Les tricheurs -1595 Caravage

 

Michelangelo Merisi dit Caravage (1571-1610)


Les tricheurs

1595

Huile sur toile

Dim 94 x 131 cm

Conservé au musée d’art de Kimbell à Fort Worth, États-Unis

 

Le peintre

Le peintre a grandi à Caravaggio, près de Bergame.
Michelangelo Merisi dit Caravage se forme à Milan dans l’atelier du peintre maniériste Simone Peterzano. En 1592, à 21 ans, il part à Rome.
Élève du Cavalier d’Arpin, peintre et décorateur maniériste, il peint des natures mortes. Il admire Raphaël.
Dès ses débuts, Caravage attache autant d’importance aux thèmes profanes que religieux. Ses sujets sont traités avec crudité et théâtralité.
De cette période on retient son autoportrait en Jeune Bacchus malade.
En 1597, Caravage est sollicité par l’église pour une grande commande, trois grands tableaux autour de saint Matthieu pour la chapelle Contarelli de l’église Saint-Louis-des-Français, qu’il achève en 1603.
Caravage est remarqué en proposant un style novateur dans le traitement des thèmes religieux. Il humanise le divin, représente les saints avec réalisme et joue sur la dramatisation du clair-obscur.
Entre 1601 et 1606 il peint la mort de la Vierge dont le réalisme suscite un scandale. Le peintre devient célèbre et bénéficie de la protection de nombreux mécènes, entre autres, le marquis Giustiniani et le cardinal Francesco Maria Del Monte qui lui passent de nombreuses commandes.
Imprévisible, il joue aussi bien du pinceau que de l’épée, ce qui lui vaut d’être emprisonné à plusieurs reprises.
En 1606, le 28 mai, il tue un jeune-homme lors d’une rixe. Il est condamné à mort, ce qui le contraint à s’exiler à Naples, où il continu de peindre.
Ce drame assombrit la fin de sa vie.
Son style marque un tournant cette année-là et s’épanouit avec les œuvres religieuses exécutées en Sicile.
En 1607, il est à Maltes où il travaille pour les chevaliers de l’ordre de Malte
Atteint de Malaria on suppose qu’il s’est éteint dans le sud de la France.
Il est mort le 18 juillet 1610 à l’âge de 39 ans. IL est inhumé à Porto Ercole.

 

Le tableau

Deux tricheurs collaborent pour dépouiller le jeune homme représenté à gauche sur le tableau. Son costume de velours et son expression ingénue permettent de l’identifier. Un des tricheurs se penche sur l’épaule de l’innocent pour voir son jeu et fait un signe à son complice qui passe la main dans son dos pour sortir une carte de sa ceinture.
En peignant ce deuxième personnage de dos, Caravage rend le regardant complice de l’escroquerie.

Le tableau est remarqué par l’influent cardinal Francesco Maria del Monte qui l’achète et propose à Caravage de loger dans son palais.
L’artiste est ainsi en contact avec l’élite de la société ecclésiastique qui lui passe d’importantes commandes.

 

Composition

C’est un format horizontal

Trois hommes représentés en plan-américain occupent toute la surface du tableau. Ils sont réunis autour d’une table de jeu recouverte d’un tapis ottoman.
Deux jouent aux cartes, un troisième observe. Il est de mèche avec le joueur que le regardant voit de dos.
Les deux complices ne sont pas du même milieu que le jeune homme vêtu de noir et concentré sur ses cartes. Leurs vêtements sont élimés, on observe la chemise de l’homme de dos, déchirée au niveau de l’emmanchure tandis que les gants de son comparse sont troués.
Le jeune ingénu est représenté détendu alors que les deux comparses sont nerveux.

Le fond du tableau est clair, aucun décor ne détourne l’attention du regardant de la scène et de sa dimension psychologique.

L’attention du regardant est accaparée par le réalisme des gestes et des expressions.

La lumière entrant par le haut gauche du tableau donne une dimension théâtrale à la scène. La lumière est au service de la profondeur spatiale.

La lumière est égale.
Elle glisse sur les visages et fait miroiter les étoffes.

 

Analyse

I – Au début du XVIIe, Caravage lança avec Annibal Carrache un nouveau style de peinture qui s’opposait au maniérisme tardif de la fin du XVIe par son caractère plus réaliste, plus dramatique et plus lisible.

Caravage utilise un fond clair appris en Italie du nord.
C’est le début de sa carrière, Les tricheurs est une œuvre de jeunesse peint pendant sa période romaine.
En éclairant fortement ses personnages Caravage exprime leur émotion et leur donne une dignité. Illuminés et placés tout près du plan pictural, les personnages semblent surgir de la toile et se projeter dans l’espace du regardant.

C’est avec ce tableau et La diseuse de bonne aventure-1594-95, deux grandes peintures de genre inspirées des bas-fonds romains, que Caravage acquis sa notoriété.

Ces deux œuvres sont inhabituelles du point de vue du sujet, de la technique et de leur focalisation sur un petit groupe de personnages, rendues dramatiques par la lumière forte qui les détache sur le fond neutre.

Caravage avec la représentation des yeux et des regards repousse les limites du pathétique ; elles sont encore plus remarquables dans le regard de La Méduse -1598-99 et dans L’incrédulité de saint Thomas – 1601-02.

Comme les vénitiens Caravage bâtit ses œuvres par la lumière et crée par elles,  formes et émotions.
Grâce au travail très précis d’accentuation des modelés du corps par l’ombre et la lumière, les personnages prennent du relief et de la vie.
Ses personnages sont frappés de face ou de biais par la lumière et marqués de reflets et de jeu croisés d’ombre et de lumière.
Ses effets surprenants font ressortir l’état d’esprit des personnages.

Ses tendances réalistes sont vivifiées par l’énergie procurée par la technique et la couleur. 

Caravage rejetait les théories néoplatoniciennes du XVIe sur l’existence de formes idéales que l’artiste était censé imiter.
Il méprisait la sculpture antique et prétendait s’inspirer uniquement de la nature.
Au lieu d’étudier la sculpture antique, l’anatomie et le modèle vivant, Caravage qui débuta comme peintre de natures mortes, déguisait des amis, des assistants et des courtisanes et les peignait directement, sans aucun dessin préparatoire, en gravant à l’aide d’un stylet les contours de la composition sur la surface de la toile.
Cette méthode de travail laisse paraître de nombreux repentirs dans ses tableaux.
Les rayons infrarouges révèlent les repentirs, dans Les tricheurs : la position de la main, des cartes et de la ceinture du tricheur de dos ainsi que les rayures de son pourpoint.

Les répercussions de cette démarche novatrice furent conséquentes.

Pour les artistes entourant Caravage, cela signifiait l’affranchissement des formations comme celles à Bologne des Carrache et aussi une incitation à explorer de nouveaux sujets ancrés dans la vie quotidienne.
De nombreux peintres suivirent ce chemin, nord-européens, italiens et même espagnols, comme le Néerlandais Gerrit Van Honthorst, le Français Valentin de Bologne, l’Italien Bartolomeo Manfredi et l’Espagnol José de Ribera.
De retour dans leur pays d’origine, ils continuèrent à peindre dans le même style, assurant sa diffusion à travers l’Europe.


II
–   La tradition des peintures de genre s’implanta en Italie du Nord dans la deuxième moitié du XVIIe. Développée par Caravage qui la transplanta à Rome.

La peinture de genre ne constitua pas seulement une fenêtre réaliste sur la vie au XVIIe, elle se conforma aussi à certaines conventions et véhiculait des idées susceptibles de correspondre aux goûts et aux intérêts des collectionneurs de l’époque.

Le centre de la peinture de genre était les Pays-Bas où les artistes se spécialisent dans la représentation de tous les aspects de la vie quotidienne.
De nombreuses peintures de genre du XVIIe évoquent le loisir et le divertissement, joyeuses beuveries dans les auberges, fêtes de villages, marchés aux fruits et aux légumes.
On y retrouve des personnages types, le paysan, le soldat, la bohémienne, plutôt que des individus.
Les bases du genre furent posées au XVIe par Bruegel l’Ancien, mais ce n’est qu’au XVIIe qu’il s’est imposé comme forme populaire répandue.

Les tricheurs, inspire les artistes de toute l’Europe.

Georges de La Tour peindra le Tricheur à l’as de carreau et le Tricheur à l’as de trèfle -vers 1635-38.


III – Tous les tableaux de Caravage sont porteurs d’un message, spirituel s’il s’agit d’un tableau religieux ou moral dans les scènes de genre.

Dans ce tableau, Caravage traite le thème de la tricherie de façon romanesque

L’interaction du geste et du regard dénonce la tromperie et la perte de l’innocence.

Caravage représente la naïveté en velours noir et les larrons en vêtements de couleur usagés :

Cette scène suggère qu’il ne faut pas côtoyer les gens habitués au vice car ils ne peuvent que fatalement nous nuire.

Il faut être très attentif et bannir toute naïveté dans la vie de tous les jours.

Cette œuvre est émouvante. 

 

Conclusion

Il y a deux temps dans la peinture de Caravage, l’époque romaine suivie de l’époque napolitaine. 

Pour se surpasser, renoncer aux audaces de son époque romaine, il a fallu à Caravage, de la volonté, une lucidité et aussi une assurance provoquée par la religion.
Son époque napolitaine en atteste avec ses tableaux où le clair-obscur est devenu un principe.

Caravage atteint le sublime lorsqu’il privilégie les couleurs sombres brunâtres et réduit les rehauts clairs.
Quand sa lumière devient plus rare, oblique ou verticale, ses tableaux diffusent un calme pesant qui masque une tension intérieure.
Tels la Madeleine en extase -1606 ou le souper à Emmaüs -1605-1606

Le style napolitain de Caravage révèle une force éternelle qui le relie au moyen-âge et au classicisme.

L’art de Caravage opère un effet de vénération sur les jeunes artistes présents à Rome à cette époque.

Après son décès le courant caravagesque déferle sur l’Europe.
En France valentin de Boulogne et Georges de La Tour s’en emparent.
En Espagne c’est Velasquez.