Nature morte aux fleurs de pommier – 1635 Balthazar van der Ast

 

Balthazar van der Ast (1593-94 – 1657)

 

Nature morte aux fleurs de pommier

1635

Huile sur panneau de bois

Dim 22 x 38,3 cm

Conservé à Berlin, dans la collection de Gemäldegalerie

 

 

Le peintre

Van der Ast naît à Middelbourg et meurt à Delft. Il est le fils d’un riche marchand. Il se marie avec la sœur du peintre Ambrosius Bosschaert.
D’abord apprenti chez son beau-frère – peintre des fleurs, van der Ast devient maître à Utrecht en 1619. Il s’installe à Delft en 1632. Il crée de nombreuses natures mortes dont la minutie et la poésie sont très appréciées.

Van der Ast est un digne représentant des peintres de nature morte du XVIIe hollandais où le rendu précieux des fleurs et des objets s’associe à une atmosphère morale qui rappelle le destin de l’homme.

 

Composition

Au premier plan
Une pierre tombale sur laquelle, de gauche à droite, sont posés, une branche de fleurs de myosotis,  un mille-pattes, un lézard et un coquillage.
Au second plan
Une branche de pommier s’étire de la gauche de la toile au centre de la composition. Elle est couverte de fleurs minutieusement représentées.
Un papillon les butine.
Dans le prolongement un second coquillage, plus discret ponctue l’espace.
Cette branche de fleurs génère une tension qui traverse la toile.
Au troisième plan
Un mur grisé est piqué par une abeille à droite du tableau en partie supérieure.

Cette composition est soigneusement agencée.

Van der Ast représente méticuleusement les fleurs, le papillon, le lézard, le mille- pattes et les coquillages.
Le peintre est un virtuose dans le rendu des matières :  la carapace du coquillage, le velouté des pétales et la fragilité du papillon, les corps mous du lézard et du mille-pattes, puis l’éclat de la pierre sublimée par la lumière.

Cette virtuosité est assumée.
Le peintre travaille avec soins les différentes matières.
Il emploie la peinture à l’huile qui lui permet un rendu raffiné des matières et des transparences.

Les fleurs de pommier sont illuminées par une forte lumière qui les détache du fond gris.

Les contrastes d’ombre et de lumière confèrent un naturalisme et une tension dramatique intenses à ces objets ordinaires.

 La lumière passe subtilement du sombre au clair.
La lumière est douce et diffuse

 La composition se déroule telle une frise narrative.

 

Analyse

 I – La toile de van der Ast s’inscrit dans l’époque de la consécration de la nature-morte néerlandaise.

 Le XVIIe fut l’âge d’or de la nature morte.
Cette terminologie désigne une catégorie de peinture qui consiste à représenter des objets inanimés.

La nature morte a évolué comme une genre en soi  au milieu du XVIe, dans des œuvres de Pieter Aertsen (1508-1575) et de Joachim Bueckelaer (1533-1574).
Dès les premières décennies du XVIIe elle faisait école en Flandres, aux Pays-Bas, en France, en Espagne et en Italie.

Le genre se révéla très populaire aux Pays-Bas où les peintres se spécialisèrent en représentations de poissons, de gibier, de fleurs ou de tables chargées de victuailles.

La demande de la part des collectionneurs est croissante, ce sont des bourgeois, des aristocrates ; les natures mortes sont également bien représentées dans les collections royales.

Si elle était appréciée en tant qu’œuvre d’art pour ses qualités de composition et d’exécution, et pour l’illusion de réalité qu’elle donnait, la nature morte pouvait aussi véhiculer un sens spirituel compréhensible pour le regardant de l’époque.

Les exemples néerlandais du genre sont nombreux à porter un message au sujet des périls de la vie centrée sur les plaisirs matériels.

Les nourritures exotiques présentées dans des plats somptueux étaient perçues comme des étalages immoraux de richesse ou de luxe. Le vin, le pain et les feuilles de vigne renvoyaient au Christ, les accessoires du fumeur à une vie immorale, les huîtres à luxure.

La vanité apparue au Pays-Bas vers 1600, elle se caractérise par la représentation de symboles explicites de la condition mortelle (crâne, chandelle, sablier), de nombreuses représentations de fleurs et de fruits étaient destinées à rappeler le caractère éphémère de la vie.

À cette époque les Pays-Bas jouissaient d’un choix de nourriture et de produits de luxe inégalé à travers le monde.et leurs natures mortes décrivaient la simple jouissance de ces biens matériels.

L’accumulation de richesse stimulait la demande de consécration de ces objets par la peinture.

Ainsi la nature morte, plus que tout autre genre, incarnait également les préoccupations quotidiennes d’une opulente culture marchande.

 

II – Ce tableau a une fonction de réflexion méditative

 A/ évocation de la finitude du temps
B/ message christique

A/ évocation de la finitude du temps

Ce tableau met en évidence la fragilité de l’existence terrestre, l’équilibre instable des fondements et des principes dont il convient de se détourner.
Si temps et lieu ont toujours été en art des préoccupations fondamentales, la question du temps prend au XVIIe toute son ampleur.

Le temps religieux ne côtoie plus distinctement le temps profane, il s’y fond.
Le temps du sablier, concurrencé par la montre, devient mécanique.

L’importance de la notion de temps n’a pas seulement une vocation spiritualiste, elle accompagne l’émergence de la conscience individuelle.

Van der Ast accorde la même importance aux considérations picturales et au simple naturalisme.
Ses objets sont saisissant de réalisme poétique. Cette toile représente l’ajustement minutieux d’un répertoire d’objets convenus (insectes, fleurs coupées et feuilles rongées).

Les objets sont présents par l’effet de la lumière coupée par la pénombre, du clair ordonnancement de la composition, de la jubilation des matières qui invite à la contemplation. La tactilité de la peinture va dans ce sens.

L’intention première du peintre est de montrer son habileté technique.
L’esprit et les sens s’émeuvent à la vue des merveilleuses fleurs de pommier fixées dans l’éphémère de la beauté.

Parce qu’elles sont coupées elles évoquent les limites de leur vie qui sont les limites imposées par le temps.

L’aspect décoratif de la toile recouvre des allégories du temps et de la mort et nous renvoie à notre propre finitude.

La sobriété de la composition, la rigueur du rendu des matières, le fond assombris concentrant la lumière sur les objets parviennent à construire un style réaliste qui actualise le présent.

Le temps présent ne fut pris en considération qu’avec l’humanisation de la peinture de la Renaissance.
Les peintres, les commanditaires, les mécènes et le public considéraient le temps en tant qu’équivalent symbolique du temps sacré, le temps de l’éternité.
C’est le naturalisme de Caravage marqué par l’observation de la nature qui parvint à donner plus de présence au sujet ou à l’objet peint.

Ce tableau, en tant que représentation fixe de l’espace, parle de la caducité du temps en pointant les vaines passions humaines.

Il réussit à rendre compte de la mobilité du temps en rapport avec le questionnement intellectuel et religieux.

La notion de temps présent glisse, dans l’espace de la toile, vers le temps éternel.
Le tableau passe d’un temps à un autre, d’un temps fini à un temps infini, du temps arrêté par l’instant au temps éternel de la résurrection.
Ainsi le présent n’est qu’un faux instant.

 

B/ message christique

Cette nature morte a une vocation morale.

Le message porté par la toile incarne les préoccupations religieuses du XVIIe.

Balthazar van der Ast associait souvent les fleurs aux coquillages pour produire des images qui peuvent s’interpréter de plusieurs façons.

Cette nature morte empreintes de spiritualité est une invitation à la méditation sur la destinée humaine.

Le tableau ambitionne de désigner sur son mode symbolique la relation au divin.

Les coquillages, à l’époque des objets de collection coûteux rappellent le goût pour les cabinets de curiosités. Ils sont associés à une vie luxueuse.
Les coquillages sont des enveloppes vides qui évoquent la dépouille mortelle.
Ils peuvent connoter la vanité et le caractère éphémère des plaisirs matériels -tout comme la fleur de pommier, qui ne s’épanouit que brièvement et qui, parce qu’elle est coupée se flétrira bientôt.
Elle renvoie à la précarité de l’existence comme l’évoquent les feuilles rongées par le mille-pattes.

Les fleurs sont une allusion au livre de Job : « semblable à la fleur, l’homme s’épanouit et se fane ; il s’efface comme une ombre ».

La fleur évoque la fragilité de l’existence.

Le tableau établit une opposition entre le monde terrestre et l’au-delà :
L’abeille incarne le labeur, elle est l’emblème du Christ Sauveur.
La fleur de pommier, l’Arbre de la connaissance, renvoie au péché originel.
La pomme symbolise la faute d’Adam et Ève et renvoie au sacrifice du Christ qui a donné sa vie pour les hommes.
La branche de myosotis aux fleurs cruciformes  évoque la Passion du Christ.

Le lézard, parfois considéré comme un symbole de résurrection en raison de sa mue, est également associé au mensonge, et donc au péché.

Ces deux éléments sont à confronter avec le papillon, symbole du paradis et de l’éternité. Le papillon renvoie à Psyché – l’âme, et donc, à la résurrection.

La mort rode dans cette composition.

La table sur laquelle reposent les objets est une pierre funéraire.
L’intention du peintre est de rappeler qu’au-delà de sa notoriété terrestre, l’artiste est appelé à la même destinée que tous les hommes.

La réforme protestante du XVIe a conduit les artistes à renoncer aux sujets religieux et à se tourner vers les sujets du quotidien.
Sous couvert de représenter les objets du quotidien, cette nature morte compile des objets-symboles qui sont autant de messages chrétiens.

Le regardant se trouve en face d’un tableau qui par sa composition constitue un écran visuel.
Le tableau abstrait le regardant de ses pensées particulières en lui rappelant son devenir universel.

La branche de fleurs de pommier est plus qu’un attribut symbolique.

Par sa présence physique,
Elle attire le regard et invite à méditer sur notre mort.

 

Conclusion

Les premières natures mortes datent de la période hellénistique (IIIe-IIe avant J.C.) puis des fresques et mosaïques d’Herculanum, Pompéi et Rome.

Les Vanités connaissent au XVIIe un renouveau en relation avec les conditions historiques du moment.

Bien que l’histoire de l’art situe la peinture des Vanités aux Pays-Bas, les expositions des dernières décennies ont révélé un grand nombre d’œuvres provenant d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie et de France.

C’est à partir de Roger van der Weyden que les Vanités sont devenues des peintures reflétant les mentalités et les interrogations du début du XVIIe.

Ces tableaux dénonçaient généralement les apparences trompeuses en faveur d’une vérité rivale de l’illusion.

Les collections publiques françaises conservent des œuvres de Balthazar van der Ast. Les musées du nord de la France (Lille, Arras, Calais, Douai) sont mieux dotés que les autres à l’exception du musée du Louvre.