Georges Grosz (1893-1959)
Les piliers de la société
1926
Huile sur toile
Dim 200 x 108 cm
Conservé à Berlin au Staatliche Museum
Le peintre
Georges Grosz est né et a vécu une grande partie de sa vie à Berlin.
Grosz participe à la Grande Guerre en première ligne. Il en revient profondément traumatisé. Il sera traduit en conseil de guerre pour fait de résistance.
Georges Grosz est un artiste très engagé politiquement.
À son retour du front, Grosz adhère au parti communiste.
Au retour de son voyage en 1922 à Moscou où il découvre le caractère dictatorial du régime soviétique, il s’oppose à toute forme de dogmatisme.
Son engagement politique sera toujours teinté de scepticisme et d’ironie.
Le tableau
Georges Grosz réalise ce tableau en 1926, au moment où le nationalisme allemand commence à devenir populaire.
Par engagement, il peint ce tableau qui est l’un des plus violents de son œuvre.
Georges Grosz dénonce les élites de son époque qui, de son point de vue, dirigent le pays vers la catastrophe.
Les piliers de la société, contribuera à faire de G. Grosz un opposant politique au nazisme. Le peintre devient l’ennemi numéro un du régime et sera contraint de fuir son pays pour survivre.
Composition
Le tableau a une géométrie linéaire.
La composition se déroule sur un axe vertical qui superpose les personnages.
Les figures sont agencées en respectant la hiérarchie et la place des élites dans la société allemande.
Le peintre se sert de la ligne médiane du tableau pour séparer, le premier plan et la société politique de l’arrière-plan et l’ordre moral constitué du clergé et de l’armée qui pourchasse les ouvriers.
La ligne verticale est la représentation d’une stricte séparation entre deux classes sociales de l’époque : la bourgeoisie et le prolétariat.
Le personnage de profil au premier plan est un aristocrate. Il incarne un homme politique nationaliste en tenant dans sa main droite un sabre. Sa pensée violente est incarnée par le cavalier qui remplace son cerveau. Sur sa cravate figure une croix gammée, symbole du nazisme.
Derrière lui, un leader social-démocrate. Grosz représente l’homme politique corrompu, la tête remplie d’excréments fumants. L’homme porte un drapeau de l’ancien empire allemand ainsi qu’une pancarte électorale.
À sa droite, se trouve un journaliste, coiffé d’un pot de chambre (signe de mépris) et tenant lui aussi dans sa main droite, une palme de la victoire ensanglantée, synonyme d’échec de la Paix. Le journaliste alimente la pensée noire du nazisme au lieu de la contrer.
En l’arrière-plan, un ecclésiastique au rire sadique semble donner une approbation à l’Allemagne Nazie. Grosz dénonce l’attitude conciliante de l’église face aux nationaux socialistes.
Les soldats en arrière-plan, avancent armes à la main. Ils constituent un contre- pouvoir au sein de la République de Weimar et représentent une véritable menace antidémocratique.
Dans le fond du tableau un bâtiment brûle, évoquant une Allemagne qui, selon Grosz sera bientôt à feu et à sang.
Grosz utilise une gamme chromatique réduite et percutante – beige, marron, noir, gris et rouge, et module l’intensité des couleurs.
Elles s’assombrissent au fur et à mesure que le regard glisse du bas vers le haut du tableau, participant ainsi à la narration du tableau.
Les différentes couleurs et les nuances de lumière renvoient une atmosphère de violence. Le rouge, couleur du sang traduit la fureur.
Analyse
I- Grosz se sert de ses caricatures pour exprimer ses idées.
L’image du bâtiment en flamme à l’arrière-plan est une allusion à son œuvre dada, Les funérailles d’Oscar Panizza –1917-18.
Presque dix ans plus tard, Ce tableau composé de personnages caricaturaux exprime la vision féroce qu’a le peintre de la société de Weimar.
Grosz insinue avec Les piliers de la société que l’Allemagne se trouve, elle aussi, dans un contexte de destruction imminente, cette fois à cause des forces internes : une armée de représailles, un clergé corrompu, un parti socialiste aux idéaux aussi nauséabonds que les excréments qui remplissent la tête aux allures de postérieur du personnage, une presse propagandiste et enfin, le nazisme, représenté par un personnage tenant une chope à bière d’une main et une épée de l’autre. Cette personnification du nazisme n’a ni oreille pour attendre ni yeux pour voir, mais combat néanmoins pour sa cause, arborant ses cicatrices de guerre comme autant de peintures de guerre.
Grosz peint une représentation froide et impartiale.
Il représente et dénonce dans ce tableau satyrique, les élites aveugles et corrompues de la République de Weimar, responsables de la guerre.
Ses caricatures mettent l’accent sur les aspects amusants ou grotesques de l’apparence des personnalités. La plupart de ses modèles viennent du demi-monde de la prostitution, des cabarets ou de la criminalité.
Reflets d’une Allemagne d’après-guerre, ses œuvres font allusion aux blessures de la société. Il peint la vie aussi foisonnante que décadente.
Son commentaire social incisif fut interprété comme une critique de la corruption des institutions et du système de classes.
Pour Grosz l’art est le miroir de la laideur du monde
Avec son expérience de la guerre Grosz s’est forgé une vision extrêmement négative de la société. Ses tableaux représentent la foule des prostitués et des ivrognes.
Grosz stigmatise les spéculateurs et autres trafiquants qui prospèrent dans une Allemagne au bord de la ruine.
Il constitue des recueils de dessins et de caricatures à la plume.
En 1924 il publie un recueil Ecce Homo d’aquarelles et lithographies sur les travers de la société.
Témoin intransigeant des failles de son temps, son esprit révolutionnaire lui vaudra quelques procès.
II- L’évolution du style de Grosz
En 1916, son style est expressionniste Metropolis –1916-17 en témoigne.
En 1918, il participe à la formation du mouvement Dada. Libéré des conventions de l’expressionisme, son trait se précise, devient plus sobre, plus incisif.
En 1920, il se tourne vers les tableaux métaphysiques des italiens, comme Chirico et ses figures à prothèses se mouvant dans des paysages urbains fantomatiques. Grosz durant cette période de transition concentre son dessin pour le rendre plus explicite. L’objectivité de Grosz se traduit par le retour au modelé des formes et des corps et par la réalisation de portraits naturalistes de ses contemporains.
Tout au long de sa carrière, Grosz représentera la part sombre, irrécupérable de l’humanité.
Tandis que V. Kandinsky et P. Klee développent une approche encore plus abstraite après la guerre, Georges Crosz abandonne les gestes spontanés de l’expressionnisme pour revenir à un mode figuratif et soigné, préférant la complétude à la fragmentation des formes.
Ce style rappelle les tableaux de Lucas Cranach ou Albrecht Dürer.
Cependant comme chez les peintres français, ses imperfections, ses cicatrices et sa laideur sont d’autant plus visibles.
La laideur est représentée comme un fait objectif, produisant un résultat étrange et dérangeant.
Les artistes allemands qui comme Georges Crosz pratiquaient un réalisme nouveau, furent regroupés sous le nom de Nouvelle Objectivité.
Ces artistes ne recherchèrent ni n’obtinrent les faveurs du régime nazi.
Otto Dix perdit sa place de professeur à Dresde, Georges Crosz s’enfuit aux États-Unis et Rudolf Schlichter partit pour les provinces du sud de l’Allemagne.
Un grand nombre de leurs œuvres furent présentées à l’exposition nazie « d’art dégénéré » en 1937, aux côtés d’œuvres cubistes expressionnistes, dada et abstraites d’artistes majeurs de l’époque.
Conclusion
Ses toiles sont le reflet de la société malsaine et corrompue de l’après-guerre.
Grosz les représentera avec un regard qu’il voudra le plus objectif possible.
Son style évoluera d’un expressionnisme originel jusqu’au style léché et naturaliste des portraits de la Nouvelle Objectivité.
Grosz est caricaturiste dans l’âme.
La majeure partie de son art tient dans les caricatures sans concession, largement diffusées, qu’il fera des figures emblématiques de son époque.
Il critique fermement la République de Weimar.
Son propos très politique, manifeste une volonté de dénoncer et de démontrer.
Grosz pionnier du mouvement de la Nouvelle Objectivité, en est le représentant le plus virulent.