Printemps précoce – 1072 Guo Xi

Guo Xi (1020-1090)

 

Printemps précoce

 1072

Encre et couleurs légères sur soie

Dim 158,3 x 108,1 cm

Conservé à Taipei au musée de l’ancien Palais– Taiwan

 

Le peintre

Guo Xi est un peintre chinois, né vers 1020 dans la province du Henan et mort vers 1090.
Après avoir été recruté comme peintre à la cour de l’empereur Shenzong des Song du Nord, l’empereur le nomme à l’Académie Hanlin. Il est l’un des membres les plus imminents de cette institution.

Ses paysages aux puissantes montagnes tourmentées devant lesquelles se dressent des pins aux singulières branches « en pince de crabe », sont restés parmi les plus célèbres de la peinture des Song du Nord.

Info Wikipédia

 

La peinture

C’est un rouleau vertical de grande taille.

Cette peinture, la plus célèbre du peintre est aussi une des très rares que Guo Xi a signé et datée.

 

Composition

Le paysage se découpe en trois plans

La composition est centrée sur un pic autour duquel s’organisent en plans successifs des roches tumultueuses, des cascades et des arbres.

Le premier plan foisonnant, tout en roches et en arbres qui équilibrent la composition avec leurs tâches sombres au centre, se prolonge à droite de la composition par une cascade (distance en profondeur) – cette cascade crée le lien à droite,  et se creuse à gauche, avec une plaine vide -ou un lac, (distance en plan) qui bute au fond du tableau sur des rochers.
De ces rochers s’étire une diagonale qui s’élève et fait son chemin dans l’espace vide entre le premier plan et la montagne qui forme le troisième plan (distance en altitude).
Ce troisième plan domine le paysage, c’est une montagne majestueuse à la fois lointaine et proche.
Les reliefs de la montagne et les aspérités du sol sont rendus avec des tracés d’encre en « rides ».
La montagne est très haute, très découpée et très ridée, fantastique, présente et irréelle.

Les formes tourmentées des arbres aux branches crochues témoignent à la fois de leur vigueur et de la dureté du climat.
Les rochers érodés évoquent l’usure du temps et la pérennité de la nature.

Le dessin est précis, les détails sont représentés avec un soin extrême, l’eau coule, les arbres au feuillage dense, se tordent, la composition se creuse et s’envole jusqu’à la montagne qui au fond du tableau domine le paysage.

Une ligne serpentine traverse la composition, ce mouvement souligne les principes de symétrie, de hiérarchie et  la nature en perpétuelle métaphore.

La sensation d’espace vide provient de la division de l’espace par la diagonale qui s’élance du premier plan où sont concentrés les rochers et la végétation pour s’étirer dans l’espace non-peint.

Cette méthode de rendu est une caractéristique des peintres de la période Song.

 La sensation de profondeur est créée avec une perspective atmosphérique.
L’encre posée en lavis forme des fins dégradés et d’infinies variations de tonalités. Les subtilités du lavis suggèrent les lointains, fait apparaître au-dessus des nuages le sommet de la montagne, modèle les formes que le vent, l’eau, l’air et la lumière travaillent sans cesse.

La tonalité qui passe du sombre au clair, donne le relief aux formes.
Les ombres denses alternent avec les percées lumineuses.

Un « sfumato » enveloppe ces formes, arrondit les masses et crée une circulation d’air autour des volumes.

Le regardeur est aspiré par le paysage et emporté par son imaginaire.

Les lavis, ces jeux d’encre, sont la chair de la composition, son souffle.

Dans ce tableau Guo Xi utilise toutes les possibilités techniques du trait brisé harmonieusement fondu.

Guo Xi utilise l’encre modelée en forme de bâtonnets rectangulaires ou cylindriques. Cette encre est fabriquée avec du noir de fumée, additionné de gomme ou de colle animale (gelée de cerf, de poisson ou de bœuf). L’encre durcie est dissoute dans un peu d’eau en frottant le bâtonnet sur l’encrier, l’encre obtenue est bien noire.
Guo Xi module sa teinte (lavis) en trempant le pinceau dans un petit plat rempli d’eau.

 

 Analyse

Les paysages chinois ont un secret :  le regardeur est inexorablement aspiré par les méandres de ces vides.

Les paysages respirent.

Immersion :
Historique, technique, le message du tableau et le peintre dans son époque.

Historique

En 907, la chute de Chang’an, capitale prestigieuse et raffinée de la dynastie Tang (618-907) aux mains des barbares, obligea les peintres à considérer le monde qui les entourait d’un œil neuf. Forcés de faire face à leur nouvelle situation, ces derniers explorèrent de nouvelles possibilités techniques.

Lors des cinquante ans de bouleversements politiques qui suivirent la chute de l’empire Tang, la peinture de paysage naturels stimula particulièrement leur imagination.

Vers la moitié du Xe, la Chine s’apprêtait à effectuer un gigantesque bond en avant dans les domaines intellectuel, scientifique, culturel, économique et artistique.

Bousculés par les tourbillons militaire et politique que constitua la période des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes (907-960), puis par celui des mesures drastiques que prirent les premiers souverains de la dynastie Song (960-1279) pour réunifier le territoire, les deux plus grands peintres de paysages, Li Cheng (919-967) et Fan Kuan (990-1030), tentèrent d’illustrer une nature rassurante dans son intemporalité et sa fiabilité. S’attachant à croquer les détails avec le plus grand réalisme -sans pour autant peindre d’endroits précis- ils parvinrent à rendre la force des paysages montagneux et grandioses du nord de la Chine. Grâce à leur connaissance des éléments naturels et leur observation de la lumière, les artistes recréèrent l’espace à l’aide de l’encre et du pinceau.

La peinture de paysages atteint à l’époque des Song un sommet esthétique.

Toutefois, c’est Guo Xi, peintre favori de l’empereur Shenzong (règne de 1067 à 1085) qui poussa ce style à son paroxysme.
Pou lui, le paysage est le reflet de l’intégration de l’homme dans la nature et accentue l’insignifiance de son rôle dans le ballet de la création ; la peinture idéale doit captiver le spectateur au point que celui-ci ressente le désir de se perdre dans « un voile de brume et de nuages au coucher du soleil ».
Certains critiques pensaient que les paysages peints par Guo Xi représentaient sa vision d’un paradis taoïste où l’homme n’est qu’une infime part d’un univers bien plus vaste.

Si le recours à la nature est avant tout révélateur d’une période post-Tang en quête de réconfort et de sécurité, celui-ci ne tarda pas à entrainer des questionnements sur les principes régissant le monde physique, une quête de savoir à laquelle les artistes participèrent pleinement.


Technique

Les peintres de cour définirent des normes strictes régissant la composition et le geste.
Des formes sans contours marqués contribuent à la vraisemblance du sujet, les détails esquissés par des lignes fines (les roues à aube, les tuiles des toits, le plumage des oiseaux), des points suggèrent une végétation luxuriante ou des chutes d’eau et des lavis pour les nuages, la brume ou tout autre phénomène atmosphérique.

L’époque des Song se caractérise par une peinture de paysages monochromes.

Guo Xi aimait accumuler les couches de lavis texturées pour exprimer l’énergie d’une montagne et condamnait les artistes qui se contentaient d’appliquer l’encre sur le papier ou la soie.
En digne descendant de la tradition académique, il insistait sur la nécessité de contrôler précisément le pinceau et l’encre comme sur celle de planifier et de structurer la composition.

Guo Xi n’est pas un novateur. Il reprend des solutions de paysage construit de manière traditionnelle.
Ainsi il organise la représentation de l’espace dans sa peinture en trois plans : le premier plan, le plan moyen et l’arrière-plan selon les règles qu’appliquaient avant lui tous les peintres des Cinq Dynasties, au Xe, dont Fan Kuan et Li Cheng.

Mais il s’en distingue par une plus grande attention à la manifestation des
« souffles » qui parcourent autant les arbres et leurs branches crochues, que les rochers ou les monts lointains.

Le paysage de Guo Xi n’est pas une ressemblance formelle, c’est une élaboration mentale et sensible.

Guo Xi ne peint pas ce qu’il voit, il peint ce qu’il a dans son esprit.

C’est la naissance du paysage « état d’âme » qui reflète la rigueur et la pureté du lettré.

 Guo Xi est dans la lignée du peintre King Hao (855-915) qui enseigne :
« Peindre c’est dessiner, c’est apprécier la figure des choses en la tenant pour ce qu’elle est, et leur intime vérité pour ce qu’elle est à son tour. Ne prenez pas l’apparence pour la réalité. Qui ignore ce secret pourra obtenir la ressemblance fortuitement ; quant à représenter l’aspect réel des choses il n’y parviendra pas. Une image ressemblante saisit la forme extérieure du modèle et laisse échapper le souffle qui l’anime. Dans une image vraie, le souffle et la substance sont pleinement exprimés. Quand on cherche à transmettre le souffle de vie par le truchement des apparences formelles en négligeant de l’insuffler à l’image, l’image est morte… Pour transmettre à l’image le souffle de vie, il faut laisser le cœur suivre le pinceau dans ses révolutions, et devenir ainsi capable de saisir les formes sans hésitation… Quant à la résonance harmonique, il faut pour l’obtenir savoir donner une forme visible à ce qui est intime et caché. Alors quoi qu’on peigne on échappe à la vulgarité. La réflexion s’entend du choix qu’il faut faire des traits essentiels et ceci suppose une extrême concentration de l’esprit sur les objets qu’on se propose de représenter. Il y a des convenances propre à chaque sujet : d’une saison à l’autre, un paysage change, les grands horizons plats et marécageux ne se disposent pas dans l’espace comme les chaînes de montagnes dont les sommets disparaissent dans les nuages ; voilà ce que signifie le spectacle. »

Le pinceau et l’encre interviennent lorsque le travail de l’esprit a façonné l’image.

Guo Xi voit l’image dans le miroir de sa pensée quand il attaque la soie ou le papier avec la pointe de son pinceau. Le pinceau guidé par les doigts, trace l’image avec force et délicatesse, sans hésitation ni reprises. Le geste que les chinois appellent lo-pi (poser le pinceau sur le support) est décisif.
C’est dans la mesure où Guo Xi participe à son mouvement, qu’il peut insuffler la vie à son œuvre.

Nicole Vaudier-Nicolas -revue Persée- article : la peinture chinoise à l’époque Song « Quand ils parlent de leur art, les peintres chinois accordent le premier rôle à la contemplation. D’après eux, l’état créateur s’apparente étroitement à l’extase mystique, et c’est en s’abstrayant des choses pour se replier dans le vide central que l’artiste communique à son œuvre la vie. »

Le message de Printemps précoce

Dans son essai consacré à la théorie de la peinture, Guo Xi compare la montagne qui domine un paysage à l’empereur qui règne sur la cour.

Printemps précoce et toute la symbolique du nouveau départ que l’œuvre exprime, serait une parabole du soutien de l’empereur Shenzong aux politiques originales initiées par son Premier ministre, Wang Anshi, aux idées réformistes.

Printemps précoce est une peinture optimiste d’une harmonie sociale dominée par une autocratie bienveillante, une métaphore du pays en pleine renaissance, grâce aux réformes voulues par l’empereur.

Autre interprétation
L’œuvre serait la vision de Guo Xi des brûle-parfums métalliques en forme de montagne et au décor de vallées et de pics rocheux aux formes tortueuses, très populaire sous les Han.


Guo XI dans son époque

Le traité de Guo XI sur le paysage, ouvrage très important pour la période Song, assura son succès quand ses peintures auront pour la plupart disparues.
Ce livre rassemble les idées du peintre vis-à-vis de la Nature et vis à vis de son art, ses expériences et conceptions.
Guo Xi aborde la théorie des perspectives, c’est lui qui énonce et définit les « trois modes de distanciation » : distance en altitude, distance en profondeur et distance en plan.
La distance en profondeur consiste à creuser la peinture en ouvrant au regard des couloirs entre les formes.
Guo Xi donne au regardeur l’illusion d’entrer dans le paysage.

Les peintures de Guo Xi n’étant pas signées, Printemps précoce sert de comparaison pour l’attribution de ses tableaux.

Automne dans la vallée du fleuve Jaune – entre 1020 et 1090 est un rouleau horizontal portatif 26 x 206 cm.
Conservé à la Freer Gallery of Art, Washington D.C
Le traitement de l’espace similaire à celui de Printemps précoce et chaque détails traité avec minutie, permettent de l’attribuer à Guo Xi, bien que les contrastes soient plus vifs et les formes noires plus denses.

Les paysages des peintres qui ont précédé Guo Xi

 King Hao peint une œuvre esthétique : Le Mont Lu – Xe, Conservé à Taiwan.
Le peintre représente un paysage construit mentalement, aux pics élevés, aride, abrupt.

Li Cheng, son tableau Temple solitaire au milieu des sommets clairs –vers 960 est conservé dans le Missouri à Kansas City dans le musée d’Art Nelson-Atkins.
Dans ce paysage élégant, la richesse des tonalités et la densité des formes dominent.

 Fan Kuan représente le paysage comme une expérience spirituelle : Voyageurs dans les gorges d’un torrent –Xe est conservé à Taiwan. Musée national du Palais à Taipei.
La perspective surplombante découvre le fond de la vallée où un groupe minuscule de voyageurs évolue.

Les paysages contemporains

Le plus grand paysagiste de notre époque est Fou Pao-Che (1904-1965). Il sut rénover la grande tradition du lavis Song.
Ses œuvres sont visibles au musée Cernuschi à Paris.
Rêveur -1950, lavis et rehauts d’encre sur papier conservé au musée Cernuschi.

 

Conclusion

Le paysage symbolise l’évolution de la peinture chinoise.

À la mort de l’empereur Shenzong, les œuvres de Guo Xi sont décrochées par son successeur Zhezong en 1086 et remplacées par des œuvres antiques.
Ce revirement pourrait s’expliquer par l’implication de Guo Xi dans le mouvement des réformes qui fut balayé par les traditionalistes.

Le style qu’emploie Guo Xi dans ses paysages est souvent comparé à celui de Li Cheng pour la composition et l’organisation de l’espace.
Leurs deux noms ont été adjoints pour désigner une certaine tradition du paysage qu’ils ont créée.

Dans la peinture de Guo Xi il s’agit plutôt d’une image du Monde, celui de l’empereur.

L’œuvre de Guo Xi illustre l’âge d’or du paysage chinois.
Les catalogues anciens mentionnent une centaines de titres de paysages de Guo Xi, aujourd’hui disparus.

 Le dernier mot à Guo Xi :
« Un poème est une peinture invisible. Une peinture est un poème visible ».