Nativité de la Vierge -1342 Pietro Lorenzetti

Pietro Lorenzetti (1280-1348)

 

Nativité de la Vierge

1342
Tempéra sur bois

Dim 182 x 187 cm

Conservée au Museo Dell’Opera Metropolitan del Duomo -Sienne, Italie.

 

Le peintre

Pietro Lorenzetti a été actif entre 1305 et 1345. Il a été influencé par Giovanni Pisano et Giotto. Il a travaillé aux côtés de Simone Martini à Assise.
Pietro a travaillé à Sienne, Arezzo, Florence et Assise.

Son frère aîné, Ambrogio, est également peintre, tous deux ont contribué à introduire le naturalisme dans l’art siennois.

Les deux frères sont morts de la peste noire en 1348.

 

Le tableau

Ce tableau est l’une de ses dernières œuvres.

Le triptyque était l’élément central d’un polyptyque comprenant en latéraux les saints Savin et Bartholomée, aujourd’hui perdus, et une prédelle dont il ne subsiste que la scène centrale de saint Savin évêque avec ses diacres Marcello et Esperanzio devant le gouverneur Venustiano.

Ce triptyque était conjoint à l’Annonciation de Simone Martini et au Temple d’Ambrogio Lorenzetti (frère de Pietro).

 

Composition

Le peintre situe sa composition dans un cadre médiéval :
Fenêtres à losanges, ciel étoilé, rosaces trilobées, fenêtres à meneaux, ustensiles quotidiens, costumes colorés.

Les pilastres scandent la scène et la découpent en deux moments :
Le regardeur voit deux pièces découpées en trois compartiments.

À gauche, Joachim (père de Marie) avec deux compagnons, attend dans l’antichambre, il est assis et se penche pour écouter un jeune garçon lui annonçant la bonne nouvelle.

La chambre de la naissance est située dans deux panneaux, le panneau central et celui de droite, de sorte que non seulement le mur et le carrelage, mais aussi le lit de sainte Anne et même l’une de figures secondaires sont partiellement recouverts par la colonnade qui divise l’espace.

Au centre, dans le fond de la scène du panneau central, sainte Anne qui vient de mettre Marie au monde, se repose sur un lit couvert d’un tissu à carreaux traditionnel siennois. Elle est adossée et accoudée dans son lit d’accouchée. Sainte Anne regarde deux domestiques qui occupent le premier plan.
Les domestiques s’affairent à préparer le bain de Marie, celle de gauche tient Marie dans ses langes et teste la température de l’eau, celle de droite verse l’eau du bain dans la bassine. Entre sainte Anne et les domestiques se tient sur la droite une femme qui actione un éventail, elle est assise sur un coffre en bois placé le long du lit.
Dans ce coffre, les Toscans rangeaient leurs vêtements et objets précieux.

À droite, deux femmes entrent, foulant le sol de carreaux colorés, leurs bras sont chargés de cadeaux, elles apportent des linges blancs brodés de bleu et une aiguière de parfum pour la toilette.
Entrées par l’aile de droite dans la chambre, les invitées sont au pied du lit.

Chaque personnages est représenté selon son propre caractère et dans une pose différente.
Sainte Anne est plus grande que les autres personnages ce qui montre son importance tant dans la scène que spirituelle.
Le peintre exprime avec une grande humanité la complicité des regards.
La scène du bain est très réaliste.
Les couleurs sont riches, les lignes gracieuses, les figures souples.

Le plafond est une toile de fond opaque, noire, étoilée et immobile.
Les arcades du plafond ont été mises à l’échelle de manière à servir de cadre pour les figures.

L’intérieur est vu par l’intermédiaire d’une triple arcade.
Cette triple arcade est identifiée aux colonnettes, arcs et pinacles en bois sculpté du cadre du triptyque, ce qui laisse croire au regardeur que l’intérieur qui s’étend derrière cette structure architecturale appartient à une maison réelle et non à une maison peinte.

Ce que le regardeur voit à l’arrière-plan du panneau de gauche, la cour extérieure, dessinée à l’échelle, s’étend dans l’espace suivant la ligne de fuite, le bâtiment imaginaire qui la borne s’élève en respectant les possibilités structurales.

Les motifs géométriques du dallage et du dessus de lit de la scène centrale se retrouvent dans la scène de droite et  induisent la profondeur. Ils sont représentés avec une exactitude mathématique, toutes les orthogonales convergent vers un point de fuite unique et défini avec précision.

Une seule ligne de fuite pour répartir l’espace en trois dimensions.

Daniel Arasse commente : c’est la première perspective monofocale avec point de fuite et point de distance.

Le peintre peint deux scènes dans un même espace et l’émotion qui traverse la scène relie les personnages entre eux.

 

Analyse

À partir du XIIIe, l’Italie connut une période florissante sur le plan artistique qui s’explique par de nombreux facteurs : regain d’intérêt pour l’Antiquité, prospérité économique, concurrence accrue parmi les mécènes et les artistes, sans oublier une attention nouvelle portée au monde naturel et profane.

Loin de se cantonner à une époque, la curiosité pour le passé et le désir de le faire revivre s’effectuèrent par vagues.
Et le goût pour la nature demeura une source d’inspiration constante.

Au XIVe, le poète italien Pétrarque parla d’une rupture entre l’âge d’or de l’Antiquité et sa propre époque de déclin culturel.

Le style de la Renaissance n’est pas uniforme.
Chaque artiste a créé son propre langage, instaurant un dialogue entre ses prédécesseurs et ses contemporains.

Il existe de nombreuses variantes en fonction des générations d’artistes et des villes.

Cœur économique, politique et culturel de la Toscane, Sienne fut longtemps la rivale de Florence.

Fondée par les Étrusques, elle devint romaine sous le règne d’Auguste puis connut un essor en tant que république indépendante et laïque au XIIe avant de devenir une ville-État prospère et influente.

Au XIIIe et XIVe, Sienne au summum de sa richesse, connut un essor artistique spectaculaire. Avec la construction de monuments majeurs tels le Campo (place centrale arrondie), la cathédrale aux murs et aux colonnes rayés de marbre vert et blanc, et une université encore renommée de nos jours.

Au même moment la peinture siennoise connut son apogée créative et esthétique. Les peintres de la ville étaient tenus en haute estime.

Les frères Ambrogio et Pietro Lorenzetti créèrent leur propre style, fondé sur des cadres spatiaux complexes.

Pietro est ouvert à toutes les nouveautés, sensible à tous les apports, il sait transformer chaque donnée pour l’insérer dans son univers fortement original. Le peintre ne cesse de se tourner vers de nouvelles expériences.

Les œuvres des deux frères furent les premières en Europe à utiliser la perspective monofocale sans sacrifier la tridimensionnalité des personnages.

Les frères Lorenzetti offraient aussi des détails de genre très vivants qui confèrent aux tableaux davantage d’énergie.

Excellents créateurs de fresques, ils décorèrent des édifices religieux et civils, notamment l’église Saint-François à Assise et le Palazzo Publico de Sienne. Dans le groupe de fresques du transept gauche de l’église Inférieure d’Assise, Pietro atteint le sommet de son art, ces fresques sont l’une de ses œuvres majeures.
La grande Crucifixion est une des plus belles peintures de tout le XIVe italien.

Ce sont les frères Lorenzetti qui inaugurent la perspective linéaire autour de 1340. Elle sera reprise par Masaccio et ses contemporains vers 1425.

Pietro renouvelle l’iconographie médiévale.

 Dans Nativité de la Vierge : Pietro peint un triptyque remarquable par ses innovations picturales :

Si on repère l’influence de Giotto pour la composition, Pietro Lorenzetti se démarque en traitant une scène unique sur trois panneaux, en inscrivant une perspective guidée par un point de fuite unique et en supprimant le fond doré.

Le peintre cherche un effet diffèrent de celui produit par les traditions picturales médiévales.

Il met en place un rapport plus familier entre le monde terrestre et le monde divin, permettant aux regardeurs de s’associer aux univers où ils sont représentés.

Lorenzetti emploie la perspective pour déplacer le divin au profit de l’humain.

Il superpose l’univers fictif de la peinture au monde réel du regardeur de manière à confondre les deux. Les personnages sont habillés et vivent dans un décors du Trecento.

Pietro Lorenzetti  s’éloigne de l’art byzantin en remplaçant les fonds dorés par un cadre d’architecture et des décors d’intérieur.
De ce fait, il se démarque des habituelles scènes religieuses sur fond doré uni.

Pietro humanise cette histoire en la situant dans un foyer siennois de l’époque.

Pietro peint un triptyque qui a la particularité de représenter une pièce sur les trois panneaux.

Plusieurs éléments font la liaison entre le panneau central et celui de droite, le coffre placé le long du lit réapparait à droite du pilastre, la dame assise dont une partie du dos est caché par le pilastre a, l’arrière de sa cape qui se prolonge dans la partie de droite, le lit recouvert du tissu à carreaux à ses pieds dans la partie de droite.

Le panneau de gauche représente l’antichambre attenante à la chambre.

Dans le fond de l’antichambre, se profile une cour intérieure représentée selon les règles de la perspective unique.
Cette perspective témoigne du savoir-faire de l’organisation spatiale du peintre.

L’influence de Giotto, c’est le principe de la boîte.
Le regardeur  fait face au lit d’une grande chambre. Il est devant une maison de poupée, en ce sens, qu’il voit l’extérieur et l’intérieur en même temps.

L’action se répartie sur les trois panneaux : à gauche, Joachim est penché et à l’écoute, au centre les domestiques s’affairent au bain de Marie, à droite les invitées entrent en apportant des présents.

La délicatesse de l’exécution et du chromatisme s’allie dans ce triptyque à la solidité formelle.

Sa puissance plastique rappelle celle de Giovanni Pisano :
Vierge à l’Enfant entre les deux saints Jean –
1306, sculptures.

La Nativité de la Vierge peint après l’Annonciation -1320 (détrempe sur bois- Arezzo, Église paroissiale) exprime la recherche constante de Pietro pour forger son propre style.
Dans l’Annonciation -1320, Pietro peint les voûtes et le plafond plat.
Dans la Cène –1320-30, Pietro peint un plafond plat en place des voûtes. La hauteur d’un tel plafond ne dépasse pas la surface du tableau et ses poutres qui reculent en profondeur peuvent être représentées en totalité.

Dans l’intérieur domestique l’arrangement façon maison de poupée pouvait être abandonné, ce pas est franchi  à la fin du XIVe par les maîtres du nord de l’Italie comme Giovanni da Milano, Jacopo Avanzo et Giusto di Menabuoi.

La Cène préfigure le cadre des nombreuses représentations religieuses avec un environnement domestique comme l’Annonciation et aussi les bureaux des saints – Saint Jérôme ou Pétrarque.

Avec son ambition de créer un troisième dimension, Lorenzetti a ouvert une porte à tous les suiveurs.

La Nativité de la Vierge influence le triptyque d’un contemporain plus âgé, le Maître de Flémalle.

 

Conclusion

À cette époque, il n’y a que deux pays- dont les arts et les cultures présentaient des liens étroits avec l’art italien, la Bohême et la France.

En France on observe une assimilation continue et sélective du style du Trecento.
Les français cherchaient à rivaliser avec un style.
Avec un instinct sûr, ils comprirent qu’il leur fallait d’abord maîtriser le langage de l’art siennois qui était « plus linéaire, plus libre, plus lyrique » avant de pouvoir accéder au style des Florentins « plus massif, plus géométrique et plus intellectuel ». Ils commencèrent par Duccio plutôt que par Giotto.

C’est la convergence de courants divers qui rendit le style élaboré sur le sol français durant les dernières décennies du XIVe acceptable à travers toute une Europe où l’architecture, la sculpture et l’orfèvrerie étaient encore gothiques, où la peinture avait absorbé, à des degrés variables, les innovations du Trecento italien, où la musique était dominée par l’influence des Pays-Bas et où la mode et les manières des classes gouvernantes étaient essentiellement françaises.