Mort du général Wolfe – 1770 Benjamin West

Benjamin West (1738-1820)

 

Mort du général Wolfe

1770

Huile sur toile

Dim 153 x 215 cm

Conservé à la National Gallery of Canada à Ontario, Canada.

 

 

Le peintre

Benjamin West est né en Pennsylvanie. Ses talents artistiques sont remarqués dans la haute société à Philadelphie où il exécute des portraits. Certains de ses clients se cotisent pour lui payer un séjour d’étude en Europe.
Il a 22 ans lorsqu’il voyage à Rome où il découvre le Néoclacissisme naissant. Après trois années passées en Italie, il s’installe définitivement en Angleterre.
West se spécialise dans la peinture d’histoire, mais, contrairement aux peintres de son époque, il peint l’histoire contemporaine et troque les toges contre des habits contemporains.
Ses premiers tableaux d’histoire datent des années 1770, soit une quinzaine d’années avant les grands tableaux historiques de jacques-Louis David en France.
En 1771, il peint la rencontre entre William Penn et les Amérindiens.
En 1772, fort du succès de ses tableaux, il est nommé peintre d’histoire du roi de Grande-Bretagne, George III.
West peignit une soixantaine de toiles pour le roi.
En 1792, il succède à Joshua Reynolds en tant que président de la Royal Academy, dont il fut l’un des fondateurs en 1768.

 

Le tableau

L’histoire :
La guerre de sept ans qui éclate entre la France, l’Autriche et la Russie d’un côté et l’Angleterre et la Prusse de l’autre, permet aux jeunes généraux de part et d’autre, de s’illustrer.
Louis de Montclam défend avec courage les intérêts français au Canada. Il meurt lors de la bataille de Québec devant les troupes anglaises commandées par James Wolfe, tué lui aussi, au mois de septembre 1759. Les deux hommes deviennent des figures héroïques de la mémoire militaire française et britannique.

 Le tableau :
Célèbre un tournant dans l’histoire de l’Amérique du Nord.
Cette bataille est un évènement charnière dans la guerre de sept ans (1756-1763), elle décida du sort des colonies françaises en Amérique du Nord.
Le général Wolfe est devenu un héros national.

Lors de sa première exposition à Londres le tableau rencontra un grand succès populaire.

Ce tableau néoclassique avec un sujet héroïque, fit sensation à l’Académie royale à Londres où il fut présenté en 1771.

 

Composition

La composition est guidée par l’ambition du peintre de réaliser un tableau d’histoire.

-Il choisit un grand format rectangulaire

-Il met en perspective ses trois plans :
Au premier plan
Le héros légèrement décentré sur la droite du tableau, placé dans une composition triangulaire qui le met en valeur, est entouré des personnages de sa garde. Sur sa droite se tiennent les personnages qui illustrent l’événement.
Un indien situe la bataille. Un soldat vêtu d’un habit vert pointe l’horizon à gauche du tableau -pour attirer notre attention sur le soldat qui accourt en brandissant un drapeau blanc. Tous les personnages à la droite et à la gauche du général, sont penchés, les corps s’inscrivent dans des diagonales qui se rejoignent à la pointe du drapeau (un Union Jack en berne) dressé au-dessus du général, tel une croix.
West intègre sa composition triangulaire dans un grand triangle contenant tous les personnages resserrés autour du héros.
West peint un héros profane et sa composition triangulaire tire toute sa force d’être  elle-même contenue dans un grand triangle.
Le deuxième plan qui est aussi l’arrière-plan, représente la bataille.
A droite du tableau le fleuve Saint Laurent et les bateaux sur lesquels les troupes sont arrivées.
Au centre du tableau les soldats, on en discerne deux ou trois, le peintre les a floutés pour signifier la distance et le nombre, la troupe s’étend jusqu’à l’horizon. West reprend la technique des sculptures en bas-relief qu’il a vu à Rome. Il donne ainsi l’illusion de la profondeur à sa toile.
A gauche du tableau, pointé par le soldat, on distingue un soldat courant un drapeau blanc à la main.
Derrière lui les soldats français, minuscules, se sont rendus.
La ligne d’horizon traverse le tableau en son milieu, un ciel immense chargé de nuages gris sculptés par la lumière qui perce les nuées.
Sur la gauche du tableau une trouée de nuages découvre le clocher d’une église.

 _ La mise en scène du héros fait référence aux scènes chrétiennes de la déploration du Christ et donne une dimension historique au tableau.

 -Conformément aux dictats de la peinture d’histoire, ses couleurs sont vives, sa touche est léchée.
West restitue scrupuleusement les détails des uniformes et les costumes des indigènes.

 -Deux sources de lumière
La lumière narrative, entre par la gauche du tableau, fuse sur le visage du héros et se répand sur tout le premier plan.
La lumière dramatique sculpte le ciel et ses nuages menaçants.
West a groupé les figures autour du général blessé.

-Le tableau raconte la bataille, depuis le débarquement des troupes (à droite du tableau) la capitulation des français (à gauche du tableau) jusqu’à la mort du général anglais, le héros (au centre du tableau).

 

Analyse

I – Le Néoclassicisme anglais et le modernisme de West

Les jeunes membres de la bonne société anglaise qui effectuaient le Grand Tour revenaient en Angleterre emprunts de goûts esthétiques raffinés.
Tous comme eux, les peintres s’inspirèrent de leurs voyages en Europe, particulièrement en Italie, provoquant un bouleversement important dans la peinture anglaise du XVIIIe, étroitement associée à sir Joshua Reynolds.

A/ En 1750-52, le voyage en Italie de sir Joshua Reynolds l’avait décidé à introduire le « grand style » dans la peinture anglaise

En choisissant des sujets classiques, historiques, allégoriques et bibliques qui illustraient la splendeur des civilisations de l’Antiquité grecque et romaine.
Selon Reynolds, la peinture d’histoire, censée présenter une composition formelle, devait illustrer l’histoire classique, la mythologie ou des évènements historiques récents tout en délivrant une leçon de morale.
La peinture néoclassique n’eut jamais les mêmes connotations politiques en Angleterre qu’en France, grâce à la stabilité relative du pays et à son isolement géographique qui le préservait des révolutions faisant rage en Europe et en Amérique du Nord.

 B/ Si le Néoclacissisme anglais fit preuve d’une uniformité remarquable sous l’hégémonie de Reynolds, les choses changèrent avec l’arrivée de l’américain Benjamin West.

Benjamin West modernisa la peinture d’histoire britannique, notamment avec sa toile intitulée Mort du général Wolfe dans laquelle il figure un héros vêtu d’habits contemporains en place du nu ou du drapé typiquement classique.

Conformément aux dictats de la peinture néoclassique les personnages sont peints avec précision et détails.
Au premier plan les personnages sont habillés de couleurs vives et nettes.
Wolfe est en rouge, c’est le héros.
À l’arrière-plan, les couleurs sont discrètes, les personnages sont plus petits et moins précis.
Il peint un éclairage dramatique.

West transpose une composition classique comme la déposition de croix pour mettre en scène son héros. Le héros religieux devient un héros profane.

Cette toile est le point de départ d’une nouvelle esthétique néoclassique et de nombreux événements héroïques furent représentés de cette manière.

West est un innovateur,
Le peintre se sert des modèles du passé en les actualisant.
Il fait fi de la tradition des peintures d’histoire et peint les soldats dans leurs uniformes militaires.

En y intégrant des personnages classiques, la peinture de paysage connut elle aussi son tournant néoclassique, comme en témoigne Cicéron découvrant le tombeau d’Archimède -1804 de West. Cette œuvre fait partie d’un vaste ensemble de toiles qui trouvèrent leur place dans les expositions de la Royal Academy, reflétant l’immense diversité artistique de l’Angleterre à cette époque.

II- Ce tableau « fait » l’Histoire

Lors de sa présentation à Londres, l’œuvre fait sensation.
Le tableau fut souvent reproduit.
Le sujet du tableau était accrocheur, le général Wolfe était un héros tragique de l’empire britannique. Wolfe a vaincu les français dans les plaines d’Abraham, aux yeux des britanniques, c’est une victoire glorieuse et leur héros est mort pendant la bataille.

West peint un tableau épique qui représente en une seule image l’ensemble des combats. On voit les navires britanniques sur le fleuve Saint Laurent qui ont débarqués les troupes ayant pris les falaises d’assaut pendant la nuit et la capitulation finale à la lumière de l’aube symbolisée par le soldat habillé en vert et portant des jambières perlées qui pointe vers un soldat britannique qui court en direction de son général en brandissant son chapeau et en tenant triomphalement le drapeau blanc, sur le bord gauche du tableau. Les français s’étaient rendus. Le français Louis de Montcalm est représenté par la figure miniature qui tombe de son cheval sous le ciel éclairé du matin -à gauche du tableau dans l’horizon.
Certains personnages n’étaient pas présents au moment de la mort du militaire. Notamment l’indien d’Amérique du Nord, puisqu’aucun membre de ce peuple ne servait dans l’armée britannique. C’est une mise en scène. L’indien rappelle au regardant que la bataille a eu lieu dans les colonies du nouveau monde.

Il est improbable que le général soit mort entouré de ses officiers supérieurs et en présence d’un indien.

West avec cet évènement contemporain crée un mythe en rendant l’hommage d’un grand tableau historique.

Mort du général Wolfe est une reproduction très infidèle de l’évènement. Presque tout est historiquement faux.

L’état-major de l’armée du général ne pouvait être regroupé autour du général moribond. On compte treize personnes alors qu’il y avait peut-être cinq personnes pour assister ses derniers moments.

Les personnages représentés ont existé et auraient payés pour être représentés.

Avec ce réalisme revendiqué dans la description des personnages, des costumes et des décors, West peint une reconstitution historique théâtrale, romantique et totalement improbable.

Cette décision audacieuse a causé une immense controverse chez les artistes mais a séduit le public anglais. À tel point qu’à partir de ce tableau, les peintures d’histoire n’ont plus jamais été les mêmes.

Ce tableau flatte l’égo des anglais en représentant une étape de la naissance de la puissance impériale britannique.

West exprime une nouvelle conception de l’histoire et incarne les nouvelles valeurs de l’Angleterre moderne, conquérante et civilisatrice.

 Et c’est ainsi que ce tableau parfaitement inexact du point de vue historique devint le plus célèbre de tous les tableaux historiques.

 

III – Jusque dans les années 1820, les conflits armés avec la France stimulèrent la modernisation de la peinture d’histoire par l’illustration d’événements contemporains glorieux.

Des tableaux représentant les épisodes d’un présent vécu comme historique apparaissent dans les expositions de la Royal Academy.

Thomas Stothard (1755-1834) représente l’amiral Nelson, ses hauts faits et sa mort héroïque inspirèrent également West et Turner.

Les peintres commémorent les batailles navales, celle Trafalgar a du succès.
Philip James de Loutherbourg peint The Battle of the First of June –1795 et The Battle of the Nile –1800.

 

Conclusion

Le XVIIIe en Angleterre est une période féconde au cours de laquelle urbanisation, industrialisation et changement de statut géopolitique s’accompagne d’une autonomisation artistique progressive de la nation.

Les artistes britanniques, s’approprient la peinture d’histoire, la modernisent et l’utilisent pour construire picturalement le destin impérial de la nation.

Les tableaux des peintres britanniques donnent à imaginer passé et présent en leur conférant une unité et un sens.

Ils permettent au regardant de recomposer le passé, de mémoriser le présent, à partir des représentations qui occupent la fonction de cadres collectifs de la mémoire.

West tient un rôle important dans la diffusion du style épique et moralisant qui domine à la fin du XVIIIe.
Le peintre compte parmi les plus importants et les plus représentatifs des créateurs néoclassiques.
Son atelier à Londres fut, pendant près de 25 ans, le rendez-vous des jeunes américains désireux de s’initier à la peinture.

Son innovation s’étend au-delà de l’Angleterre :
Il influence les Romantiques.
Le peintre français David se réfère souvent à West.
Delacroix note dans son journal qu’il doit étudier les dessins de West.