Domenico Ghirlandaio (1448/1449 -1494)
Naissance de la Vierge
1485
Fresque
Dim 742 x 450 cm
Conservée in situ, chapelle Tornabuoni dans la basilique Santa Maria Novella à Florence.
Le peintre
Domenico di Tommaso Bigordi est dit Ghirlandaio. Le peintre doit son surnom à l’activité de son père orfèvre qui était réputé pour la création des guirlandes ornant les coiffures des dames de Florence. Après une période d’apprentissage dans l’atelier de son père, celui-ci devant le peu d’intérêt de son fils et son don pour le dessin, le place en apprentissage dans l’atelier d’un peintre- Alesso Badovinetti ou Andrea Verrocchio ou peut-être les deux. Plus tard, Ghirlandaio organise un atelier avec ses frères David et Benedetto et son beau-frère Sébastien Mainardi. Cet atelier accueillit Michel-Ange.
Apprécié par de grandes familles florentines -dont les Médicis, Ghirlandaio réalise de nombreux cycles peints.
Ghirlandaio était avant tout un fresquiste et techniquement l’un des artistes les plus habiles de son temps.
IL appartient à une génération de peintres dont l’activité artistique s’est déroulée à l’époque de Laurent de Médicis, la période de splendeur de Florence.
Ghirlandaio est à l’apogée de sa création en 1494, au moment de la paix entre Florence et le pape Sixte IV.
Cette année-là, il meurt prématurément, emporté par la peste.
La fresque
Domenico Ghirlandaio a situé cette scène, représentant les femmes de la famille Tornabuoni, dans un intérieur moderne.
C’est l’intérieur d’un palais qui correspond à l’idéal architectural de la Renaissance.
Vêtue d’une somptueuse robe en brocard, Ludovica, la fille du donateur, se tient au centre de la composition, en observatrice.
Vasari écrit à propos de cette fresque : « Cette chapelle est considérée comme très belle, grande et agréable par la vivacité des couleurs, par l’habileté et la perfection de leur traitement sur le mur, et par le peu de retouches à sec …Et certainement Domenico mérite les plus grands éloges à tous égards, et surtout pour l’expression des visages, peints d’après nature, dans lesquels on pourra reconnaître les vivantes images de nombreuses personnes de qualité ».
Cette fresque décore le mur gauche de la chapelle Tornabuoni, qui est la chapelle centrale de l’abside de la basilique Santa Maria Novella à Florence. Ghirlandaio a peint de grandes fresques sur les murs et la voûte, il représente des épisodes de la vie de la Vierge et de saint Jean-Baptiste.
Composition
C’est une composition très équilibrée cadrant une scène narrative.
Rien n’est laissé au hasard :
Nous sommes dans un intérieur de palais florentin.
La chambre est représentée en coupe.
La partie de droite couvre les trois-quarts de la fresque et représente la chambre d’Anne dans laquelle Marie vient de naître.
Un grand lit est placé à droite, le long du mur, sur une estrade. Il est identifiable à son dessus de lit de couleur bleue et un bout de drap.
Anne n’est pas représentée, on la suppose dans le lit.
Une servante oisive, peut-être la sage-femme, est assise à la tête du lit, le regard tourné vers les visiteuses.
La nourrice et une servante, légèrement excentrées sur la droite de la composition sont assises dans le bas de la fresque. La nourrice tient entre ses bras la nouvelle née qui a placé, dans un geste enfantin, un doigt dans sa bouche, l’autre servante tend ses mains vers l’enfant tout en tournant la tête vers les visiteuses.
Une autre domestique apporte de l’eau dans un broc pour le vider dans une bassine posée sur le dallage.
Ces détails sont très réalistes.
Les attitudes des corps trahissent l’émotion de l’évènement.
Les regards des servantes qui se détachent de Marie pour se poser sur les visiteuses soulignent l’importance de celles-ci.
Dans le quart restant de la partie gauche de la fresque, s’élance un escalier sur le palier duquel se tiennent deux personnages. Une femme habillée d’une robe verte parle à l’oreille d’un personnage vêtu de rouge. Il n’a pas de coiffe et a la stature massive d’un homme, peut-être s’agit-il de Joachim entrain d’apprendre la nouvelle de la naissance de sa fille.
Certains historiens voient dans la représentations de ces deux figures, une réminiscence de la rencontre d’Anne et Joachim à la porte Dorée.
Le groupe de visiteuses, à gauche de la composition, est constitué de personnages appartenant à de grandes familles florentines.
La jeune fille en tête du cortège des visiteuses est Ludovica Tornabuoni, fille du commanditaire Giovanni, elle porte une robe de brocard et ses suivantes sont toutes habillées à la mode du jour.
La partie décorative de la chambre, dans le registre du haut, est une frise de putti danseurs et musiciens. La peinture reproduit la terre cuite émaillée -très appréciée à cette époque.
L’effet de perspective est accentué par la présence de l’escalier qui prolongé par une voûte à gauche de la composition, donne une singulière profondeur à la pièce.
Le plafond en caissons soutenu par deux piliers peints d’ornements à la mode florentine, participe à l’effet de profondeur et conduit le regard sur la frise de putti qui occupe les hauts des murs du fond et de droite de la composition.
Les verticales des piliers croisent les diagonales du lit, des escaliers et des murs et dessinent la perspective de la pièce.
Ghirlandaio joue sur les couleurs, les personnages et le décor pour installer la profondeur de la composition.
Dans la peinture de Ghirlandaio les tons de terre prédominent et font apparaitre des contrastes forts.
L’ensemble chromatique est très harmonieux.
Les couleurs des vêtements rythment la composition et se répondent entre elles, de l’or, du brun, du bleu, du rose, du vert et du blanc.
Une lumière claire et puissante s’introduit dans la scène par une fenêtre en partie haute, à droite de la composition. Une autre source, frontale, plus douce, éclaire la suite de Ludovica.
L’utilisation des lumières, des ombres et de la couleur, dégage une atmosphère à la fois calme et joyeuse.
Analyse
I- Dans l’Italie de la Renaissance, où le christianisme intervenait dans tous les aspects de la vie, l’art sacré était omniprésent.
La bible, les hagiographies et les textes apocryphes constituaient des sources inépuisables de récits populaires que les artistes pouvaient illustrer dans un cadre fourmillant de détails.
Au XVe, les églises florentines étaient de véritables musées avec leurs fresques aux thèmes bibliques et leurs autels ornés de représentations des saints.
Les familles fortunées rivalisaient pour installer et décorer des chapelles privées dans toutes les églises de la ville.
Le but des mécènes était de sortir de l’anonymat. La représentation picturale de soi-même permettait d’obtenir un nouveau prestige social.
Les représentants de la classe dirigeante choisirent Ghirlandaio comme chroniqueur de leur temps et laissèrent un témoignage de leur rôle comme promoteurs des arts.
Grâce à la diversité des artistes travaillant dans la ville, la peinture sacrée à Florence présentait de multiples facettes : tableaux hiérarchisés et stylisés, scènes ancrées dans la réalité contemporaine, visions plus ou moins poétiques ou élégantes, à chaque maître sa propre interprétation, de sorte que le regardant jouissait de diverses représentations d’un même épisode biblique, de quoi enrichir sa vie religieuse.
Présentes dans les espaces publics, ces œuvres sacrées étaient régulièrement commandées pour les résidences privées de familles fortunées.
La Vierge à l’Enfant était le thème le plus prisé, avec les saints patrons, particulièrement adaptés à un contexte domestique.
Le commanditaire de la fresque de la Nativité de la Vierge est Giovanni Tornabuoni, un riche marchand florentin, parent des Médicis et ayant dirigé la banque de la famille à Rome.
Dans la chapelle portant son nom, Ghirlandaio a peint son portrait et celui de sa femme.
II- Ghirlandaio combine avec bonheur les conquêtes artistiques de son époque et de celles qui l’ont précédé.
Ghirlandaio est un peintre éclectique et productif.
Ses fresques constituent une collection unique d’images de son temps.
Le peintre parsème ses scènes religieuses de portraits de personnages contemporains et d’édifices de Florence.
Ici on reconnait la fille du commanditaire, Ludovica en tête du cortège des visiteuses. Elles portent des vêtements contemporains.
Le décor de putti en terre cuite émaillé était très en vogue au XVe à Florence.
Ainsi le monde contemporain de l’artiste est représenté par les portraits et le décor intérieur d’un palais florentin.
Lorsque la décoration à fresque de leur chapelle fut commandée par la famille Tornabuoni, l’église était riche des œuvres des maîtres anciens.
Ghirlandaio reprend la scène de la nativité de la Vierge aux maîtres qui l’ont précédé en apportant des variantes à la composition.
Il remplace l’alcôve du lit par une estrade et l’antichambre par un escalier ; contrairement aux compositions précédentes on ne voit pas Anne et on suppose que Joachim -qui n’est pas visible chez ses prédécesseurs est le personnage vu de dos en haut des escaliers.
Dans la basilique Santa Maria Novella, il y avait les fresques d’Andrea da Firenze -disciple de Giotto, dans les chapelles des Espagnols, dans un style très particulier. Giotto, dans la chapelle Arena à Padoue représente Marie deux fois dans sa fresque La naissance de Marie. Ce modèle a été copié pendant plus d’un siècle par les peintres florentins avec des variantes, contrairement à Giotto, Marie n’est jamais représentée deux fois.
Et les fresques du cloître Vert, décoré en 1480 par Paolo Uccello.
On observe d’abord une influence byzantine ; Une servante verse de l’eau dans une bassine, elle prépare le bain de Marie.
Le bain de l’enfant est un motif typiquement byzantin repris par Ghirlandaio, comme par tous les maîtres qui l’ont précédé.
L’influence de son maître Verrocchio se traduit par une peinture lumineuse.
Ici la lumière est particulièrement douce et façonne une ambiance de calme et d’harmonie.
En 1482, le regard du peintre se tourne vers le retable Portinari du flamand Hugo Van der Goes et l’incite au réalisme.
Ici Marie bébé met un doigt dans sa bouche, une servante verse de l’eau, deux personnages discutent discrètement en haut des escaliers.
Dans leurs postures, on imagine le groupe de visiteuse avançant « sur la pointe des pieds ».
Le réalisme s’insère dans la représentation des usages de l’aristocratie florentine contemporaine.
Son souci de la perspective reposant sur l’architecture intérieure (La Cène-1480) ou un paysage urbain (Présentation de la Vierge au temple -1485-90) témoigne de l’influence de Masaccio.
Ici la perspective est renforcée par la présence de l’escalier, du plafond et du décor pris dans son ensemble.
Plus tard pour ses attitudes maniérées, Ghirlandaio s’inspirera d’Antonio Pollaiolo.
L’architecture d’origine de la chapelle est médiévale.
La date inscrite sur la scène de L’Annonce à saint Zacharie -22-12-1490, indique le moment de la consécration de la chapelle.
Conclusion
Le thème de la naissance de la vierge a produit de nombreuses représentations à travers les siècles.
On observe que les modèles circulent entre les peintres florentins et siennois.
Les artistes vont d’une cité à l’autre.
Par exemple, le geste de la servante à côté du nourrisson qui cherche à attirer son attention en lui tendant les bras, se retrouve de 1330 à 1485, à Florence, à Sienne, à Orvieto et à Strasbourg, chez Taddéo Gaddi, Giovanni da Milano, Ugolino di Prete llario, Bartolo di Fradi à Montalcino, Sano di Pietro à San Quirico et Ghirlandaio.
La Naissance de la Vierge de Ghirlandaio est très représentative de la peinture florentine de la fin du Quattrocento.
Ghirlandaio est contemporain de Botticelli, le Pérugin, Lorenzo di Credi et Léonard de Vinci. Tous se croisaient et travaillaient dans l’atelier de Verrocchio.
Ils parlaient de peinture, de vernis, de dynamique des lignes et de musique.
Ghirlandaio à son époque est célèbre, sa peinture, ses innovations, son style de narration de la vie bourgeoise florentine, plaisent aux mécènes.
Plus tard il sera « éclipsé » par Botticelli.