Nature morte aux œufs et au gibier – vers 50-79 Fresque murale romaine

 

Fresque murale romaine

 

Nature morte aux œufs et au gibier

Vers 50-79

Hauteur 74 cm

Conservée au Musée National de Naples

 


La fresque

Cette scène du quatrième style provient d’une frise de natures mortes peinte dans la grande maison de Julia Félix à Pompéi.

Cette belle habitation a été fouillée en 1756, puis remblayée.

Elle est située dans le quartier Est de Pompéi, à côté de la porte de Sarno et de l’amphithéâtre.
C’était une grande maison richement décorée.
L’atrium était pavé de jaspe rouge, d’agates orientales et d’albâtre fleuri.
Le jardin était planté de lauriers et de platanes.
La vue s’étendait jusqu’à la cime du Vésuve.

Le tremblement de terre de l’an 62 causa d’importants dégâts. Julia Félix rénova sa villa en transformant une partie de la construction en appartements à louer, en boutiques et tavernes et en bains publics.

Les statues de marbre et de terre cuite, les bijoux d’or et d’argent, les fresques, sont aujourd’hui conservés, pour la plupart, au musée National de Naples.

 

Composition

Un élément vertical, un élément horizontal formant un plan,  composent cette fresque murale :
Sont représentés, un mur devant lequel se trouve un présentoir.

Les lignes d’architecture qui traversent la nature morte dans le plan horizontal, dessinent un parallélépipède en pierre surchargé d’objets.

 Trois grives mortes et un napperon sont pendus au mur.
Posés sur l’étagère en pierre, plusieurs vases et verres apparaissent, ainsi qu’un grand plat contenant des œufs.

Cette composition étale un luxe mercantile.

La jarre appuyée contre le petit côté de l’étagère en pierre, guide notre regard.
Cette disposition apporte de la profondeur et du dynamisme à la composition.

La présence du napperon suspendu s’inspire de l’habitude des Grecs de couvrir les murs de tapisseries décoratives.
Ce napperon donne à la composition un caractère ornemental.

En utilisant une gamme chromatique sobre, des blancs, des gris et des bruns, saupoudrés d’ocre, le peintre travaille le rendu des matières, et cherche à saisir la texture des objets.

Les couleurs sont nettes et disposées de façon à créer une opposition chromatique pleine de vie.

 

Analyse

I- Les fresques murales romaines rôle, styles et Nature morte aux œufs et au gibier

II- L’influence de la peinture romaine sur l’art

 

I-
A / Les fresques doivent impressionner le visiteur
Celui qui entrait dans une riche maison romaine se délectait à la vue de la décoration splendide et colorée recouvrant les sols, les murs et les plafonds, destinée à émerveiller et à distraire les invités et à provoquer les conversations.

En contemplant ces scènes mythiques, le spectateur rêve aux plaisirs de la vie à la campagne et les natures mortes lui rappellent les délices de la vie.

Autant qu’un lieu de vie, la maison romaine est un théâtre, destiné à être vu et à impressionner. Les œuvres d’art les plus riches et les plus détaillées sont réservées aux espaces publics de la maison où elles peuvent être admirées par les visiteurs : l’entrée, l’atrium principal et les chambres de réception.

Les plus importantes fresques romaines qui nous soient parvenues se trouvent dans des sites autour de la baie de Naples en particulier à Pompéi et Herculanum.

Ces deux villes prospères ont été enfouies sous plusieurs mètres de lave à la suite de l’éruption du Vésuve en l’an 79.

 B / Les fresques romaines sont regroupées par style, on en dénombre quatre

La fresque est une technique de peinture murale dont la réalisation s’opère sur un enduit frais constitué de chaux et de sable. La dernière couche d’enduit étant constituée de chaux et de poudre de marbre pour faciliter le polissage.
Les pigments sont mélangés à une solution de chaux et de savon additionnée de cire puis appliqués sur l’enduit. La peinture est ensuite polie et lustrée avec un linge.
Une fresque romaine est une succession de couches d’enduit sur laquelle on a posé des pigments.

C’est l’archéologue allemand Mau qui met au point une typologie définissant les quatre styles successifs des fresques romaines.

Entre le IIe et le Ier av.J.C., Le premier style correspond aux premières décorations qui sont simples et inspirées de la peinture macédonienne.
Ce sont des trompes-l ’œil. Les murs sont peints de panneaux colorés imitant des plaques de marbre. Ce matériau de revêtement était onéreux et le marbre était utilisé uniquement dans les plus riches maisons.
Les peintres recherchent les effets de matière.
Ce style continuera à être utilisé en même temps que les autres styles.

De la sobriété pleine de grandeur du 1er style on passe aux effets illusionnistes du second.

Entre 80 et 20 av.J.C. le deuxième style est à la mode, les peintres imitent l’ouverture du mur sur des paysages fictifs. Les murs se couvrent de faux détails architecturaux, de personnages et d’animaux. De tels ensembles donnaient une impression de luxe. Les trompes l’œil transforment les maisons en de grandes villae avec leur domaine ou en palais hellénistiques.
C’est le cas du Cubiculum de Boscoreale (maison de Publius Fannius Synistor 40-30 av.J.C.) et de la Villa des Mystères.
Les couleurs dominantes sont le rouge et le noir. Le rouge est obtenu à partir du sulfure de mercure, sa tonalité particulière est appelée encore aujourd’hui, rouge pompéien.

Puis on passe aux délicatesses du troisième

Entre 20 av.J.C. et l’an 20, le troisième style connait son apogée.
La villa Farnesina de Rome en est un exemple conservé en très bon état.
Connu également sous le nom de « style ornemental », ce style se caractérise par un passage à des encadrements très fins et décoratifs, souvent combinés avec des motifs végétaux. L’architecture s’amincit jusqu’à devenir irréelle. Certaines bandes décoratives ont des motifs d’inspiration égyptienne. Entre les colonnes peintes, des natures mortes ou des scènes mythologiques, comme celle de Persée et Andromède, étaient peintes, isolées comme des tableaux encadrés pendus au mur. Les décors ont des couleurs vives et sont réalisés sur des fonds noirs ou blancs.

Avant d’arriver aux fantaisies du quatrième.

Dans les années 40 à 50 probablement, le quatrième style se développe. On le retrouve dans les maisons pompéiennes rénovées après le tremblement de terre qui endommagea la ville en 62. Ce style est dit fantastique.
La minceur et les trois sections horizontales du troisième style sont conservées, mais l’architecture est dorénavant utilisée pour créer une illusion de profondeur, traversant le plan de la peinture. La maison de Pinarius Cerialis à Pompéi avec la scène représentant Oreste et Pyliade en Tauride –62-79 en est un exemple.
Progressivement la peinture murale devient de plus en plus exubérante et fantastique. Les peintres tendent à remplir l’architecture de figures, d’illusions d’optique, ajoutant ainsi des dimensions supplémentaires. Les décorations sont surchargées. Les couleurs sont plus nettes et les peintures représentent des scènes de la vie quotidienne, des natures mortes très fidèles ou des portraits.
Ce nouveau style prend toute son ampleur sous l’Empire, au moment des règnes de Claude et de Néron jusqu’au cataclysme qui a enseveli la ville.
La maison du Faune, la maison du Castor, la maison Ménandre et la maison de Julia Félix à Pompéi sont décorées dans le quatrième style.

D’abord monumental (1er style) le décor peint se fait architectural (2nd style) puis ornemental (3ème style) pour devenir baroque avec le 4ème style.

 C / La fresque Nature morte aux œufs et au gibier
répond aux caractéristiques du quatrième style

 Ce tableau composé d’un plan unique est du quatrième style :

Premier indice, l’architecture : l’étagère en pierre en forme de parallélépipède donne l’illusion de la profondeur. La petite jarre en équilibre posée en appuie sur le petit côté du parallélépipède renforce cette illusion.

Ensuite, l’étagère est remplie de victuailles et d’objets, placés les uns à côté des autres ; il y en a aussi au-dessus de l’étagère, les grives sont accrochées au mur.
Cette accumulation d’objets de luxe est adéquation avec les décorations surchargées du quatrième style.

Et puis, c’est une nature morte « vivante » : elle représente fidèlement un étal de victuailles, c’est une peinture de la vie quotidienne très fidèle.
Le peintre est attentif à reproduire les textures des objets.
En cela cette peinture répond aux critères du quatrième style.

C’est une fresque pleine de fantaisie.
Le peintre dans sa recherche de l’illusion, représente cet étal de victuailles, pour persuader, plaire et d’émouvoir.
Il figure les objets en s’attachant non pas au vrai, mais au vraisemblable.

La fresque est d’autant plus réelle que la réalité est artistique.

 

II- L’influence de la peinture romaine sur l’art.

Dans les premiers temps des fouilles, seuls les panneaux centraux des murs peints, figurant des sujets mythologiques ou épiques, ainsi que les petites compositions représentant un paysage ou une nature morte, étaient découpés pour être conservés dans le palais de Portici.

Chaque mur des maisons ensevelies sous la lave était recouvert d’un décor peint.
En découpant les motifs centraux, les fresques perdaient tout leur sens. Les fouilleurs les abandonnèrent ou les remblayèrent.

Ce procédé participa à la méconnaissance où l’on resta longtemps des véritables aspects de la peinture romaine. Au moment de leur mises à jour les fresques de Pompéi et d’Herculanum, on peut d’influence sur l’art du temps.

A / Le XVIIIe ne retint de la découverte des peintures de Pompéi et Herculanum que ce qui correspondait à l’image préétablie qu’il se faisait de l’Antiquité.

Il faut attendre 1740, pour que la découverte de Pompéi et d’Herculanum, provoque l’abandon de la fantaisie du rococo au profit d’une rigueur maîtrisée et d’une plus grande sobriété de lignes, dans l’architecture comme dans le mobilier et la décoration d’intérieur.

Cependant on décèle chez Giotto, Filippino Lippi, Giulio Romano, Raphaël (au Vatican),  a copié les fresques de la maison Dorée de Néron. Les peintres avaient accès aux fresques antiques mises à jour dans l’ancienne Rome, capitale de l’Empire.

En découvrant les fresques des cités vésuviennes, le XVIIIe s’étonna de leur ressemblance avec les peintures de Raphaël. On avait oublié les références romaines.

Ce que le XVIIIe a retenu des fresques romaines ce sont les centaures, les danseuses, les putti et les natures mortes. Ces motifs plaisaient et furent copiés.
Quant aux trompe-l’œil, architectures et arabesques, ils sont jugés trop
« chinois » et de mauvais goût.

B / C’est à Goethe que l’on doit un nouveau regard sur l’esthétique des fresques romaines.

 Les hommes de science emboîtent le pas au poète et l’exploration des cités ensevelies par le Vésuve prend une extension et un rythme inconnu jusque-là.
On passe de quelques dizaines à plusieurs centaines d’ouvriers travaillant sur le chantier des fouilles.

Chateaubriand l’écrit dans ses Mémoires d’Outre-Tombe :
« pendant le cours de l’année 1814, le Roi et la Reine de Naples donnèrent une fête à Pompéi ; on exécuta une fouille au son de la musique : les ruines que faisaient déterrer Caroline et Joachim ne les instruisaient pas de leur propre ruine ; sur les derniers bords de la prospérité, on n’entend que les derniers concerts du songe qui passe ».

Dans les années 1860 Fiorelli à Pompéi et Ruggiero à Herculanum inventorient, dénomment et délimitent, établissant le bilan des recherches du passé et le programme de celles de l’avenir.

C / Aujourd’hui, la compréhension esthétique des fresques romaines est étayée par les connaissances scientifiques :

Les romains n’avaient pas de limite entre le domaine des dieux et celui des hommes. Le mythe côtoyait la réalité.

Ainsi toutes les maisons romaines sont à la fois, fortifiées par la présence des hommes et stimulées par celle des divinités.

Les figures embellissent les attitudes ordinaires parce qu’elles sont représentées dans un monde divin, et sont symboles d’éternité et de sacré.

La peinture vésuvienne, à l’inverse de la grande peinture grecque, a été dévalorisée parce que les peintres étaient inconnus. Dépourvues d’auteurs, les fresques furent considérées comme un sous-produit de l’art grec.

Si le peintre romain reprend le modèle grec, c’est pour le citer et non pour le copier.  Il le met en scène, en perspective, c’est-à-dire à distance.

Aux XVIIIe et XIXe les historiens décrétaient que l’art devait être avant tout l’expression de l’individualité de l’artiste. Leur logique refusa à la peinture pompéienne le statut d’art et à ses anonymes auteurs le statut d’artistes.

D / Plus on avance dans le temps, plus la peinture moderne s’ouvre à de nouvelles expériences, plus l’influence des fresques romaines est perceptible dans l’art.

Les exaltations mythologiques du XVIIIe, les chinoiseries du rococo, les grandes images plates et sans clair-obscur de David, d’Ingres, de Renoir sont les pendants des fresques romaines.
Ces fresques mettent en lumière notre modernité.
Les tableaux de De Chirico, les petits carrés de Paul Klee vus dans le prisme des panneaux du 3ème style prennent tous leurs sens.

Alexandre Grandazzi -conclusion de l’article Regard sur la peinture romaine –Persée :
« alors, en contemplant ces fresques peintes il y a deux mille ans, nous voyons tomber les barrières séparant d’ordinaire le présent du passé : entre le quotidien et l’éternel, la vie et la mort, …la représentation et le symbole, …, la matière et l’illusion, … le mouvement et l’immobilité…, l’humain et le divin…, le quotidien et le mythe…, l’unité se rétablit, l’espace d’un regard. Longtemps, l’art n’a pu être moderne que parce que ce dialogue était rompu, que cette unité était éclatée.
Aujourd’hui, à l’être des désillusions de l’art postmoderne, voici que nous découvrons que cette histoire n’est peut-être pas terminée. »

 

Conclusion

 La peinture romaine est un art pictural de la civilisation romaine de l’antiquité.

Parmi les mouvements picturaux de l’Antiquité, il s’agit de celui qui a le mieux résisté à l’usure du temps, essentiellement grâce aux cités ensevelies sous la lave du Vésuve.

La conservation des fresques est due à la couche de lapilli (fragments de lave éjectés du volcan) qui les a recouvertes après l’éruption du volcan.

C’est leur destruction qui fera entrer Pompéi et Herculanum dans l’histoire.

Comme les autres arts romains la peinture naît et se développe à Rome par l’imitation des modèles grecs.

Cette évolution se retrouve dans l’ensemble de la peinture romaine et ne s’est pas limitée à Pompéi et Herculanum.

La peinture est tributaire des changements de goût et de la vision artistique de la part des élites romaines.

Les romains n’ont inventé ni la perspective (découverte par les peintres grecs à la fin du Ve av.J.C.), ni le rendu de l’espace, mais ils les ont employés pour faire naître un monde imaginaire au-delà du mur.

Le peintre romain transpose et adapte.
Son art puise dans la tradition mais toujours en s’appropriant ce qu’il emprunte.

Son décor est toujours le résultat d’une intention particulière.