Pélican brun – 1832 John James Audubon

Jean-Jacques Audubon (1785-1851)

 

Pélican brun

1832

Gravure colorée

Dim 90 x 59 cm

Les aquarelles sont conservées à la New-York Historical Society

 

Le peintre

Audubon est un ornithologue naturaliste et peintre américain d’origine française, naturalisé en 1812, il change son prénom.
Fils naturel d’un lieutenant français héros de la guerre d’indépendance américaine, Jean-Jacques Audubon naît à Saint-Domingue, dans la propriété familiale des Cayes. Il grandit en Bretagne.
L’enfant passe ses premières années dans l’estuaire de la Loire où son père est revenu s’installer aux premières heures de la Révolution. Là, dans les marais qui entourent le bourg de Couëron où la famille s’installe en 1801, il découvre son goût pour la nature et pour les oiseaux.
En 1803 son père lui obtient un faux passeport qui lui permet de se rendre aux États-Unis et échapper à la conscription en vigueur en cette période de guerre napoléoniennes.
Audubon devient contre-maître dans une ferme de Philadelphie et commence à étudier l’histoire naturelle en dirigeant la première opération de bagage du continent. Il noue un fil à la patte d’une moucherolle phébi ( une espèce d’oiseau appartenant à la famille des Tyrannidae).
Il commence également à dessiner et à peindre des oiseaux.
Il descend le Mississipi avec son fusil, sa boîte de couleurs et son assistant, dans l’intention de trouver et de peindre toutes les espèces d’oiseaux d’Amérique du Nord. Il pressent que ces oiseaux pourraient disparaître sous les coups de boutoir de la Ruée vers l’Ouest.
À partir de 1810 il mène une vie errante de chasseur, tout en observant la nature et en décrivant et illustrant la flore et la faune, avec une attention particulière pour les oiseaux.
En 1826, il débarque à Londres avec son portfolio. Les Britanniques raffolent des images d’une Amérique sauvage et pleine de forêts. Son succès est immédiat. L’argent gagné lui permet de publier Les Oiseaux d’Amérique entre 1830 et 1839. L’ouvrage se compose de quatre volumes contenant 435 planches grandeur nature peintes à la main.
Audubon est élu membre de la Royal Society.
Il complète ses Oiseaux d’Amérique avec les Biographies ornithologiques-5 volumes qui contiennent la description de la vie de chaque espèce représentée. Cet ouvrage est rédigé en collaboration avec l’ornithologue écossais William MacGillivray.
Audubon poursuit ses expéditions en Amérique du Nord.
En 1832, il est en Floride. En 1833, il est au Labrador. En 1837, il est au Texas. En 1842, il publie aux États-Unis une édition populaire des Oiseaux d’Amérique.
Il meurt en 1851 à Minnie’s Land, dans sa propriété des bords de l’Hudson.

Les biographes d’Audubon le peignent comme un fabulateur génial dont la vie s’entoure de multiples légendes.
Sur son origine, Audubon avait répandu le mythe selon lequel il était le Dauphin, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, sauvé miraculeusement par un officier de la marine française et amené par lui aux Antilles.
Sur son apprentissage, il aurait appris la peinture dans l’atelier même de David à Paris.
Sur sa vie, mais cette histoire paraît authentique, Audubon mit un jour 200 dessins représentant plus de 1000 oiseaux, dans une malle ; il récupéra sa malle avec ses dessins en miettes, grignotés par les rats. Cette perte irréparable joua un rôle déterminant dans la vie d’Audubon.

John James Audubon est considéré comme le premier ornithologue du Nouveau Monde.

 

I- La peinture d’histoire naturelle

Des planches botaniques des premiers herbiers médicinaux aux pinsons des Galapagos de Darwin et oiseaux d’Amérique d’Audubon, les peintres d’histoire naturelle produisirent les représentations de plantes et d’animaux les plus exactes d’un point de vue scientifique avant le développement de la photographie en gros-plan au XXe. Ces œuvres continuent d’étonner par leur beauté et leur exactitude.

La peinture d’histoire naturelle, c’est-à-dire la représentation artistique de plantes, d’animaux et de minéraux dans tous leurs détails et leur exactitude scientifiques, remonte à l’art rupestre paléolithique.

La littérature consacrée à ce sujet n’apparait cependant qu’avec les auteurs classiques tels Aristote, Pline et Dioscoride.
Un manuscrit datant du début VIe De materia medica de Dioscoride (IIe) recèle la plus ancienne collection de peintures botaniques encore existante.
Appelé Codex Vindobonensis, il est agrémenté de près de 400 illustrations pleine page.
Ces représentations anciennes de plantes médicinales surprennent par leur extrême naturalisme, étrangé à l’art byzantin contemporain.

Si à la Renaissance des artistes tels que Léonard de Vinci ou Dürer peignaient des plantes et des animaux d’un superbe naturalisme, c’est surtout à la fin du XVIIe, alors que les progrès de la science encourageaient une approche plus systématique de la peinture, que les artistes commencèrent à produire des représentations détaillées sur lesquelles se fondaient alors les recherches botaniques et zoologiques.

II- Le XVIIIe est considéré comme l’âge d’or de l’art botanique.

Des peintres floraux parmi lesquels Georg Dionysius Ehret et Pierre-Joseph Redouté recevaient des commandes de la part des scientifiques pour réaliser des illustrations exactes de plantes exotiques et bénéficiaient du mécénat de collectionneurs, dont la famille royale.
Georg Dionysius Ehret (1708-1770) est un illustrateur allemand réputé pour ses traités botaniques et sa tulipe Le perroquet rouge –1744
Pierre-Joseph Redouté (1759-1840) est un peintre et botaniste belge qui participa à la campagne d’Égypte de Bonaparte et publia des ouvrages représentant des plantes provenant de destinations aussi lointaines que le Japon ou l’Australie et son Iris germanica –1812.

Les grandes expéditions d’explorations menées en Amérique, en Asie orientale, en Australie et dans le Pacifique, du XVIIe au XXe, comptaient parmi leurs membres des artistes professionnels dont Sydney Parkinson (1745-1776), William Bartram (1739-1823) et Ferdinand Bauer (1760-1826, grand peintre d’histoire naturelle) Cephalotus follicularis –1805-15 et Pterois (poisson-lion) –1805-15 à qui l’on demandait de reproduire les espèces de plantes et d’animaux nouvellement découvertes, mais aussi leur comportement et leur habitat.
La plupart des expéditions relevaient d’initiatives nationales ou institutionnelles mais certaines, comme le voyage au Surinam de Maria Sibylla Merian, de 1699 à 1701, furent financées à titre privé.
Merian publia un ouvrage illustrant le cycle de vie complet de papillons européens en 50 gravures sur cuivre -une forme de peinture d’histoire naturelle révolutionnaire qui allait exercer une immense influence.

Les cinq années que Charles Darwin passa à bord du Beagle n’auraient sans doute pas eu une telle incidence sans le travail de l’artiste et éditeur John Gould. En 1837, Darwin présentera à Gould, ornithologue de la récente Société zoologique de Londres, sa collection de mammifères et d’oiseaux réunie pendant l’expédition.
En observant ces oiseaux insignifiants provenant de diverses îles des Galapagos. Gould remarqua qu’il ne s’agissait pas d’oiseaux de types différents mais de pinsons dotés de becs différents. Gould rédigea la partie ornithologique de la Zoologie du voyage du H.M.S. Beaglede Darwin accompagnée d’illustrations réalisées par lui-même, son épouse Elizabeth et d’autres peintres d’histoire naturelle, dont le poète et peintre Edward Lear.


III- Le XIXe est le siècle d’Audubon et de Darwin ; c’est le siècle de la science.

L’ambition est de décrire tout vivant, des bactéries aux dinosaures en passant par les oiseaux d’Amérique du Nord d’Audubon et les pinsons de Darwin.
John James Audubon parcourt l’Amérique du Nord pendant trente-cinq ans, du Labrador à la Louisiane. Il accumule notes, dessins et aquarelles.
Ses quatre volumes sur Les oiseaux d’Amérique paraissent entre 1827 et 1838.
Pour peindre ses oiseaux, Audubon doit d’abord les tuer, ne se souciant pas de la rareté ou non de l’espèce.
George Catlin (1796-1872) voyage dans l’ouest des États-Unis et prend conscience des menaces sur la nature. Il est le premier à imaginer la création de grands parcs nationaux.

Dans l’imaginaire américain, Audubon est le prince de l’ornithologie pour avoir conçu et réalisé le vaste projet de dessiner tous les oiseaux qui peuplent les États-Unis.

L’artiste les a représentés en vraie grandeur et dans leur habitat naturel de sorte que son entreprise demandait des pages géantes en folio éléphant double. Le volume complet de ces oiseaux comprend 435 dessins dont la surface mesure près d’un mètre carré.
Les planches gravées et peintes sont accompagnées de cinq volumes de notices explicatives, sous le titre de Biographies ornithologiques, rassemblant les observations qu’Audubon avait faites lui-même des mœurs et de l’habitat de ces oiseaux.

Audubon est un chasseur et un ravisseur qui devient ensuite le dessinateur de l’oiseau capturé. Les illustrations ornithologiques d’Audubon sont remarquables par la vie qui s’en dégage.
Pour chaque nouvel oiseaux, Audubon passait, progressivement du naturaliste au chasseur et au peintre, tandis que l’oiseau capturé évoluait, de son côté, du dessin au tableau et enfin à la gravure, qu’on allait ensuite colorer.

L’oiseau d’Audubon vivait le même destin que celui du poème de Saint-John Perse : « L’oiseau, hors de sa migration, précipité sur la planche du peintre, a commencé de vivre le cycle de ses mutations. Il habite la métamorphose. Suite sérielle et dialectique. C’est une succession d’épreuves et d’états, en voie toujours de progression vers une confession plénière… »

Dans ses dessins, Audubon représente les oiseaux en plein vol, en pleine lutte ou occupé à nourrir leurs petits. Chez lui l’action est presque toujours palpable.
Comme le peintre du poète Saint John Perse, Audubon « cherche à capter les volatiles dans leur tissu natal ».

Dans une Amérique proche de son origine, Audubon avait souvent le privilège de nommer des oiseaux encore inconnus.

IV- Que faut-il admirer davantage, le talent du peintre ou l’exactitude des observations du naturaliste.

Audubon expérimente. Peu après son arrivée en Pennsylvanie, il bague des moucherolles phébi il contrôle ainsi leur retour, à la migration de printemps, dans le nid de la saison précédente.
C’est le premier baguage du Nouveau Monde.
Il obturait artificiellement l’arbre creux fréquenté par des martinets ramoneurs pour étudier leurs capacités visuelles et leur comportement dans des situations inattendues.
Rompu à toutes les techniques de la chasse, à l’utilisation des leurres, habitué à l’élevage en captivité d’espèces sauvages, Audubon a multiplié les essais, les expériences. Son esprit expérimental s’accordait parfaitement à son désir d’étudier les comportements.

Dans ce domaine, son acquis est considérable. Audubon s’indignait de l’attribution de stupidité que l’on porte à des oiseaux comme les dindons, ou les oies. Surpris par la pertinence de leurs réactions à des situations difficiles, il s’interrogeait : « Était-ce le résultat de l’instinct, ou de la raison … ou l’acte d’un esprit intelligent ? »
Audubon s’appliquait à déceler des attitudes ou sentiments comme l’attention, l’affection, l’amour dans le couple et envers les petits, le désarroi devant la destruction d’œufs ou la mort d’oisillons.

Attribuer des sentiments à des oiseaux était mal compris à l’époque du peintre et on lui a longtemps reproché de faire de l’anthropomorphisme dans sa façon de les comprendre et de les décrire.

 Audubon est un peintre ayant le goût du pratique et du concret, il aime manipuler la matière et les objets.

L’ambition d’Audubon était de représenter les oiseaux en grandeur nature, dans leur environnement naturel et dans des attitudes pleines de vie.

 

V-  La gravure : Pélican brun – 1832

Pour peindre les oiseaux, Audubon doit d’abord les abattre avec du petit plomb pour ne pas les déchiqueter.

Audubon inventa la « planche de position » sur laquelle il fixait, par des aiguilles et des fils métalliques, les oiseaux morts lui servant de modèles.
Il maintenait ainsi les oiseaux dans une position naturelle.

Audubon peignit ce pélican dans les îles Keys en Floride, en avril ou en mai 1832.

Comme tous ses oiseaux, ce pélican témoigne à la fois d’un souci scientifique du détail et de la volonté de célébrer les beautés de la nature.

Lorsque le poète Saint John Perse dépeint le « gauchissement de l’aile de l’oiseau et la tension dardée de tout son corps, ou cet allongement sinueux des anses du col », sa description imite la posture des oiseaux d’Audubon.

Le Pélican brun colle parfaitement à cette description.

L’oiseau est dans une posture dont la forme menace à chaque instant de déborder hors des marges.

Ce portrait est le produit d’une « technique mixte ».
Audubon utilise le pastel, la gouache, l’huile et le vernis.

Ensuite la représentation du pélican mute en gravure.

Technique de la gravure
Après quelques essais à l’eau-forte réalisés pour les premières planches par William-Home Lizars, les graveurs londoniens Robert Havell père et fils choisissent, pour reproduire les oiseaux, la technique de l’aquatinte, seule capable de rendre la finesse des dessins au lavis et à l’aquarelle.
Chaque planche, de très grand format pour respecter la taille de l’original, est ensuite coloriée à la main, de manière à restituer avec une grande fidélité les coloris d’origine du spécimen.

Ce pélican est un mâle adulte.


Conclusion

Vite oublié après sa mort, Audubon devient, dès les dernières années du XIXe, le symbole des défenseurs de la nature aux États-Unis.

En 1905 la National Audubon Society est créée. L’organisation a pour mission la protection de la faune et de la flore américaine.

Aujourd’hui, de nombreux parcs, rues, établissements aux États-Unis portent le nom d’Audubon.

La magie du livre d’Audubon est d’avoir reproduit ces oiseaux du territoire nord-américain sur des planches grandeur nature, ouvrant un autre regard sur les espèces.

Preuve de sa dimension intemporelle, l’un des 200 exemplaires connus s’est vendu aux enchères pour 7,9 millions $ en 2012.

Le XXe siècle profite de nouveaux moyens techniques pour explorer les fonds océaniques.

Aujourd’hui, à Paris, deux millions de personnes passent chaque année au Jardin des Plantes. Le muséum tient un rôle national et international majeur dans le développement de la recherche en histoire naturelle et dans la diffusion de la culture scientifique.