L’escalier du Bauhaus – 1932 Oskar Schlemmer

Oskar Schlemmer (1888-1943)

L’escalier du Bauhaus

1932.

Huile sur toile

Dim 162 x 114 cm

Conservé au MoMA à New-York

 

Le peintre

Oskar Schlemmer est peintre, décorateur de théâtre et scénographe de ballet.
Il a une formation classique de peintre à Stuttgart chez Adolf Hölzel, au côté de Willy Baumeister et Otto Meyer-Amden.
De 1910 à 1912, Schlemmer séjourne à Berlin où il voit les œuvres des cubistes et des artistes du Cavalier Bleu et approche les idées de l’avant-garde française.
Le manifeste de Vassily Kandinsky Du spiritual dans l’art exerça une profonde influence sur lui. Il se tient à l’écart de l’expressionnisme allemand, du futurisme, du dadaïsme et du constructivisme.
En raison d’une commande passée avec Willi Baumeister pour la Deutsche Wekbundausstellung, il a été remarqué par Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus.
Pendant son séjour en tant qu’enseignant au Bauhaus, Oskar Schlemmer a essayé de combiner la technologie et l’art, ainsi que la peinture et l’architecture. Schlemmer est successivement « maître des formes », directeur de l’atelier de peinture murale, de sculpture sur bois et à partir de 1923, directeur de la scène du Bauhaus. Il organise des spectacles et des fêtes, voire des tournées du
« théâtre du Bauhaus ». Schlemmer incarne l’ambition syncrétique du Bauhaus.
Son travail se concentre autour de l’étude du corps humain qu’il représente sous forme simplifiée. Il devient un artiste d’action et d’innovation.

Oskar Schlemmer fut un pionnier de l’interdisciplinarité.

 

Le tableau

Ce tableau est devenu une icône de l’époque moderne classique, un symbole du mouvement culte de la jeunesse et du modernisme.

Schlemmer peint ce tableau en réaction immédiate à la nouvelle de la fermeture de Bauhaus à Dessau sous la pression des national-socialistes.

 L’Escalier partira aux Etats-Unis.
Il entrera dans la collection de l’architecte Philip Johnson, alors directeur du département d’architecture du MoMA, auquel il finira par le donner.

 

Composition

Une toile lumineuse.
Schlemmer apporte de la clarté avec des volumes simples et des tonalités claires.

Une toile figurative
L’escalier central enjambe tout l’espace pictural et intègre le regardant dans le mouvement ascendant des figures représentées.

Des jeunes femmes, vêtues à l’identique, à l’exception des couleurs de leurs pulls (bleu, noir, rouge, blanc) à la fois vivantes comme des danseuses et immobiles comme des marionnettes montent les marches d’un grand escalier central.
L’homme sur le palier est dans une attitude de danseur, parfaitement en équilibre sur ses pointes.
Les personnages ont des formes simplifiées.  – un assemblage de cylindres, de cônes et de lignes géométriques. Ils ressemblent à des robots.
Seules comptent les relations respectives entre les personnages.
Les figures interagissent entre elles et avec l’escalier.

Schlemmer utilise les couleurs primaires

La toile mêle l’architecture, la peinture, la danse, les recherches sur la couleur, dans un même dynamique.

L’atmosphère affairée opère conjointement avec le réseau que forment les carreaux de verre du décor, soulignant l’importance du lien entre beaux-arts et motifs géométriques.
Les volumes sont simples, les tonalités claires, les vides lumineux et l’organisation spatiale distribue les figures.

Les figures tournent le dos au regardant exprimant le refus de l’émotion, de l’expressivité. Seul compte le jeu plastique des corps dans l’espace.

Schlemmer nous donne à voir une composition équilibrée.

 

Analyse

I-   Le Bauhaus (qui se traduit par « maison de la construction »)

Ne fut pas uniquement une école d’architecture, mais une école associant les beaux-arts et l’artisanat. Son idéologie n’eut de cesse que de prôner la réconciliation du beau et du fonctionnel ainsi que l’intégration de l’art dans l’industrie.
À l’exemple de Le Corbusier, permettre au fonctionnalisme de rejoindre l’esthétique. Ainsi, la production de l’école est devenue mouvement multiforme, qui mêlait architecture, graphisme, design, photographie, costume, danse.

La vision de Kandinsky d’un rapprochement des arts, ainsi que la préférence des expressionnistes pour l’artisanat, les qualités personnelles et la dimension spirituelle étaient évoquées en couverture du manifeste du Bauhaus en 1919.

En 1919, l’Allemagne et un pays vaincu et les artistes modernes rêvent de reconstruire leur pays et de bâtir une nouvelle humanité.

La philosophie du Bauhaus est la valorisation de la synthèse artistique, résultat de l’effort collectif des artistes. Les élèves sont dans une démarche interdisciplinaire. Régulièrement ils organisent des spectacles dans lesquels se mêlent tous les arts.

En France le Bauhaus est perçu comme une curiosité germanique alors qu’en Europe centrale et en URSS il est regardé avec beaucoup d’admiration.
Dans les années 1920 le Bauhaus est une plaque tournante de la modernité.

En 1920, Paul Klee est nommé professeur des enseignements « préliminaires » et maître d’atelier de reliure et de vitrail.
En 1920, Oskar Schlemmer dirige l’atelier de théâtre.
En 1922, Kandinsky les rejoint en tant que maître en peinture murale.
En 1925, Joseph Albers est nommé professeur.

Cette école n’aura vécu que quatorze années, entre 1919 et 1933, date à laquelle les nazis, décident de la fermer.
L’école a connu trois sites successifs : Weimar, Dessau et Berlin. Et trois directeurs, le fondateur Walter Gropius, Hannes Meyer et Ludwig Mies van der Rohe, qui sont trois architectes. Mais ce n’est qu’en 1928 que cette discipline entrera dans l’enseignement de l’école.

En 1937, une exposition d’art « dégénéré » se tint à Munich, à la manière d’une déclaration politique plaçant l’uniformité au-dessus de la créativité, la conformité au-dessus de l’innovation et le nationalisme avant la tolérance.
Y furent notamment exposées des œuvres de Klee, Kandinsky et Schlemmer.
Schlemmer fut l’une des figures majeures désignées à l’opprobre publique par cette exposition.

Après la seconde guerre mondiale, l’artiste hongrois, Lászió Moholy-Nagy, maître au Bauhaus de Dessau et Weimar de 1923 à 1928, ouvre en 1937, le New Bauhaus dans la ville de Chicago. L’école est fondée sur les mêmes principes d’enseignement que l’institution allemande.

Oskar Schlemmer cessa d’enseigner au Bauhaus en 1929, mais cette représentation de 1932 qui montre l’escalier du bâtiment conçu par Gropius à Dessau intègre des éléments essentiels des idéaux de l’école, telle l’ouverture aux femmes.

C’est dans le cadre du Bauhaus qu’Oskar Schlemmer crée son Ballet triadique qui associe couleur, mouvement, costumes et musique dans une performance qui assimilait le corps à un mécanisme autant qu’à un vecteur d’élans créatifs.

II-   Schlemmer est l’architecte du regard, l’ingénieur des corps.
Un peintre tel un rêveur scientifique.

Cezanne disait « je suis le primitif de la voie que j’ai découverte ».
Schlemmer dit : « on doit agir comme si le monde venait d’être créé ».

Schlemmer remplace l’espace fini, défini par les lois de la perspective linéaire, par un espace infini dans lequel ces lois ne s’appliquent plus. Autrement dit,
Schlemmer réfléchit au rapport qui existe entre l’espace où le corps se meut sur le sol, vu comme un échiquier sur lequel se déplaceraient des pièces.

Dans ce tableau les corps gravitent dans l’escalier et créent un espace artificiel d’harmonie universelle.

L’enjeu de ce tableau, c’est l’espace.
Construire, représenter un escalier, lui donner du volume, du souffle, de la distance, le rendre vivant.

Schlemmer aborde la composition de son tableau comme un espace architectural.
Il reprend pour son escalier, une représentation spatiale en perspective linéaire tout en divisant les figures abstraites en formes géométriques de base.

L‘espace cubique de la composition impose ses lois aux formes qui s’y trouvent, la figure humaine est soumise au principe apollinien.
La représentation des figures-type  dans l’espace donne à la toile son effet intemporel. Les figures sont des pantins dynamiques, elles existent par leur présence, c’est-à-dire, par la couleur. Elles forment un groupe, elles font partie d’une communauté -l’école, tout en étant solitaires.
Ce sont des abstractions de l’être humain nouveau.
Elles n’ont pas d’identité, juste un genre, filles sur les marches, garçons en imposte sur les bords inférieurs de la toile ou sur le palier exécutant une figure de danseur.
L’effacement des hommes par rapport aux filles illustre un événement récent du Bauhaus, l’intégration des filles à l’école.
Les figures sont des acteurs virtuels connectés dans l’acte de monter les marches.

Schlemmer attend par spectacle ce qui naît des couleurs et des formes et qui est animé mécaniquement.

Schlemmer énergise son espace. Il conçoit son escalier comme un système dynamique dans lequel la fonction de la couleur est de transporter de l’énergie.

L’escalier du Bauhaus est une peinture tridimensionnelle dans laquelle, les gestes, les mouvements, les lumières, les couleurs et le temps agissent en synergie.

Pour Schlemmer le concept de métaphore devient un principe fondamental de l’art.

Walter Gropius écrit dans son introduction à La scène du Bauhaus : « L’excellence artistique du travail d’Oskar Schlemmer est caractérisée par l’interprétation qu’il donnait de l’espace. On constate dans ses peintures comme dans ses œuvres pour la scène qu’il éprouvait l’espace de tout son corps, avec le sens tactile du danseur et de l’acteur, et non pas uniquement par la vue. Il traduisait dans le langage abstrait de la géométrie ou de la mécanique ses observations de la figure humaine en mouvement dans l’espace… »


III-   Ce tableau parle de la sensibilité, de l’intelligence et de la rigueur de Schlemmer.

Schlemmer décline inlassablement le thème de la figure humaine dans toutes les dimensions de l’espace : plan, volume, scène.

Schlemmer a démontré que réflexion et innovation ont un effet catalyseur l’une sur l’autre. Il a cherché les bases théoriques et pratiques du théâtre abstrait.

Ses recherches sur la relation entre la figure et l’espace en introduisant le mouvement l’emmènent à la danse.
La danse concrétise la rencontre de la figure humaine et de l’espace, d’un côté la forme, la couleur et la lumière et de l’autre le mouvement.

Dans l’œuvre de sa vie, représentée en 1922, le Ballet triadique, sur une musique de Paul Hindemith. Schlemmer cherche l’équilibre entre les lois de l’espace cubique, objectif de la scène et les lois de l’espace expressif, subjectif ou égocentrique de l’acteur.

Schlemmer écrit dans son journal : « l’art est artifice, son sujet fondamental est la figure humaine, non pas l’individu mais le type ».

Le ballet triadique se compose de douze danses spatiales, formelles et gestuelles, où le danseur est partiellement réconcilié avec l’essor utilitaire de la mécanisation.

Le ballet fut célébré comme un événement par les experts et connut une renommée internationale avec des invitations à Paris et New-York.

Plus tard, des artistes comme John Cage et Merce Cunningham ont réalisé de systèmes chaotiques en utilisant des règles simples pour créer des systèmes dynamiques complexes qui mènent à une vision nouvelle de l’espace scénique.
Les pièces de Cunningham véhiculent un flux d’énergie qui est le flux de la performance.
Pour Cage et Cunningham la scène est un champ continu où le regard ne peut s’accrocher.

 

Conclusion

L’abolition de la démocratie parlementaire de la République de Weimar en 1933 et l’instauration de la dictature, eut de graves conséquences pour les artistes de l’époque moderne en Allemagne. Ils furent exposés à des interdictions d’exercer.

Bien que Schlemmer ait pu vendre son tableau L’escalier du Bauhaus au MoMA de New-York, il fut démis de ses fonctions d’enseignant à Berlin en 1933 et ses œuvres furent retirées des collections allemandes et confisquées.

Les expositions de ses œuvres à l’étranger lui donnèrent de faibles lueurs d’espoir (une rétrospective à New-York en 1938 et à Londres en 1939)
Schlemmer fut contraint d’accepter des commandes pour une entreprise de peinture de Stuttgart. Il produit des peintures de camouflage pour l’armée et l’industrie.

Aujourd’hui, le nom d’Oskar Schlemmer est principalement associé au Bauhaus fondé à Weimar en 1919 par Walter Gropius.

 En traversant les arts, Schlemmer fut l’un de seuls artistes à tenter une synthèse en faisant glisser les figures de ses tableaux sur les scènes du théâtre et de la danse.

Il a été invité à la Biennale de Venise, a participé à des expositions dans le monde entier et a eu son exposition personnelle à Berlin en 1931.

Schlemmer a transformé l’espace de l’art traditionnel.