nudité franche est tolérée dans le cadre de l’orientalisme.

Lewis qui ne représente que des orientales habillées est un cas à part dans le paysage des artistes orientalistes du XVIIIe.

Lewis compense ses règles de pudeur par la minutie de ses descriptions architecturales.
 

Conclusion

L’orientalisme a réussi à s’implanter dans la culture bourgeoise du XIXe par sa diversité et sa grande popularité.

La situation socio-économique de l’Europe et ses acquis techniques constituent un terreau fertile pour un renouveau religieux et culturel, un désir d’évasion exotique ou des expériences picturales.

Après avoir été largement oublié pendant des décennies, John Frederick Lewis est devenu extrêmement à la mode et cher, à partir des années 1970.

Ses œuvres atteignent aujourd’hui des prix dans les millions de dollars ou de livres aux enchères.