William Hogarth (1697-1764)
Mariage à la mode
Série de six huiles sur toile, peintes en 1743 et toutes conservées à la National Gallery de Londres
1- Le contrat de mariage
Dim 70 x 91 cm
2- Le petit déjeuner ou Tête à tête
Dim 69,9 x 90,8 cm
3- Chez le charlatan ou L’Inspection
Dim 69,9 x 90,8 cm
4– Le lever de la comtesse ou La Toilette
Dim 70,5 x 90,6 cm
5- La mort du Comte
Dim 70,5 x 90,5 cm
6- La mort de la Comtesse
Dim 43,2 x 53,3 cm
Le peintre
Hogarth naît à Londres. Son père est un homme cultivé d’origine modeste.
Hogarth dessine beaucoup.
En 1714, il est apprenti dans l’atelier d’Ellis Gamble, orfèvre et graveur sur métaux. En 1720, il s’installe à son compte comme graveur.
Cette même année il entre à l’académie de peinture et de dessin fondée par Louis Chéron et John Vanderbank.
En 1721, il inaugure un nouveau genre avec l’image satirique, un genre qu’il reprend aux Maîtres Hollandais, comme Jan Steen. Dans les années suivantes il produit de nombreuses estampes satiriques, entre autres, The Bad Taste of the Town et A Just View of the British Stage –1724
Dans ces scènes aux compositions théâtrales il dénonce la vie londonienne, ses manies et ses hypocrisies.
En 1728, il peint L’Opéra des gueux (qui est une pièce à succès de John Gay) et une scène de la Tempête de Shakespeare intitulé : Une scène de la Tempête.
Au début des années 1730, il rencontre Mary Edwards qui devient durant dix ans son principal mécène.
En 1731, il reçoit ses premières commandes royales.
Il produit des planches satiriques sur le roi Georges II, sur Henri VIII, sur Anne Boleyn et sur Horace Walpole.
Hogarth ne fit pas le Grand Tour en Italie.
En 1743, il voyage à Paris et en 1748 il se rend en Flandre en compagnie d’un groupe d’artistes. À cette époque, il peint des tableaux plus intimistes, sa palette s’éclaircie : Autoportrait au carlin -1745
En 1757, le roi George II le nomme Serjeant Painter, c’est une charge honorifique.
Au début des années 1760, il devient membre de la Society of Artists et expose sept tableaux, avec eux, aux Spring Gardens de Vauxhall
À la fin de l’année 1763, Hogarth est victime d’une paralysie. Après une année à lutter contre la maladie, il est inhumé le 2 novembre 1764 dans le cimetière de l’église St. Nicholas de Chiswick.
Hogarth est un artiste complet, il peint et grave. C’est un peintre séduisant et innovateur.
Repéré en France, par Diderot dès 1753, son influence se perpétue jusqu’au début du XXIe.
Ses tableaux parlent des errances, des plaisirs et des contradictions morales de son époque
La série Mariage à la mode est son chef d’œuvre
I – Regard sur la série
Les six tableaux ont été peints vers 1743 pour être gravés puis mis en vente une fois les gravures terminées. Les gravures sont des versions incolores et inversées des peintures. Publiées en 1745, les gravures étaient offertes aux abonnés à une guinée par série. Elles se sont avérées instantanément populaires et ont donné au travail de Hogarth un large public.
Les tableaux ont été mis en vente le 6 juin 1751.
La série fut vendue pour 126 lires
Hogarth nous relate les aventures pathétiques d’un couple mal assorti.
1 – Le contrat de mariage
Le tableau montre le comte exhibant fièrement son arbre généalogique remontant jusqu’à Guillaume le Conquérant.
Il a posé son pied atteint de goutte sur un repose-pied orné d’une couronne. Derrière lui apparaît par la fenêtre un somptueux édifice de style néoclassique, inachevé faute de finance.
Un créditeur présente au comte des factures. Il y a sur la table un tas de pièces d’or. Il s’agit de la dot de la mariée que l’échevin, le personnage à lunettes qui tient en main le contrat de mariage vient de lui remettre. L’échevin (conseiller municipal) est le père de la mariée.
Un homme de loi, le notaire, murmure, doucereux, quelque chose à l’oreille de la fille de l’échevin, qui, d’un air indifférent, fait tourner son alliance autour d’un mouchoir.
Le marié, aux airs de dandy, s’est détourné d’elle pour priser et s’admirer dans un miroir.
À ses pieds, un chien et une chienne enchainés l’un à l’autre symbolisent la condition malheureuse du couple.
Hogarth fait parler les murs en les décorant de tableaux représentant d’horribles scènes de martyre dues à d’anciens maîtres italiens. Présages d’ une tragédie, incarnée par une tête de Gorgone vociférante dans le cadre ovale, au-dessus du couple.
2- Le Tête à tête ou Le petit déjeuner
Quelques mois après le mariage, le salon est un champ de bataille..
La mariée s’étire endormie, apparemment après avoir passé toute la nuit à jouer aux cartes.
Le marié s’étale sur sa chaise, épuisé par une nuit de débauche en ville, un petit chien tire un bonnet de mousseline de fille de sa poche. Un deuxième bonnet de mousseline est enroulé autour de la poignée de son épée brisée au sol.
La grande tache noire sur son cou révèle la syphilis.
Deux étuis de violons reposent l’un sur l’autre sur une chaise renversée, suggérant que la vicomtesse a passé la soirée à des activités plus intimes que simplement jouer aux cartes.
L’intendant de la maison lève les yeux au ciel en sortant avec une liasse de factures impayées.
3 – Chez le charlatan ou L’inspection
Ce tableau confirme que le peintre n’apprécie pas les faux médecins et les français. Le vicomte est représenté se rendant chez un français qui s’autoproclame docteur et qui est l’inventeur de deux machines, l’une pour remettre en place les épaules et l’autre, un tire-bouchon. C’est le livre ouvert à droite de l’image qui donne ces informations.
Le cabinet renferme des curiosités qui invitent à douter de la profession du commerçant : un crocodile (au-dessus de la porte), une corne de narval, un tas de briques, un énorme os de dinosaure (au-dessus de l’armoire ouverte), etc.
Le vicomte est assis au centre de la pièce. Il est accompagné par une femme et sa fille. La mère de l’enfant est sans doute une courtisane fréquentée par le vicomte. La petite fille qui tient une boîte de pilules dans ses mains est représentée entre les jambes du vicomte, probablement pour signifier qu’il s’agit de son père (version la plus édulcorée).
Le vicomte brandit sa canne en tendant au médecin une seconde boîte de pilules. Il proteste contre l’inefficacité du remède contre la syphilis.
Le vicomte est affublé d’un gros bouton noir dans le cou sur tous les tableaux. La courtisane a aussi un bouton noir sur le front. Ce bouton noir est le signe de la syphilis que les anglais qualifiaient de « mal français ».
Le crâne posé sur la table derrière le médecin souligne l’incapacité du charlatan à soigner efficacement la maladie.
4 – Le lever de la Comtesse ou La toilette
Le temps a passé, le vieux comte est mort et les couronnes comtales ornent désormais le dessus de la coiffeuse et le baldaquin du lit de la chambre représentée.
Un collier de dentition pend au dossier de la chaise de la comtesse, signifiant que la comtesse est mère.
La comtesse est en compagnie de quatre invités, une femme et trois hommes. Hogarth peint les attitudes complaisantes, les faciès et les symboles grotesques. Derrière les invités assis, se trouvent un musicien et un chanteur ainsi qu’un serviteur noir qui offre aux convives des tasses de chocolat.
Hogarth caricature l’habitude des nobles français de convier à leur réveil des courtisans à la manière de Louis XIV et de ses successeurs à la cour de Versailles.
Quant au notaire du premier tableau, nous le retrouvons allonger tout à son aise sur un divan, il tend à la comtesse une invitation pour un bal masqué d’une main et de l’autre lui suggère des déguisements figurés sur le paravent.
Cette scène de comédie évoque l’ennui et l’adultère.
Les tableaux décorant la chambre expriment les travers des personnages, au-dessus de la comtesse le tableau de Corrège Io séduite par Jupiter, souligne la tentation de la Comtesse et au-dessus du notaire, la nature corruptrice de celui-ci est signalée par l’épisode biblique de Loth enivré volontairement par ses filles.
Au premier plan à droite du tableau, le petit enfant noir évoque le futur adultère. Il pointe du doigt les bois de cerf d’une statuette figurant Actéon, personnage mythologique transformé en cerf pour avoir surpris Diane au bain en compagnie de ses nymphes. Les bois évoquent les cornes du comte cocufié par sa femme.
Arrivé à ce stade du récit, Hogarth nous indique qu’une fin heureuse est plus qu’incertaine.
5 – La mort du Comte
Le compte découvre dans une maison de rendez-vous, le notaire amant de la comtesse, le notaire tue l’époux. Pris de panique par l’accomplissement de son méfait, le notaire s’enfuit en petite tenue par la fenêtre alors qu’il laisse tomber son épée au sol. La comtesse en robe de chambre est agenouillée suppliante, au pied de son mari.
Hogarth n’oublie aucun détail, ainsi le fagot de bois au premier plan à gauche du tableau évoque un proverbe anglais : « n’attise pas un feu que tu ne saurais éteindre ».
À l’arrière-plan, alertés par le bruit, le tenancier et son personnel entrent dans la pièce. Le scandale est inévitable.
6 – La mort de la Comtesse
C’est le dénouement de l’histoire.
La comtesse s’est réfugiée chez son père, dans sa triste maison, où les tableaux hollandais accrochés aux murs montrent de pauvres gens.
On assiste à son dernier soupir. La comtesse s’est empoisonnée par désespoir.
La lettre et la petite bouteille tombées à ses pieds accréditent cette fin.
L’échevin retire de la main de sa fille son alliance. Il y a une raison pécuniaire, jusqu’en 1961, le suicide était considéré par le droit britannique comme un crime et jusqu’en 1822, les biens des suicidés sont confisqués au bénéfice de la couronne.
Une domestique présente l’enfant en pleurs à sa mère. L’enfant a un pied invalide, muni d’un appareil orthopédique. C’est une référence à ses origines entachées, l’enfant est affublé du fatidique point noir de la syphilis.
Un chien affamé s’empare d’une tête de cochon posée sur une table.
Hogarth fait un clin d’œil à Chardin en représentant la table dressée avec des couverts en argent et la présence d’une cruche.
Ce tableau met un terme funeste au contrat de mariage marchandé en début de cette aventure.
Hogarth a pimenté sa série avec les absurdités, les futilités et les bassesses de la société.
Il s’en dégage un grand enthousiasme et pas une once de mépris.
Le plaisir du détail fait de chaque tableau un trésor d’allusions fines et perspicaces.
Hogarth, comme Dickens, éprouve une fascination troublante pour tout ce qu’il se propose de condamner.
II – Le style anglais
Tandis que le style rococo s’épanouissait en France et influençait les artistes allemands et italiens de la première moitié du XVIIIe, il demeura presque absent chez les anglais, qui développèrent un style propre, notamment en ce qui concerne le portrait.
De 1713 à 1744, période de paix entre la France et l’Angleterre, des peintres et des graveurs français et vénitiens venus travailler à Londres y importèrent des éléments du style continental et exercèrent une certaine influence sur les artistes locaux. Parmi eux, il y avait Watteau et Canaletto.
Dans un traité de 1753 intitulé « Analyse de la beauté », William Hogarth propose une théorie esthétique complexe fondée sur la « ligne de beauté », c’est à dire la ligne serpentine omniprésente dans l’art et le décor rococo.
Elle ne rencontra qu’un succès limité, en général, l’art anglais de la période rococo s’orienta vers une identité propre.
Le marché de l’art du XVIIIe est stimulé par la propriété et la sensibilité culturelle de la nouvelle bourgeoisie marchande anglaise. Pour ces riches négociants et hommes d’affaires, la commande d’un portait constituait un moyen privilégié d’affirmer leur ascension sociale. À côté du portrait individuel, toujours en vogue, un nouveau sous-genre plus ambitieux émergea : le portait de groupe où les personnages sont situés dans un intérieur ou un décor naturel intime. Ces représentations de liens sociaux étendus qui rassemblaient parents et enfants, famille et amis, allaient devenir un thème de prédilection de l’époque.
III – Le Mariage à la mode
Hogarth refusait de se rendre en Italie. IL raillait le style et les manières françaises. Il reconnaissait toutefois le savoir-faire français en matière de gravure et il choisit des graveurs français pour sa série. Les peintures étant prévues pour servir de modèles aux gravures sur cuivre, Hogarth fit le choix inhabituel d’inverser les compositions afin d’épargner cette opération au graveur.
Cependant on détecte l’influence du style rococo français. Hogarth emploie des couleurs vives et chatoyantes, et compose des scènes asymétriques et animées.
Les tableaux inspirés du théâtre contemporain, furent les premières peintures anecdotiques de la carrière d’Hogarth.
Le peintre avait commencé par des portraits et des pièces de conversation (La famille Cholmondeley –1732).
A/ Le sujet du mariage malheureux a été suggéré au peintre par les faits divers du moment et par le théâtre.
Le titre Mariage à la mode, est emprunté à la pièce de John Dryden écrite sous le règne de Charles II (1660-1685), lequel avait passé plus d’une décennie à la cour de Louis XIV. Le peintre s’inspire également de la pièce de son ami Garrick.
Le Mariage à la mode est un ensemble de tableaux satiriques retraçant un désastreux mariage arrangé entre un jeune aristocrate dissolu et la fille d’un bourgeois arriviste.
Hogarth est attentif aux suggestions des représentations théâtrales, son sens de l’observation est féroce.
Cette série est pleine de vie, c’est le chef d’œuvre de William Hogarth.
Les six tableaux sont six théâtres miniatures. Chaque tableau s’inscrit dans une intrigue dont la compréhension dépend de l’ensemble.
Les compositions sont dynamiques, leur force dramatique fascine tous les publics, intellectuel, gens du peuple, bourgeois et aristocrates.
Ce mariage arrangé n’est motivé que par des calculs financiers et sociaux et les époux ne tardent pas à vivre des aventures chacun de leur côté, tout en menant grand train.
La tragi-comédie mène à la banqueroute, à la maladie vénérienne, au meurtre et au suicide.
La locution « à la mode » annonce que le mariage sera aussi éphémère qu’une mode, mais vise également une certaine élite londonienne captivée par des styles et des coutumes en vogue à l’étranger.
B/ Le Mariage à la mode en illustrant tous les dangers de l’hédonisme, donne à Hogarth l’occasion de traiter son thème favori et de se faire moraliste auprès des gens de son temps.
Cette série satirique a une fonction didactique.
Hogarth ne prend pas parti, il représente la comédie humaine.
Les compositions soulignent les erreurs et écueils à éviter dans la vie.
Hogarth a la conviction que l’humour peut mettre fin aux abus.
L’argent semble être la source de tous les maux.
Hogarth ne fustige pas les personnages de cette série, il les présente comme des victimes de la société. Même si les mariés meurent prématurément, leur existence est auréolée d’un effrayant prestige.
Hogarth termine sa série avec La mort de la Comtesse qui nous livre une morale et une critique :
La morale : le mariage arrangé n’apporte rien de bon à personne. La situation des personnages est pire que ce qu’elle était au commencement.
La critique : celle de la société dans laquelle vit le peintre.
Cette série n’est pas le premier comte moral du peintre.
En 1732, Hogarth a réalisé La Carrière d’une prostituée (six tableaux racontent la vie d’une jeune-femme de la campagne qui arrive à Londres, devient prostituée, puis meurt en très peu de temps)
En 1735, La Carrière d’un roué (une série de huit tableaux montre l’évolution du destin d’un jeune héritier glissant peu à peu dans la débauche, la grandeur et la déchéance -tout commence par un bel héritage et finit dans la misère d’un asile d’aliénés).
Ces deux tableaux ont fait l’objet de gravures extrêmement populaires auprès de collectionneurs sophistiqués.
Le Mariage à la mode fut commandé par Mary Edwards, riche mécène qui avait l’expérience d’un mariage arrangé et tenait à en dissuader ses contemporains.
Hogarth écrit « Ma peinture est ma scène et mes personnages sont des acteurs qui y donnent une pantomime silencieuse ».
Hogarth excelle quand il peint les sujets contemporains et moraux, qu’il appelle ses « pièces morales ».
Il donne une réalité à des idéaux et des opinions partagées par la société anglaise de son époque. Les sujets moraux étaient en forte demande depuis l’établissement, en 1735, de la Société pour la réforme des mœurs.
Ce type d’œuvre s’inscrit en réalité dans une longue tradition de peintures religieuses conçues comme des textes littéraires didactiques.
Les tableaux d’Hogarth sont dans la lignée des écrits satiriques anglais de Daniel Defoe ou Jonathan Swift.
Le peintre est considéré comme le père de l’estampe satirique anglaise et un précurseur de la caricature.
Conclusion
Sa maison de Chiswick est devenue un musée qui lui est consacré.
Pendant 25 ans son épouse gèrera son œuvre.
Il est le premier peintre anglais à s’émanciper de l’influence de la peinture flamande et française,
Hogarth est une figure majeure de l’Europe artistique du XVIIIe
Durant les dernières années de sa vie, au sommet de sa gloire, Hogarth orienta ses tableaux vers toujours plus de positions résolument conservatrices, en accord avec l’évolution de la bourgeoisie intellectuelle de Londres.
Gustave Courbet dans sa jeunesse voua une profonde admiration pour Hogarth, dont il reprendra l’art de raconter les histoires en image.
En 2006, le musée du Louvre en partenariat avec la Tate Britain, organisa une grande exposition sur Hogarth.
On y découvrit des artistes contemporains qui s’inspirent d’Hogarth, comme Paula Rego, David Hockney, Yinka