Portrait de Marguerite -1887 Fernand Khnopff

Fernand Khnopff (1858-1921)

 

Portrait de Marguerite

1887

Huile sur toile

Dim 96 x 74,5 cm

Conservé aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique

 

Le peintre

Khnopff est né au château de Grembergen en Belgique, dans une famille aristocratique aisée. Il a passé son enfance à Bruges. Après la naissance de sa sœur Marguerite, la famille s’installe à Bruxelles. Fernand fait des études à la faculté de droit puis à l’Académie des beaux-arts. Il complète sa formation à Paris, fréquente l’atelier Julian, découvre les œuvres de Delacroix, Ingres et Gustave Moreau.
Plus tard, à Londres, il verra les tableaux de Millais et d’Edward Burne-Jones.

Fernand Khnopff est un peintre symboliste.

En 1883, Il est l’un des membres fondateurs, avec Paul Dubois et James Ensor d’un groupe d’artistes belges, les Vingt. L’association se dissout en 1893 puis se reconstitue sous le nom de La Libre esthétique avec son salon annuel.

Joseph-Aimé Peladan -fondateur de l’ordre kabbalistique, qui prônait un art idéaliste et mystique,  fera connaître Khnopff en France en l’exposant au Salon de la Rose-Croix, en 1892, 1893 et 1894.

Fernand Khnopff présente ses œuvres à la première exposition de la Sécession viennoise en 1898. Son tableau, Des caresses y acquit une célébrité internationale.
Khnopff fut très admiré des peintres de la Sécession viennoise.

En 1900, l’empereur François-Joseph lui demande de réaliser le portrait de sa femme Elisabeth de Bavière, impératrice d’Autriche morte deux ans auparavant.

Son intérêt pour la dimension psychologique et l’aspect décoratif inspira Klimt.

À la fois peintre, dessinateur, graveur et sculpteur Fernand Khnopff est considéré comme le plus fameux des représentants du symbolisme belge. 

 

Le tableau

Ce tableau est la propriété du roi Baudoin et du fond du patrimoine.

C’est le premier grand portrait que Khnopff peint de sa sœur de six ans sa cadette.  Il sera accroché dans la chambre bleue de la maison-atelier de l’artiste.
Dans sa maison-atelier, la chambre bleue était une sorte de sanctuaire où le peintre conservait ses tableaux favoris.
Marguerite est son modèle favori.

À la mort de l’artiste, Marguerite hérita de son portrait. Il demeura dans la famille jusqu’en 1984. Après un passage dans une collection américaine, le Roi Baudoin l’achète en 1991 lors d’une vente aux enchères à New-York.

 

Composition

La pièce fait figure de scène artistique et joue le rôle d’un cadre autour du personnage.

Khnopff structure sa composition de verticales et d’horizontales.
Et place son personnage au centre de la toile.

Marguerite est représentée sous les traits d’une jeune-femme revêtue d’une robe sévèrement boutonnée et de longs gants.
C’est un portrait en pied.
Marguerite se tient droite et raide, un bras derrière le dos.
Sa raideur est renforcée par le double cadre que forme la porte derrière elle.
Et sa droiture est soulignée par le fait que Marguerite se tient exactement au milieu de l’encadrement.

Le double encadrement de la porte encadre exactement le corps de Marguerite.
La symétrie du décor, ajoute à la robe blanche qui enserre la silhouette telle un corset. Si  on ajoute le bras dissimulé derrière la taille, ainsi mise en scène, rien de sa personnalité ne s’échappe.

L’huisserie de la porte, la plaque murale et la plinthe viennent en miroir de la couleur de peau, des vêtements et des cheveux de Marguerite.

La gamme chromatique est sobre et décline les couleurs de Khnopff, du blanc du bleu et de l’or rehaussé par les bruns du parquet et des plinthes.

La lumière est frontale, indéfinie, un effleurement.

Dans ce cadrage strict, Marguerite semble aérienne avec ses pieds absents de la composition et son regard détourné, ailleurs, dans un rêve ou un autre monde.

  

Analyse

L’obsession de Marguerite

En décembre 2018, le Petit Palais à Paris a proposé une exposition de Fernand Khnopff.
Ce grand portrait de Marguerite nous accueillait au seuil de l’exposition.
Il donnait le « la » de l’expo.
Une invitation à la rêverie et à une réflexion sur l’identité.

Dans les salles,  le regardant retrouvait le visage de Marguerite démultiplié dans les gorgones, les anges, les amazones cuirassées, les masques mortuaires et les simples femmes mystérieuses.

Dans le Portrait de Marguerite, la forme circulaire du cercle doré au mur évoque la perfection et l’infini et symbolise l’intimité.
Les tons blancs de ce portrait  expriment un sentiment de pureté intouchable et de distance.
Marguerite cadrée par la porte dans son dos, est emprisonnée dans ses vêtements et  plongée dans ses pensées.
Ses yeux perdus dans l’immensité du vide, Marguerite apparait telle une déesse fascinante, lointaine, inaccessible.
C’est un portrait mystérieux, énigmatique, hors du temps.

Khnopff peint sa sœur en représentant  un portrait de femme idéale.
Khnopff aspire à créer un supplément d’âme avec ce portrait ouvrant sur les mondes du rêve.
Khnopff n’interprète pas, il sollicite l’imaginaire du regardant.

Khnopff  a une relation fusionnelle avec sa sœur.
Khnopff dissimulera cet amour secret, avec la distance et le glacial qui lui est propre. Le visage de Marguerite est au centre de son inspiration.
Il nous donne à voir son immense dévotion pour sa sœur Marguerite, qui lui servira de modèle jusqu’à son mariage en 1890.
Toute son œuvre pivote autour du visage démultiplié de Marguerite, la densité de son regard, la rousseur de sa chevelure.
À la fois portraits et archétypes, le visage de Marguerite est tour à tour inaccessible ou proche.
Khnopff conserve la marque indélébile de son empreinte.
Pendant trente ans, il prêtera son visage à tous ses visages peints comme autant de consolations vaines.

L’air de défiance qui se lit dans les regards de ses héroïnes répond aux titres des œuvres :
Memories -1889 représente sept fois la silhouette de Marguerite, dans une étrange ronde somnambulique, conçue à partir de photographies et de dessins.
Ce qui frappe dans ce tableau c’est l’absence de communication, l’expression lointaine renvoie à un profond sentiment de solitude.
Du silence -1890 représente une Marguerite au visage d’ange.
Le secret -1902, représente une Marguerite en prêtresse. Dans la partie basse, un dessin au crayon illustre le reflet de l’hôpital séculaire saint Jean à Bruges.

Son tableau le plus envoûtant, le plus célèbre et le plus emblématique honore encore et toujours Marguerite.
Peint en 1896, Des caresses, est une interprétation d’Œdipe et le sphinx de Gustave Moreau -1864.
Dans ce tableau la sphinge qui embrasse Œdipe a les traits de Marguerite la sœur bien aimée. Œdipe a presque le même visage. Khnopff mêle indifféremment le masculin et le féminin aux corps de l’humain et du félin. L’ambiguïté ouvre sur l’imaginaire.
L’androgyne cristallisant l’union des contraires exprime l’amour impossible du peintre.
Marguerite, sa vision de toutes les femmes, séductrice, tentatrice, objet de désir ou symbole de la débauche, sphinx ou ange.

Puis il substituera le visage de Marguerite au profit du modèle des rousses préraphaélites de Burne-Jones et Rossetti. En mixant le symbolisme belge et l’Angleterre, à la croisée des préraphaélites anglais et des grands noms de Sécession viennois, Khnopff façonne une esthétique singulière et développe une iconographie personnelle uniquement préoccupé par la vie intérieure.
Ses tableaux sont métalliques, solitaires, anguleux, androgyne.

Ses couleurs de prédilection sont le blanc, le bleu, le noir et l’or que l’on retrouve dans sa maison-atelier construite en 1900 à Bruxelles et recrée pour l’exposition du Petit Palais.

Khnopff appelait sa maison-atelier en bordure du bois de Cambre, son « Temple du Moi ». C’était sa tour d’ivoire. La maison sera démolie en 1918.

 

Conclusion

Bien que reconnu internationalement de son vivant, Khnopff est tombé dans l’oubli au début du XXe. Son œuvre n’a été redécouverte qu’à partir des années 1960 et a fait notamment l’objet d’une exposition majeure aux Musées des beaux-arts de Belgique en 1979, suivie d’une exposition à Bruxelles en 2004 –qui voyage à Salzbourg et Boston.

Khnopff a une personnalité complexe c’est un artiste fascinant, énigmatique.
Sa devise « On n’a que soi » affirme son goût pour l’introspection et la solitude.
Son intelligence et sa sensibilité ont donné à Khnopff une conception désenchantée de la vie.

Les regards mystérieux, les personnages mythologiques, les décors oniriques foisonnent dans les tableaux de Khnopff et apportent une touche de magie à une œuvre élégante.

A sa manière Khnopff le symboliste ouvre la voie aux surréalistes.
En remettant en cause la réalité, en pervertissant les apparences, il annonce Magritte et préfigure l’étrange et l’insolite de Dali.