Diego Velàzquez (1599-1660)
Philippe IV en costume de chasseur
Entre 1634 et 1636
Huile sur toile
Dim 189 x 124 cm
Conservé au musée du Prado
Le peintre
Velàzquez est issu de la petite noblesse sévillane.
Dès l’âge de onze ans, il est confié par son opère au peintre Francisco Pacheco, qui est doté d’une culture artistique et humaniste dont profite son apprenti. Brillant élève et apprenti peintre exceptionnellement doué, après avoir passé six ans chez Pacheco, il obtient le droit d’exercer son métier à dix-sept ans. Il développe sa maîtrise technique à travers les représentations de sujets religieux, de scènes de la vie quotidienne, ou grâce à la réalisation de portraits, trois thèmes essentiels dans la poursuite de sa carrière.
Conscient de son talent, il tente sa chance à la Cour, installée à Madrid.
Il est nommé peintre du roi, en qualité de portraitiste, en 1623.
Velàzquez a une grâce naturelle et de la prestance, c’est un homme de goût à la mise soignée et originale.
Dans les années 1630-1640, Velàzquez est à l’apogée de sa carrière.
Le roi l’apprécie et lui apporte sa confiance.
Le peintre flamand Rubens, envoyé à la cour d’Espagne en mission diplomatique, prend le jeune Velàzquez sous son aile et, exerce sur lui une profonde influence, intellectuelle et picturale.
Afin de compléter ses connaissances et sa technique, le roi accorde à Velàzquez une licence pour qu’il se rende en Italie.
Velàzquez s’est rendu en Italie une première fois entre 1629 et 1630. Ce voyage marque un tournant dans sa carrière et ses influences, son style connaît un changement radical.
Venise, Ferrare, Rome et Naples, ces étapes sont l’occasion d’étudier l’œuvre des grands maîtres, comme le Titien. Il se confronte aussi à une génération d’artistes influents : Le Bernin, Valentin de Boulogne, Nicolas Poussin. Velàzquez se lie d’amitié avec Ribera peintre d’origine espagnole et résidant à Naples.
La décennie 1630 est la période la plus prolifique pour Velàzquez. Il réalise de nombreux portraits royaux et son atelier est établi à l’Alcazar, résidence de la famille royale.
En 1644, il est nommé aide de chambre, Velàzquez est désormais chargé d’accompagner le roi dans tous ses déplacements.
Velàzquez voyage une seconde fois en Italie entre 1649 et 1651. Le but de ce séjour est d’acquérir des œuvres pour les collections royales et décorer le palais de l’Alcazar, ce dépaysement renouvelle les sources d’inspiration et de création de Velàzquez.
C’est lors de son étape à Rome qu’il réalise le Portrait du pape Innocent X -1650 et La toilette de Vénus -1647-51.
À son retour, Philippe IV le nomme grand maréchal du palais.
C’est une tâche très lourde qui lui laisse peu de temps pour peindre. C’est à ce moment qu’il peint Les Ménines –1656.
En 1658, Velàzquez est anobli en tant que membre l’ordre de Santiago. Ordre qu’il a intégré avec l’appui du roi et du pape. Le roi lui permet de prendre l’habit de chevalier, comme en témoigne la croix rouge sur son vêtement dans Les Ménines.
Le tableau
Le roi Philippe IV d’Espagne charge Velàzquez d’une série de toiles sur le thème de la chasse, destinés à décorer son nouveau pavillon de chasse, la Tour de la Parada, construite sur le mont du Prado, près de Madrid.
Velàzquez peint pour la Tour de la Parada deux autres toiles sur le thème de la chasse : Le Cardinal-Infant Ferdinand d’Autriche chasseur et le Prince Baltasar Carlos chasseur.
Il existe deux versions de ce tableau. Le roi est couvert d’une casquette, dans l’autre version, conservée d’abord au musée de Castres, puis au Musée du Louvre, le roi tient sa casquette à la main.
Velàzquez a travaillé conjointement sur les deux tableaux, modifiant l’un, puis l’autre, comme en témoignent les repentirs.
Dans la première version le roi tenait sa casquette à la main. Puis il a adopté le port de la casquette pour la commande royale de la Tour de la Parada.
La version conservée au musée Goya de Castres a été acquise par le Louvre en 1862. Elle a été longtemps considérée comme d’atelier. Elle a été réévaluée en version autographe par Jean-Louis Auge et Guillaume Kientz, à la suite des recherches menées conjointement à Paris et à Madrid.
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Composition
Ce portrait est exécuté avec un raffinement extrême.
Velàzquez ouvre un espace, le chêne, le chien et le personnage s’inscrivent sur la surface de la toile, les limites du tableau découpent la scène.
Velàzquez structure cet espace. C’est une construction géométrique.
Le personnage est l’axe du tableau.
Le roi pose, immobile.
Il est positionné sur le devant de la scène, il fait face au regardeur et nous regarde fixement.
Le roi d’Espagne est présenté en pied, en tenue de chasse. Il est vêtu d’un tabard marron duquel se détache un col de flanelle. IL porte des culottes et des chausses sombres. Il tient un fusil dans sa main droite. Il porte une moustache. Il est couvert d’une casquette qui accentue l’ingratitude de son visage (due à la consanguinité de sa famille). Ses mains sont gantées.
Un chien est assis à ses pieds, à gauche de la composition. C’est un gros chien, son pelage s’harmonise avec les couleurs de l’automne, il nous regarde, impassible.
En arrière-plan, à gauche de la composition, un chêne sert d’écrin au personnage, son feuillage sombre occupe presque toute la partie supérieure du tableau.
À droite de la composition, une ouverture nous conduit vers la lumière. C’est un paysage vallonné, traité dans des tonalités plus claires, il donne de la profondeur au tableau.
Ce paysage naturel, traité dans les gris-bleu et les ocres, exprime la poésie du plein-air. Les éclats de lumière peints avec des touches libres dotent d’un environnement poétique le portait du monarque.
Dans le fond, très loin, on devine la montagne bleutée de Madrid.
C’est le ciel gris et nuageux d’un après-midi d’automne.
Il y a deux sources de lumières.
La première est rasante elle éclaire le pelage du chien, souligne la ligne du fusil, et accroche le visage du roi. La lumière fait ressortir la carnation et les traits de son visage.
La seconde descend du ciel et inonde le paysage d’automne. Elle éclaire la végétation.
C’est le jeu de lumières et d’ombres qui construit la profondeur du tableau.
Son coup de pinceau est vif et enlevé.
Sa palette de couleurs est nuancée et limitée.
Sombre au premier plan elle devient une harmonie de bleu et d’ocre à l’arrière-plan.
Comme le souligne Guillaume Kientz :
« Velàzquez cherche à apaiser les couleurs »
Analyse
La période baroque voit l’avènement d’une révolution du portrait. Les conventions rigides de la fin du XVIe laissent place à des représentations plus intimes, où l’on cherche à pénétrer la personnalité et les sentiments du modèle.
À une époque où la cérémonie et la mise en scène théâtrale jouent un rôle essentiel dans la représentation, une division très forte sépare les portraits officiels, destinés à des contextes publics, des portraits intimes des artistes, de leur famille et de leurs amis.
Le cas de Velàzquez, capable de réconcilier ces deux approches, demeure une exception.
Son extraordinaire série de portraits des souverains et des serviteurs de la cour d’Espagne traduit le rôle public des modèles tout en offrant un passionnant éclairage psychologique des individualités privées.
Aux Pays-Bas, avec l’extension des classes moyennes et l’essor rapide du marché de l’art, le portrait prend une grande importance.
Avec Rubens, van Dyck et Rembrandt, le portrait devient capable de rivaliser avec la peinture d’histoire.
Rubens popularise le portrait cérémonial en pied. Van Dyck, le plus doué des élèves de Rubens, produit des portraits de grandes dimensions représentant des commanditaires bourgeois en pied dans des décors opulents et spacieux, autrefois réservés à l‘aristocratie. Il exporte la formule de Rubens à Gênes, où il peint l’élite sociale dans des décors architecturaux élaborés, et les éblouit par son rendu virtuose des matières.
Il apporte une note de fantaisie et d’intemporalité à ses portraits en y incorporant des déguisements qui permettent d’estomper la frontière entre la réalité et la fiction.
Le portrait de Philippe IV fut réalisé simultanément à celui de
Charles 1er–1635 de van Dyck.
Les deux monarques, représentés dans le même contexte et dans des poses similaires, n’en présentent pas moins des différences frappantes.
Comparé au roi anglais fringuant désinvolte et richement vêtu, Philippe IV apparait sombre, presque monochrome. Il tient son fusil d’un air impassible, flanqué d’un chien tout aussi inexpressif.
Contrairement à Van Dyck, qui idéalise ses modèles en tenant compte de leur aspirations. Les portraits de Velàzquez constituent de fascinants témoignages sociaux.
Diego Velàzquez n’est pas enclin à flatter son modèle. Il restitue scrupuleusement le visage allongé du roi, avec la mâchoire prononcée des Habsbourg et dévoile chez lui un certain manque d’assurance et de la maladresse.
Velàzquez détient le monopole des portraits de Philippe IV. En cela il a le privilège d’être en présence du roi pour de longues séances de poses.
Velàzquez est un peintre moderne.
C’est un peintre réaliste.
Velàzquez a une profonde intelligence de la peinture, doublée d’une extrême sensibilité à la réalité.
Naturalisme, liberté de facture, franchise, sont des mots qui décrivent ce que Velàzquez a réussi à réaliser.
Il peint pour une cour organisée autour de la hiérarchie, du cérémonial et de l’ostentation, mais ses tableaux laissent entrevoir les êtres humains derrière la façade. Les poses rigides et les costumes élaborés nous éloignent de ses personnages, sans créer pour autant une barrière interdisant l’accès à leur humanité.
Cela ne fait aucun sens d’un point de vue historique, mais l’essentiel réside dans ce qu’il en ressort, et c’est de là que vient l’attrait principal de l’art de Velàzquez.
Bon nombre de ses tableaux montrent une ouverture ambigüe. Que se passe-t-il dans Les Ménines. On peut suggérer, on peut imaginer le scénario le plus probable, mais on n’en sera jamais certain et, c’est peut-être ce qu’a voulu Velàzquez.
L’attrait extraordinaire qu’exerce Velàzquez est due à la très haute qualité technique de sa peinture et aussi au caractère ouvert de ses compositions les plus complexes.
La force d’attraction de Velàzquez réside dans sa virtuosité : sa technique lui confère un pouvoir de fascination sans pareil parmi les vieux maîtres, dont il se démarque dans sa réflexion personnelle sur la façon de percevoir les choses et d’expérimenter la réalité.
L’art de Velàzquez annule la distance du temps.
Le public moderne loue l’art prodigieux qui est le sien et qui transforme en peinture ce qui est observé, en nous faisant réfléchir sur notre manière de voir le monde.
Derrière la transposition du réel de Velàzquez se cache un artifice raffiné.
Velàzquez a une conscience créative. Il exprime la dynamique du réel, la relation active avec une réalité vivante.
Dans Philippe IV en costume de chasseur Velàzquez peint l’homme et non le roi.
Velàzquez transcende l’humain pour laisser apparaître la majesté royale.
Velàzquez ne fait pas d’esquisse préparatoire au tableau. Il peint directement sur la toile et corrige son trait si nécessaire.
Dans Philippe IV en costume de chasseur on observe des repentirs : Velàzquez a raccourci le fusil et rapproché du corps la jambe gauche et le bras gauche. Il a repris aussi son paysage.
Les aspirations de Velàzquez en tant qu’artiste ne se limitent pas à la péninsule ibérique. Son objectif est de créer une œuvre en prise avec le meilleur, indépendamment de l’origine nationale.
La tradition avec laquelle Velàzquez cherche à dialoguer est avant tout celle de la grande peinture internationale, qu’il connait à Rome et par l’intermédiaire des collections royales et aristocratiques madrilènes.
Son œuvre sert à structurer une histoire de la peinture espagnole, faisant du peintre une référence fondamentale pour une part importante d’artistes et écrivains nationaux à partir du XVIIIe, et le point de départ de la construction d’une tradition nationale.
Beaucoup d’artistes espagnols, depuis Goya, ont dialogué avec l’œuvre de Velàzquez.
Velàzquez est souvent rapproché de Cervantès en tant que fondateur de l’art moderne et comme témoin de l’universalité de la culture espagnole.
Conclusion
Deux siècles après sa mort, Edouard Manet surnommera Velàzquez,
le « peintre des peintres ».
Figure majeur de l’histoire de l’art, Diego Velàzquez est sans conteste le plus célèbre des peintres de l’âge d’or espagnol.
Maître du baroque européen, il s’est démarqué de la tradition italienne de l’époque en refusant l’idéalisme, il a ainsi porté le réalisme espagnol à son plus haut degré.
Velàzquez est l’un des peintres anciens européens avec qui les artistes modernes ont cherché à dialoguer le plus souvent, tendance qui s’est accentuée au cours des dernières décennies. De même les philosophes et les littéraires ont eux aussi contribué à maintenir l’attention sur son art et sur sa personnalité.
La série de Picasso (Picasso a réalisé 44 variations des Ménines) a définitivement installé l’œuvre de Velàzquez dans l’histoire de la pensée contemporaine, en en faisant l’une des œuvres d’art sur lesquelles les historiens de l’art, les artistes et les penseurs ont le plus glosé ces dernières décennies.
L’intérêt que l’œuvre a suscité est à la mesure de l’ambition avec laquelle Velàzquez entreprit son exécution.
Pour le meilleur et pour le pire, Velàzquez est devenu une célébrité dans une culture populaire mondiale qui voue un culte à la notoriété.