Symphonie en blanc, n°2 : la petite fille blanche- 1864 James Abbott Mc Neill Whistler

James Abbott Mc Neill Whistler (1834-1903)

 

Symphonie en blanc, n°2 : la petite fille blanche

1864

Huile sur toile

Dim 76,5 x 51,10 cm

Conservé à La Tate Britain à Londres

Le peintre

James Abbott Mc Neill Whistler est un peintre graveur américain dont l’essentiel de la carrière s’est déroulé en Europe.
Il naît dans le Massachusetts.
En 1842, son père ingénieur des Travaux publics, migre dans l’empire russe pour superviser la construction de la ligne de chemin de fer, Moscou-Saint Pétersbourg. Whistler s’inscrit à l‘Académie impériale des beaux-arts de Moscou et apprend de français.
En 1849, son père meurt et il retourne en Amérique avec sa mère.
Après des études militaires avortées à l’académie de West Point, il développe une attirance pour la création artistique.
En 1855, il décide de se consacrer à l’art et voyage à Paris où il s’inscrit à l’atelier de Charles Gleyre. Il fréquente les cercles d’avant-garde et mène une vie de bohème. Il se lie d’amitié avec Henri Fantin-Latour, Courbet (qui lui pique sa maîtresse qui deviendra le modèle de L’origine du monde), Degas et Alphonse Legros.
En 1859, il s’installe à Londres où il passera une grande partie de sa vie.
Cependant il garde un lien privilégié avec le monde des artistes français.
En 1863, sa Dame en blanc, refusée en 1862 à la Royal Academy à Londres, fait sensation au Salon des Refusés à Paris.
Whistler revient à Paris au début des années 1890. Il côtoie Mallarmé qui le met en relation avec le groupe des symbolistes.
A Paris il découvre Vélasquez au Louvre. On retrouvera son influence dans de beaucoup de ses portraits. Comme dans le portrait de la Frick Collection : Arrangement noir et or, le comte Robert de Montesquiou -1891-92.
Pour ce portrait Whistler s’installe à Paris dans l’atelier d’Antonio de La Gandara, rue du Bac.
En cette fin du XIXe, Whistler et son ami Oscar Wilde sont des figures de la société parisienne.
Le peintre contracte d’énormes dettes.
Il était procédurier, ses procès lui coûtent cher et il fait construire sa résidence
« la Maison Blanche » dans la rue Tite à Chelsea à Londres.

Whistler est enterré à l’église Saint Nicholas dans le quartier de Chiswick à Londres.

 

Le tableau

En 1867, Whistler ajoute au titre du tableau, le terme musical, Symphonie en blanc n°2.

Le titre met en évidence la corrélation artistique que Whistler souhaite établir entre l’arrangement des notes par un musicien et le déploiement de la couleur et du ton par le peintre.

Selon Whistler les arts se rejoignent, c’est le message qu’il envoie au regardant.

Son ami Baudelaire fait écho à ses recherches esthétiques et explore cette idée dans son poème : Correspondances.

Dans ce tableau, le peintre recherche l’unité harmonieuse des nuances de blancs, des notes de blanc.

Le tableau est présenté à la Royal Academy de Londres en 1864 ou 65.

Le modèle favori du peintre est sa compagne. C’est la belle irlandaise Joanna Hiffernan, elle pose pour ce tableau. Whistler l’a représentée dans la maison où elle habitait avec lui, sur Lindsey Row, dans le quartier londonien de Chelsea.

Ce tableau inspira le poète Algermon Charles Swinburne, qui insère dans son volume Poems and ballads, une ballade intitulée Before the mirror.

 

Composition

Une femme vêtue de blanc se penche vers un miroir.
Son attitude est très distante.
Sa main droite, tient délicatement un éventail, sa main gauche posée sur le bord de la cheminée est baguée.
Une gerbe de fleurs aériennes et délicatement rosées, s’élance depuis le bord inférieur de la toile.

Cette composition est cadrée avec précision dans un format vertical et un espace sobre.

La profondeur est écrasée.

La jeune fille est mise en scène avec une grande exigence.

Quelques lignes, des verticales et une horizontale construisent fermement la composition.
Le bord de la cheminée heurte  les verticales du personnage, du miroir, du vase et des fleurs.
Cette rigidité est adoucie par l’éventail et le reflet de la jeune femme dans le miroir.

Le peintre place son sujet avec un souci de précision.
Le bout des doigts de sa main gauche atteint le bord de la cheminée.
La jeune femme est placée devant l’âtre, le corps de 3/4. Son reflet dans le miroir est dans l’axe du tableau. Son long cou gracile, incliné vers le miroir, dégage un profil d’une grande beauté. Elle a les yeux grands ouverts et ne nous regarde pas. Elle pose son regard sur le miroir.
Le reflet n’est pas juste, nous voyons un visage de ¾ les yeux mi-clos.

Whistler nous signifie que le sujet est secondaire.
La jeune femme garde ses pensées pour elle.
Son intériorité est mystérieuse pour le regardant.

Whistler travaille l’harmonie des formes et des couleurs.
La couleur est l’élément central, elle articule toute la composition.

Le peintre s’intéresse à la vision d’ensemble de la toile -vision qu’il partage avec les impressionnistes.

Whistler maîtrise le dessin.
Les fleurs d’une grande finesse s’élancent au premier plan et sont une allusion à l’omniprésence des végétaux dans les estampes japonaises.

 La subtilité des couleurs est remarquable.
Le rouge du pot et le bleu de l’éventail pimentent la toile.

Whistler fait chanter les couleurs.
La palette épurée renforce la puissance de la composition.
Whistler fait une analyse raffinée de la lumière et du blanc.
Le blanc de la robe possède une qualité presque abstraite.

Sa touche très visible est devenue une référence pour les symbolistes et les modernes.

Pour l’éventail et les vases, il utilise une pâte plus épaisse et pose ses couleurs, un petit pot rouge et un grand vase bleu et blanc -tous deux japonais.
Pour la transparence de la robe il délaye sa peinture.
Et sa touche légère fait jaillir la lumière.
Ses branches de fleurs ont l’aspect d’une aquarelle.

Whistler réalise une synthèse équilibrée de réalisme, de psychologie et d’esthétisme.

Il se dégage de cette toile une poésie mélancolique.

 

Analyse

I-  L’esthétisme

L’esthétisme regroupa des artistes, écrivains et designers de divers pays partageant l’avis que l’art doit servir un seul dessin, celui d’en appeler au sens du regardant.

Cette croyance pris souvent celle d’une figure féminine qui contemple sa propre beauté.

Le premier postulat du mouvement esthétique était que l’art ne doit exister que pour lui-même et ne doit servir aucun autre but.

Le philosophe français Victor Cousin fut à l’origine de l’expression « l’art pour l’art », exprimée dès 1835 dans Mademoiselle de Moupin -roman de Théophile Gautier. Dans la préface, l’auteur expliquait que seul ce qui ne possède aucune fonction peut être considéré comme beau car l’utilitarisme souille et enlaidit l’objet ou l’image.

L’écrivain anglais, Walter Pater fit écho à ces idées, en affirmant que l’artifice est supérieur à la nature et la forme au contenu.
Cette position prit une place prépondérante dans le mouvement, qui s’érigea en doctrine de vie comme imitation de l’art et en culte de la beauté.


II-  Si Whistler est définit comme un peintre lié aux mouvements symboliste et impressionniste, avec ce tableau il répond aux critères du mouvement Esthétique.

A/ Whistler défend le droit de l’artiste à peindre selon sa propre subjectivité et affirme la primauté des intentions esthétiques sur le sujet.

Le peintre ne doit pas être le transcripteur de faits littéraux ni le créateur d’un récit moral didactique.

Whistler écrit dans Noble Art de se faire des ennemis- 1890, « L’art doit être dégagé de tout verbiage. Il doit rester à part, et s’adresser à la sensibilité artistique de l’œil ou de l’oreille, sans se confondre avec des émotions qui lui sont totalement étrangères, telles que dévotion, pitié, amour, patriotisme ».

Whistler soutient que le peintre ne doit pas reproduire ce qu’il voit tout simplement parce que la nature n’a jamais fait de l’art. Et, parce que seule l’imagination transcende la nature, en art le sujet importe peu.

B/ Whistler conçoit la peinture comme une expérience esthétique

Au-delà des valeurs de représentation et des approches culturelles des symboliste des années 1880.

La femme langoureuse à la longue chevelure plongée dans ses rêveries est un élément récurrent du mouvement esthétique.

On le retrouve dans ce tableau de Whistler représentant une femme vêtue de blanc devant un miroir.

Les fleurs délicatement rosées, l’éventail traditionnel, les vases, témoignent de l’attirance de Whistler pour les estampes japonaises.

Whistler s’intéresse à la peinture extrême-orientale et collectionne les porcelaines bleu et blanc et les tissus orientaux qu’il découvre à l’Exposition universelle de Londres en 1862.

Whistler est séduit par  l’art japonais qui transforme le tableau en entité décorative. Avec les estampes, il apprend une nouvelle distribution des masses, une utilisation plus libre des couleurs ainsi que de la ligne et de la perspective.

C/ Whistler ne s’intéresse pas au motif.

Ce sont les réflexions techniques et expérimentales sur la couleur et le dessin qui l’attirent.

Whistler emmène le regardant dans un monde idéalisé, évoqué par l’attitude gracieuse de la jeune femme, par sa robe taillée dans un tissu vaporeux d’un blanc translucide, par le marbre blanc de la cheminée et la sobriété du décor, un vase japonais des branches de fleurs, un éventail.

Whistler écrivait : « L’Art est la science du beau ».

Ce tableau montre l’intérêt du peintre pour l’harmonie des couleurs et des formes.

Sa palette est restreinte, le blanc domine et valorise les autres couleurs.
Whistler exprime à travers le blanc, l’aspect sensuel de la couleur.

Jacques Aumont dans son Introduction à la couleur-2020, le formule joliment :
« la couleur est la chair de la peinture ».

D/ Dans une recherche purement formelle,
Ce portrait montre son souci du réalisme et du détail.

Une silhouette et un regard, Whistler pratique l’art de la suggestion.

Le tableau raconte une histoire :
La jeune femme regarde tristement l’anneau qu’elle porte à sa main gauche.
Le miroir renvoie le reflet du visage triste.
L’atmosphère du tableau est mystérieuse.

E/ C’est à partir des années 70 que Whistler adopte une terminologie musicale pour titrer ses toiles.

Cela correspond à sa conception d’une esthétique abstraite.
Lorsque Whistler représente un paysage, il s’en dégage une atmosphère très particulière. Le peintre excelle à représenter des paysages anglais, industriels et ténébreux, estompés par la brume du fleuve.
Dans ses toiles le brouillard efface le paysage.
Le paysage existe avec ses lumières propres.

Cette identité singulière seuls Monet et Whistler arrivent à la restituer.

Whistler applique à l’huile la technique de l’aquarelle en superpositions de couches extrêmement fines grâce à l’invention d’un procédé de diffusion du pigment dans les fibres de la toile à la manière d’une teinture. Il écrit : « La peinture déposée ne doit jamais être épaisse. Elle doit ressembler à un souffle à la surface d’une vitre ».

Avec leur regard propre, leur sensibilité et leur technique différentes, ces deux artistes savent voir et rendre la dissolution des paysages jusqu’à l’abstraction.

Whistler peint des Nocturnes plus magiques et plus modernes les uns que les autres.
Pour Whistler : la série de Nocturnes -année 1877, Nocturne en bleu et argent : les lumières de Cremorne-1872
Pour Monet : la série du parlement de Londres –1900 à 1904.

Les expérimentations de Whistler pour les couleurs et leurs harmonies annoncent l’art abstrait.

Whistler est toujours insatisfait, il a beaucoup peint et beaucoup détruit ses tableaux.

Il signe ses tableaux d’un monogramme, un papillon qui prend des formes différentes selon l’humeur du peintre ou le sujet de la toile.


Conclusion

En dépassant la période préraphaélite, Whistler est l’un des peintres victoriens qui a redonné une image séduisante de la haute société victorienne et de la vigueur à la peinture britannique.

Ses contemporains mettent en parallèle ses symphonies picturales et les variations subtiles de la musique de Wagner.

Whistler est une référence pour la génération des symbolistes.

Whistler a été mondialement reconnu de son vivant.
En 1884, il est élu membre d’honneur de l’Académie royale des beaux-arts de Munich.
En 1892, il est officier de la légion d’honneur en France.

Dans A la recherche du temps perdu, Proust s’est inspiré du peintre américain Whistler pour son personnage du peintre Elstir.

Marcel Proust : « Parfois sur le ciel et la mer uniformément gris, un peu de rose s’ajoutait avec un raffinement exquis, au bas de cette harmonie dans le goût de Whistler. Puis le rose même disparaissait, et il n’y avait plus rien à regarder… ».

Le peintre est à l’égal de l’homme, plus que brillant, il sut toujours prendre le contre-pied des conventions.

Proust toujours : « Cela m’étonne autant que si je voyais quelqu’un avoir connu Whistler et ne pas savoir ce que c’est que le goût. »

Ce n’est que récemment que la culture américaine s’est réappropriée Whistler, répondant à l’opinion commune des visiteurs américains.