André Derain (1880-1954)
Pont de Charing Cross dit aussi Pont de Westminster
1906
Huile sur toile
Dim 81 x 100,6 cm
Conservé au musée d’Orsay à paris
Le peintre
André Derain commence à peindre dès 1895 tout en préparant son baccalauréat.
En 1898, il fréquente l’académie Camillo. Derain rencontre Matisse, de dix ans son aîné, qui reconnait en lui des principes d’abstraction cezanniens et lui présente le galeriste Ambroise Vollard, qui révéla Gauguin, Van Gogh, Cezanne et Picasso.
Les deux artistes partent à Collioure. L’explosion des couleurs et la force des contrastes lumineux les entraînent tous deux vers des horizons violemment colorés.
Une fois son service militaire effectué en 1904, André Derain s’inscrit à l’Académie Julian.
En 1905, sur le conseil de son ami Matisse il participe au Salon d’automne marqué par l’émergence d’une nouvelle peinture appelée fauve.
En mars 1906, financé par Vollard, le jeune peintre arpente Londres et fréquente les musées, notamment le British Museum où il étudie les collections d’arts indiens, africains, et océaniens.
À l’été 1906, Derain se rend à l’Estaque pour marcher dans les pas de Cézanne sur les traces de son synthétisme des formes.
C’est à la suite de la grande exposition de Cezanne de 1907 au Salon d’automne, où sont exposées les deux dernières compositions des Grandes Baigneuses que s’impose le choc esthétique qui marque Derain.
À partir de 1907, Derain simplifia ses formes, apposa des couleurs plus neutres, cherchant à effectuer une synthèse entre classicisme et modernité.
En 1913, il participe aux côtés de Robert Delaunay, Marcel Duchamp, Raoul Dufy et Pablo Picasso à l’Armony Show de New-York.
En 1914, il est mobilisé pour participer à l’effort de guerre.
En 1916, la galerie Paul Guillaume organise la première exposition personnelle de Derain avec l’aide de Guillaume Apollinaire et d’Alice Guéry.
En 1919, Derain est de retour à Paris et crée de nombreux décors et costumes de ballets durant les années 20 et 30.
En 1924, Paul Guillaume devient son nouveau marchand.
L’œuvre de Derain devient plus réaliste, classique en référence aux maîtres anciens.
En 1941, Derain, à la suite de l’invitation du sculpteur Arno Breker, passe 10 jours en Allemagne.
Mais cette association à la propagande culturelle nazie orchestrée par Goebbels ainsi que l’échec de la libération d’artistes déportés et prisonniers de guerre eut de graves répercussions sur la fin de carrière de Derain. Il fut notamment soupçonné en 1944 de fait de collaboration avant d’être innocenté.
En juillet 1954, renversé par une voiture, le peintre succombe des suites de ses blessures en septembre de la même année.
Le tableau
Avec l’idée de reconduire le succès des scènes londoniennes de Monet, Vollard envoie Derain en 1905 dans la capitale britannique.
Poussé par Vollard, Derain effectue deux séjours à Londres.
En 1906, Derain poursuit ses expérimentations fauves et ses chocs de couleurs à travers une trentaine de vues de Londres.
Dans cette toile, Derain représente le quai Victoria et le pont de Charing Cross à Londres avec dans la perspective les clochers de Westminster.
Ce tableau ne correspond pas à la représentation objective de la réalité.
La toile sera exposée au Salon d’Automne de 1906.
Composition
Le tableau est parfaitement composé, organisé dans l’espace de la toile.
Derain s’inspire de l’énergie vitale des œuvres lointaines qu’il a vu dans les musées de Londres, pour animer les formes qu’il a minutieusement observées au bord du fleuve.
Le peintre restitue par ce détour inédit la force et la vitesse d’une civilisation urbaine européenne.
Derain peint en couleur sans tracé préalable.
Il simplifie son dessin.
Le décor se limite à quelques lignes disposées horizontalement et verticalement pour encadrer la scène.
Derain déforme les voitures dont la silhouette épouse la courbe du quai Victoria pour donner une sensation de vitesse.
Le peintre intègre les voitures dans un champs de forces qui anime les vides autant que les pleins.
Derain abandonne les conventions de la représentation.
Il rejette la profondeur de la perspective.
Les formes affirment la structure du tableau.
Derain utilise la couleur librement.
Derain dissocie la couleur de son objet.
Il emploie des couleurs vives, pour créer des contrastes violents et s’opposer à la quiétude impressionniste.
Il trace sa route verte avec franchise, les bâtiments bleus se détachent sur un ciel jaune.
Un ballet de péniches sillonne la Tamise jaune-citron semée de papillotements blancs, roses et rouges. Sa palette chromatique est éclatante, les couleurs sont stridentes et antinaturalistes.
Derain les pousse à leur maximum d’intensité.
le peintre explore toute la gamme colorée jusqu’aux chromatismes complexes qui associent les teintes étouffées de vert bleuté, de rose et de bleu tirant sur le parme. Il n’y a pas de nuance, ni de recherche de dégradés. Les couleurs contrastent fortement les unes par rapport aux autres.
Derain recherche un rythme expressif juste avec les couleurs.
Sa touche est spontanée, franche et énergique.
La chaussée, les bâtiments, sont peints en de larges aplats tandis que la mouvance du ciel et de l’eau est traitée par de petites touches fragmentées, proche du style néo-impressionniste.
La lumière est l’élément essentiel des explosions de couleurs.
Le peintre exprime l’or du jour finissant dans une évocation de la vie quotidienne.
Les personnages sont esquissés et largement cernés de noir.
L’interprétation de la lumière de Derain est moins éphémère que celle de Monet mais aussi plus personnelle.
Derain accorde la priorité à l’expression de l’atmosphère.
La composition est le sujet de ce tableau
Analyse
I- Derain cherche à exprimer ses sensations personnelles et non à créer une impression du monde extérieur.
Les trois principaux fauves sont Henri Matisse, André Derain et Maurice de Vlaminck.
Dès 1901, Derain et Vlaminck commencent à travailler ensemble.
C’est à l’occasion du Salon d’Automne de 1905 que le critique Louis Vauxelles utilise le terme fauves pour caractériser leurs audaces chromatiques.
Le fauvisme dont l’existence fut brève, assure la transition vers les grands mouvements picturaux du XXe qui s’éloignent de plus en plus de la peinture figurative.
Le fauvisme rassemble des artistes qui usent de la couleur pure, dans une quête d’expressivité, de choc visuel et émotionnel qui éloigne la peinture de toute tentative illusionniste.
Derain est à la fois l’héritier des recherches de Gauguin et Van Gogh et des formes issues de ce que l’on appelait l’art primitif.
Derain s’engage dans l’aventure des fauves, durant les dix années qui précèdent la guerre. Il explore les voies de l’avant-garde, peignant avec Matisse, empruntant à Gauguin la force des couleurs, à Cezanne la puissance des volumes et aux arts primitifs leur force de simplification, leur manière d’aller à l’essentiel.
Il capte l’essence du mouvement, il anime le dessin.
Les esquisses et descriptions qu’il adresse à Vlaminck témoignent de l‘une des premières influences des arts primitifs sur le modernisme européen.
« J’ai vu des sculptures indoues et des broderies égypto-romaines de toute beauté qui me conseillent fortement de faire de la Tamise autre chose que des photographies en couleurs », écrit Derain à Matisse le 15 mars.
Derain à un désir d’authenticité psychologique.
Il lutte contre les visions du réalisme visuel.
Cette agression expressionniste de l’objet est une caractéristique du fauvisme français.
Les arbres, les voitures, le fleuve en témoignent dans cette toile.
Derain représente une voiture, la voiture s’intègre au tableau où elle exprime la vitesse.
Derain fait violence à la voiture en la déformant, en intensifiant ses couleurs, en la projetant dans le dynamisme du tableau. Le peintre déforme la voiture, il l’incurve, elle devient une tache bleu et noire. Les voitures du fond ressemblent à des mouches.
Derain cherche à exprimer l’intensité de la vitesse en modelant les voitures à l’image des sensations qu’elles suscitent.
La voiture devient le symbole de la vitesse.
La voiture devient un objet pictural peint par Derain qui mélange le réel et l’imaginaire.
Derain recherche l’imperceptible, qualifié par des signes, qui conduit à une dissolution de la forme et engendre la perception d’un mouvement.
Derain traduit la lumière par un accord des surfaces qu’il colore intensément.
Derain n’imite pas, il transpose les couleurs, les arbres sont rouges, la Tamise est jaune, la route est verte.
Entre le pont de Charing Cross et le tableau, Derain opère une transformation topologique.
Le peintre déforme les couleurs.
La ligne et la couleur dépendent non de la saison ou de la science, mais de l’émotion et de l’expression libre de Derain.
Avec les couleurs, Derain exprime ce qui essentiel à ses yeux.
La façon dont les couleurs antinaturalistes interagissent sur la toile est plus importante que leur réalité physique.
Le peintre supprime les détails superflus qui distrairaient le regardeur.
II- Derain donne à sa toile une force qui vivifie la scène.
Le tableau recrée le lieu.
Au premier plan le long de la Tamise les arbres sont nus, seulement des branches, sur la droite de la composition et au second plan, les arbres ont leurs feuillages, ils sont rouges, très présents, ils soulignent le quai et conduisent la perspective.
Le dessin des arbres du premier plan ne se réduit pas aux couleurs des seconds, la correspondance de ces arbres conduit à une sensation, notre sensation.
La toile frémit de l’intérieur.
Comme dans son Pont sur le Riou -1906, où les plans s’interpénètrent dans une symphonie de couleurs qui les mêle intimement.
Derain recherche le brut, l’authentique.
Il s’échappe du policé stérile qu’impose la culture occidentale qui marque le début du XXe.
Peintre, graveur, sculpteur, il exprime avec force cette recherche du fondamental qui le conduit à retrouver les voies du dessin à la reconquête de l’esprit des formes.
Après la guerre, Derain revient aux modèles classiques de la peinture, s’imprègne des maîtres siennois et florentins et se tourne vers un réalisme imprégné cependant de spirituel et d’intemporalité.
Le pont de Charing Cross constitue l’une des compositions les plus réussies du fauvisme.
Conclusion
C’est à l’invitation de Matisse que Derain découvre à Collioure la lumière méditerranéenne de la Côte vermeille. « Une lumière blonde, dorée qui supprime les ombres » « tout un monde de clarté et de luminosité » écrit Matisse.
À ses côtés, Derain se lance dans un feu d’artifice de couleurs franches, une série de paysages spontanés, trente toiles fondatrices qui resteront l’ensemble le plus significatif et cohérent de la peinture fauve.
« Le fauvisme a été pour nous l’épreuve du feu. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite » se souvient Derain.
Les couleurs traduisent une émotion et orchestrent des compositions puissantes et explosives.
Derain participe au chamboulement de la vie artistique du début du XXe.
Grâce à ses vues de Collioure et de Londres, Derain est l’une des plus importantes figures du fauvisme.
À la fin de sa vie artistique, son œuvre devient réaliste et se concentre sur l’élaboration de thèmes classiques.
En France, les œuvres d’André Derain sont exposées au centre Pompidou, le musée d’Art Moderne de la ville de Paris, au musée de l’Orangerie, aux musées de Troyes et de Lyon.
À l’étranger, l’artiste est présent dans les collections des musées : Statens Museum for Kunst de Copenhague, Museum of Art de Baltimore, Art Institute de Chicago, Metropolitan Museum of Art de New York, Museum of Modern Art de New York, National Gallery of Art de Washington, Tate Gallery de Londres, Musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg.