Septime Sévère et Caracalla -1769 J.B. Greuze

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)

 

Septime Sévère et Caracalla

1769

Huile sur toile

Dim 124 x 160 com

Conservé au musée du Louvre à Paris

 

Le peintre

Greuze nait à Toulouse, son père le destinait à l’architecture. Il se forme chez le peintre lyonnais Charles Grandon. Il rejoint Paris en 1750. Il se plie à l’enseignement de l’Académie auprès du peintre Charles-Joseph Natoire.

Son tableau Père de famille expliquant la Bible à ses enfants –1755, séduit le riche amateur Ange-Laurent Lalive de Jully qui l’exposa chez lui et rendit célèbre Greuze. Ce tableau répondait au goût tout neuf de la société pour la morale du sentiment.

Sa Mère bien-aimée ou sa Dame de la charité marquent l’avènement en peinture d’un genre sentimental qui durera jusqu’à la fin du XIXe.

Greuze fut reçu à l’Académie ( avec le tableau étudié) comme peintre de genre, en 1755.
Greuze en fut fort contrarié, il briguait un agrément en peintre d’histoire.

En 1755, Il fait un séjour d’un an en Italie. Comme Boucher, il est indifférent aux suggestions de l’antique et aux grands modèles classiques, seuls Guido Reni et Carlo Dolci retiennent son attention.
Leurs figures sont proches des personnages de Greuze.
Le peintre est de retour à Paris en 1757, il expose six tableaux réalisés en Italie, au Salon.
En 1759, il expose au Salon des scènes de genre, notamment Jeune-fille pleurant la mort d’un oiseau.

Il peint son tableau L’accordée du village en 1764 et le présente au Salon.
Ce tableau composé comme une scène de théâtre emporte tous les suffrages.

Greuze meurt ruiné à Paris en 1805 et son convoi de pauvre n’est suivi que par quelques amis.

 

Le tableau

L’empereur Sévère reproche à Caracalla, son fils, d’avoir voulu l’assassiner dans les défilés d’Ecosse et lui dit : « Si tu désires ma mort, ordonne à Papinien de me la donner avec cette épée. »

Ce sujet est historique, il illustre la tentative d’assassinat commise en Ecosse sur Septime Sévère par son fils aîné Caracalla en l’an 210.

Greuze choisit d’illustrer ce thème pour son tableau de réception à l’Académie. Greuze ambitionnait d’être reçu peintre d’histoire.

Son tableau fort critiqué par les académiciens fut accepté dans la catégorie, peinture de genre.

 

Composition

La scène se passe le matin.

La composition est d’une extrême modernité.
Elle  est restituée comme un bas relief, tout est parfaitement ordonné.

Elle se compose de trois plans. C’est une mise en scène théâtrale.

Greuze s’inspire de la composition de La mort de Germanicus –1627
de Poussin.

Au premier plan un dallage souligne la profondeur de la pièce
Au second plan, posé sur une estrade, un lit, dans lequel se trouve Septime Sévère ; les personnages sont distribués autour.
Au troisième plan, un rideau borde le lit il est accroché sur un mur qui occupe l’arrière-plan du tableau.
Sévère est redressé sur son lit, assis à moitié nu, il s’adresse à Caracalla.
Son fils est debout au pied du lit.
La main gauche de Sévère posée sur le bord du lit lui sert de point d’appui pour maintenir son dos très droit. La main est gauche est posée à proximité d’un glaive rangé sur une table de nuit. Sa main droite tendue, le bras levé, souligne son propos. C’est la main d’un homme qui ordonne.
Au chevet du lit se tiennent Papinien et un sénateur en conciliabule.

L’espace volontairement resserré, est rythmé par les personnages et les somptueux drapés de la chambre.

Greuze mélange les styles, un tabouret Louis XV côtoie des objets antiques.
A l’arrière-plan, il représente de grandes draperies (que reprendra David), tandis qu’au-devant, il peint une couverture moirée (digne d’une courtisane).

Les figures sont très expressives mais leurs attitudes sont empruntées.
Caracalla a le caractère d’un méchant, son attitude traduit sa honte plus que sa contrition. Pour représenter Caracalla et l’expression de son visage, Greuze fait appel à un modèle.
Sévère parle avec force et gravité. Son geste, le bras tendu, est téméraire et héroïque.
Papinien à l’air confondu et le sénateur étonné.
Greuze s’est attardé sur les visages qui sont très beaux.
Il s’inspire des bustes antiques.
La tête du sénateur placée sur le fond est encore plus belle que celle de Papinien.

Dans le coin gauche du tableau, une petite figure représente la déesse Fortuna. Le peintre l’intègre à sa composition, parce que les empereurs avaient dans leur chambre une déesse de la fortune. (Le peintre a étudié les habitudes impériales et les ouvrages d’archéologie pour représenter la déesse).

La gamme chromatique est réduite, les couleurs sont sourdes et froides, des gris, des verts et des bleus réchauffés par les éclats de lumières sur les étoffes blanches du lit et de la chemise de Septime.

La lumière « utile » entre par la gauche de la composition.
Elle s’attarde sur le buste de Sévère et sculpte les drapés.
Théâtrale, la lumière participe à la narration de la scène.


Analyse

 I – Les œuvres de Greuze ont une morale et des valeurs au goût du jour.

A/ L’art de Greuze à figurer les mouvements de l’âme répond à la demande du public.

Greuze renouvelle la peinture de genre en lui donnant une valeur moralisatrice.

Ses tableaux sont ses compositions dramatiques où les attitudes expressives et la gestuelle de ses personnages sont empreintes du pathétique réclamé par le public chez qui, elles font forte sensation.

Ce tableau invite à réfléchir sur la faiblesse des empereurs.

Dans ce tableau, Sévère agit en Père et non en empereur. Il demande à son fils de le tuer frontalement alors qu’il aurait du ordonner la mort de son fils.
Cette décision souligne la faiblesse et la faute morale de l’empereur.
Ce geste annonce la décadence de l’empire romain.

Greuze est attaché à représenter la réalité humaine de ses personnages.
La Piété filiale-Le paralytique de 1761 en est un exemple.

Cette peinture didactique doit son succès à l’essor de la mentalité bourgeoise.
Le Spleen ayant traversé la Manche, on découvre le sentiment germanique de la nature. Comme l’écrit Rousseau -La Nouvelle Héloïse, la bourgeoisie a des sentiments avant d’avoir des idées.

L’esprit rationnel et scientifique des « lumières » s’allie au retour à la nature prêché par Rousseau.

En 1762, Diderot publie l’Éloge de Richardson.

Greuze devient l’illustrateur de cet univers d’honnêteté.

Ses portraits et ses peintures de genre sont plébiscités par le public.

Greuze traite de la question de l’éducation dans nombre de ses tableaux.
Le respect des parents, le dévouement, la reconnaissance, la gratitude filiale.
Cette question de l’éducation importante durant tout le XVIIIe Greuze la traite dans des scènes où les personnages sont issus des milieux populaires.

Si ses tableaux de genre en témoignent La Pitié filiale-1763, L’accordée du village-1762, L’enfant gâté-1765, dans Septime Sévère et Caracalla qu’il présentait comme un tableau d’histoire, il traite son sujet de la même façon.

En 1761, la publication des Contes moraux de Marmontel encourage le retour à une vie vertueuse. Le salon de madame Geoffrin réunit Greuze, Diderot, d’Alembert, Grimm lors de séances de lecture où l’art doit promouvoir cette moralisation. La Vertu et la morale reprennent leurs droits en art.

Marigny -directeur général des Bâtiments du Roi, commande à Greuze
Un mariage et L’accordée du village. Marigny choisit Greuze en raison du caractère vrai et naturel qu’il donne à ses personnages et à ses compositions qui touchent davantage le public que les peintures d’histoire.

Greuze projette sur la toile l’imaginaire fantasmatique d’une société de privilégiés en proie aux égarements de la vertu.

B/ Dans ce tableau

Le décor du tableau est dur et sec en harmonie avec la situation représentée.

Dans la même idée les couleurs sont froides la gamme chromatique est réduite.

La lumière est glaciale, métallique.

La mise en scène rend la simplicité et la clarté des sentiments parfaitement lisibles. Cette innovation iconographique et morale vers un art simple répond aux attentes de la République des Lettres et des Arts.

Le souci d’authenticité pousse Greuze à réaliser un tableau descriptif afin de convaincre le regardant.

 

II – La raison du tableau

Greuze ambitionne de devenir célèbre et pour y parvenir il doit peindre des tableaux d’histoire (plus valorisants que les peintures de genre). Son objectif étant de devenir un peintre historique ;
Il représente  Septime Sévère et Caracalla.

Greuze choisit cette scène antique avec le projet de surprendre l’Académie.
Ce sujet est un modèle de la peinture d’histoire et souligne l’extrême ambition du peintre. Greuze est le premier à choisir un sujet que personne n’a jamais représenté.

L’échange est grave et l’instant choisi par Greuze est célèbre.

Il représente Septime Sévère malade et alité. Son fils, tristement célèbre pour sa tyrannie en tant qu’empereur romain est à ses côtés. Caracalla avide de pouvoir souhaite se débarrasser de son père.
Celui-ci informé de ses intentions, s’adresse à son fils.

Le 23 août 1769,  Greuze attend le verdict du jury de l’Académie.
Le directeur lui annonce qu’il est reçu à l’Académie en tant que peintre de genre.

Greuze est extrêmement déçu et profondément blessé.

Greuze demeura convaincu du mérite de son tableau et de l’injustice de l’Académie.

Les académiciens lui reprochent : « Le Septime est ignoble de caractère, il a la peau noire et basanée d’un forçat ; son action est équivoque. Il est mal dessiné, il a le poignet cassé. La distance du cou au sternum est démesurée, on ne sait où ne va ni à quoi appartient le genou de la cuisse droite qui fait relever la couverture…l’artiste n’a pas en l’art d’allier la méchanceté avec la noblesse. C’est d’ailleurs une figure de bois sans mouvement et sans souplesse. »

Greuze « oublia »  l’Académie et tourna le dos au Salon.

Cette déconvenue ne porta pas ombrage à l’admiration que l’on avait pour le peintre.

Septime Sévère et Caracalla est considéré aujourd’hui comme l’une des plus belles œuvres du néoclassicisme.

 

Conclusion

Diderot écrit à propos de Greuze : « Il donne des mœurs à l’art ».

Les fausses ingénues de Greuze sont célèbres et ses portraits sont éblouissants. Mais ce sont ses histoires morales qu’on retient. Celles où il vante la vie de famille, le dégoût du mal.

Au fil du temps le peintre élimine les détails, insiste sur les gestes et les expressions, donne à ses tableaux une valeur éternelle.

Greuze était déjà connu quand il a proposé, en 1769, comme morceau de réception à l’Académie, son Septime Sévère et Caracalla pour obtenir le titre de peintre d’histoire.

Cette œuvre tant critiquée par les académiciens, un des plus cruels épisodes de la vie de Greuze, est aujourd’hui considérée comme une œuvre majeure et l’un des premiers jalons du Néo-classicisme français.

 Le changement de goût du Néoclassicisme porte un coup fatal à Greuze.
Greuze tombe en désuétude après la révolution de 1789.
Au Salon, ses tableaux sont accueillis dans l’indifférence.
A la fin de sa carrière il reçoit une commande pour peindre un portrait de Napoléon. Il meurt dans la pauvreté.

Sa production est représentée au Louvre à Paris, la Wallace Collection à Londres, le Musée Fabre à Montpellier et dans sa ville natale au musée qui lui est consacré à Tournus.