Proverbes flamands – 1551 – Pieter Brueghel l’Ancien

Pieter Brueghel l’Ancien (1526/1530 – 1569)

  

Proverbes flamands

1551

Huile sur panneau

Dim 117 x 163 cm

Conservé à Berlin à la Gemäldegalerie

 

Le peintre

Peintre et graveur de formation, Pieter Brueghel est issu d’une famille d’artistes flamands bien établie. IL étudie auprès de Pieter Coecke Van Aelst et passe la majeure partie de sa carrière à Anvers, plaque tournante du commerce international et centre de l’édition de gravures du pays.
Dans les années 50 il vit à Anvers et travaille pour le commerce de l’estampe en réalisant de nombreux dessins.
Le peintre va dans les kermesses et les noces villageoises, ces fêtes populaires l’inspirent.
En 1552, Brueghel voyage en Italie, en passant par la France.
En 1562, Brueghel s’installe à Bruxelles avec sa femme qui lui donne plusieurs fils qui deviendront peintres à leur tour.
Bruegel a produit davantage de gravures que de tableaux.

Peintre des carnavals, des fêtes et de la célèbre Tour de Babel, Pieter Bruegel est un maître de la Renaissance flamande, à la tête d’une dynastie d’artistes.

En 1569, il est inhumé dans l’église Notre-Dame de la Chapelle à Bruxelles.

 

Le tableau

Brueghel fonde ses saynètes sur des études personnelles et des dictons populaires, ainsi que sur une gravure réalisée par Frans Hogenberg un an plus tôt, représentant plusieurs proverbes répartis dans un vaste paysage.

  

Composition

Sur un seul panneau Brueghel a représenté presque 100 proverbes illustrés par des villageois flamands.

Le peintre met en place plusieurs éléments pour organiser l’espace, le construire méthodiquement et avec rigueur afin de guider le regardeur.

Le savant étagement des plans oriente progressivement le regard jusqu’à l’horizon et la perspective atmosphérique, matérialisée par les nuances de bleu qui forment le lointain.

Les personnages qui vont des paysans aux ecclésiastiques et aux nobles, se livrent à toutes sortes d’activités dans un jeu complexe.

Brueghel juxtapose les dictons.
C’est une composition tourbillonnante avec un luxe de détails.
Ce foisonnement de petites saynètes est comique.

Le décor est une rue de village côtier.
La terre, le ciel, l’eau, le feu, les poissons, les animaux, les paysans, les bourgeois, les soldats, le curé, Dieu et le diable cohabitent dans ce village imaginé avec de grandes maisons, des chaumières, des tours médiévales et des clochers.
La végétation est luxuriante et très présente.
Les habits et les accessoires sont de l’époque du peintre.

Le regardeur a une vue plongeante sur des groupes de personnages affairés à leurs taches.

Brueghel transforme les proverbes en images.
Une foule hétéroclite illustre des dictons.
Scrutons ce tableau de la gauche vers la droite :

-Un homme s’enroule autour d’un pilier : mordre un pilier, c’est être un faux dévot.

-une femme ligote un diable, lier le diable au coussin : les femmes sont plus malines que le diable.

-une femme porte un seau d’eau d’une main et un charbon ardent dans l’autre :  cancaner, faire le mal d’un côté et le réparer de l’autre.

-un homme se cogne la tête contre un mur, une chaussure à un pied et l’autre nu : l’équilibre est primordial

-un homme tond un mouton un autre une truie : l’un a tous les avantages, l’autre aucun.

-une femme vêt son mari d’une cape bleue : cette femme trompe son mari.

-un homme comble un puits dans lequel gît un veau : combler le puits quand le veau s’est déjà noyé, c’est réagir après la catastrophe.

-Un homme jette des roses au cochon : c’est gaspiller son argent pour quelque chose d’inutile.

-un homme est à quatre pattes, la tête dans le monde :il faut se courber pour réussir dans le monde.

-un jeune-homme fait tourner le monde sur son pouce : il fait tout selon sa volonté.

-une femme tente de récupérer le contenu de son seau renversé : qui a renversé sa bouillie ne peut la récupérer en entier, les dégâts ne peuvent être complétement réparés.

-un boulanger est affalé sur une table : peiner pour aller d’un pain à un autre c’est, ne pas arriver à joindre les deux bouts.

-la truie tire la bonde : la négligence mène au désastre.

-attacher un grelot au chat : entreprendre quelque chose publiquement.

-une femme enroule sur la quenouille ce que l’autre a filé : commérages

-deux chiens sur un os ne peuvent s’accorder : argumenter sur une seule chose.

-faire une barbe de lin à Dieu : hypocrite

-trouver un chien dans la marmite : arriver trop tard quand tout a été mangé.

-les ciseaux pendent : il ne doit pas avoir confiance.

-porter la lumière du jour dans un panier : perdre son temps

-si tu laisses entrer le chien il va dans l’armoire : si tu donnes un doigt on te prend un bras.

-la cigogne reçoit le renard : allusion à la fable d’Ésope.

-les deux compères à la fenêtre, parler à deux bouches : être mauvaises langues.

-le gros poisson dans le chenal : les gros poissons mangent les petits.

-un homme accroupi attrape une anguille par la queue : se tirer d’affaire avec peine.

-les deux culs encadrés au-dessus du chenal : chier sur le monde, se moquer de tout.

-un homme perce le toit avec une flèche, il fait un trou dans son toit : il a la tête fêlée.
-il y a des lattes posées sur le toit de la mansarde : les murs ont des oreilles.

-un homme dégringole du bœuf sur l’âne, tomber du bœuf sur l’âne : Passer du coq à l’âne.

-sur le haut de la tour, un homme jette l’argent dans l’eau :il jette l’argent par la fenêtre.

-les galettes s’accumulent sur le toit, les galettes poussent sur le toit : Vivre dans l’abondance.

-dans le haut du tableau, les porcs errent dans le blé : Tout va de travers.

-les corbeaux volent où est la charogne : il n’y a pas de fumée sans feu.

Les mondes parsemés dans la composition guident notre regard.

Les verticales des architectures diverses et la grande diagonale -du coin inférieur gauche au coin supérieur droit traversant la composition, participent au rythme du tableau.

Brueghel maîtrise les effets, des bruns épais et sourds aux glacis transparents les plus lumineux. Son inventivité est constante dans le travail de la matière. Il utilise l’empreinte de ses doigts dans la peinture fraîche pour figurer le fond des poêles.

 Brueghel éclaire d’une même lumière son tableau.

Cette lumière entre à gauche de la composition, éclaire les zones d’ombres.
Dans le fond à droite les rayons du soleil encore haut, s’étirent sur l’eau.
La lumière vive éclaire fortement les personnages et dégage une grande énergie.

 

Analyse

Les peintures de Pieter Brueghel l’Ancien correspondaient aux goûts raffinés de l’élite flamande -érudits, amateurs d’art fortuné, souvent amis ou associés de l’artiste.

Son style d’apparence rustique était en réalité très complexe et méditatif.

Si Brueghel réalise beaucoup de ses tableaux à partir de ses études et croquis, il considère les gens simples, souvent rustres, comme des acteurs à part entière du theatrum mundi, le « théâtre du monde ».

Proches de la terre, les paysans constituent la matière première de l’humanité.

La représentation dénuée de sentiment et pleine de vie de leurs repas, de leurs fêtes, de leurs parties de chasse, de leurs travaux agricoles et de leurs jeux engendrent des œuvres très prisées par l’élite anversoise, qui apprécie leur esprit et qui constituent un témoignage de la vie politique et sociale du XVIe.

Il existe au moins seize exemplaires de gravures tirées de son tableau Proverbes flamands

Brueghel est un observateur attentif non seulement des gens mais aussi de leur environnement. Ses paysages offrent un témoignage vivant de son univers, de même que les cadres poétiques de ses récits.

Brueghel s’est inspiré de Jérôme Bosch, de son univers foisonnant et satirique.
On retrouve un de ses personnages dans Proverbes flamands

Brueghel a le goût de l’étrange, du cruel, du laid et l’exprime dans ce tableau.

Si ses compositions peuvent être d’une sobriété trompeuse, elles ne sont pas de simples reconstitutions de la vie quotidienne.
Composés, organisées et maitrisées avec sophistication, elles révèlent un sens aigu de la conception et de l’observation.

Brueghel intègre les proverbes de la folie humaine en les situant dans la vie de tous les jours.

La folie humaine est un thème courant chez Brueghel.

Vivant dans la ville cosmopolite d’Anvers et ayant voyagé en Italie et en France. Brueghel est conscient de l’ambition sans limite des hommes.
Bruegel a une vision acerbe et parfois cynique de son temps.

Il souligne la difficile condition de l’homme en accentuant la laideur des personnages, leur côté grotesque.

Sous les apparences d’un réalisme placide, Bruegel instille sa pensée sur le cours de ce monde.

Dans Proverbes flamands l’absurdité apparente des saynètes contraint le regardeur à percer les énigmes, leurs chercher un sens secret.

D’un tableau à l’autre Brueghel réutilise des figures.
Tel le magicien qui chie sur le monde renversé apparaitra dans Le combat de Carnaval et de Carême –1559 où son chapeau et ses gobelets sont empruntés à Bosch.

Autre remarque, les figures ne se sentent pas observées par le regardeur, elles sont indifférentes au regard de Bruegel. Elles vivent dans un monde clos, inconscients de ce qui les entourent. Les idées fixes que Brueghel a représentées ne se parlent pas entre elles, chaque personnage est prisonnier de la sienne.
Seul le regardeur contemple l’ensemble de la composition… prisonnier de lui-même.


Brueghel utilise une technique audacieuse et d’une liberté stupéfiante.

Brueghel peint sur des panneaux de chêne provenant de la Baltique qu’il cheville et colle et sur lesquels il applique une toile enduite d’une fine couche de craie et de blanc de plomb dilué dans l’huile. Ce support permet une réverbération de la lumière qui donne aux tableaux de Bruegel un formidable éclat.
Ensuite il met en place la composition et pose ses couleurs.
Les photographies infrarouges révèlent des dessins à la craie noire indiquant que le motif a été reporté sur le bois dans ses premières œuvres.
Dans la dernière période de sa vie d’artiste, fruit de sa grande expérience, il peint directement sur le panneau.

 

Conclusion

Le tableau est un objet destiné à la commercialisation, il doit répondre au goût du public qui considère le tableau comme un meuble.
Le sujet détermine la valeur de la toile.

Ce tableau, sous prétexte d’illustrer des dictons, reflète la dualité de la mentalité flamande partagée entre le plaisir et la règle morale, le matériel et le spirituel, le foyer et la rue.

Bruegel crée un équilibre entre réalisme, humour et poésie.
Ciel, voilier, maisons, chenal et figures sont réunis dans une lumière vibrante.

Brueghel est le créateur d’un monde où cohabitent le bien et le mal, l’ordinaire et la folie.

 Le peintre a réussi à exprimer l’état d’esprit de son époque si tourmentée.

Brueghel peint la prose du monde et de la vie.

Dans ses tableaux il y a plus de pensées que de peinture.