Les huit panneaux des Nymphéas de l’Orangerie – de 1890 à 1926 – Claude Monet

Claude Monet (1840-1926)

 

Les Nymphéas – Les huit panneaux de l’Orangerie.

Du milieu des années 1890 à la fin de sa vie.

Huiles sur toiles

Ces huit panneaux sont constitués de 22 tableaux de 2 m. de hauteur pour 4,3 ou 6 m de largeur.

Cette série de toile est conservée au musée de l’Orangerie dans le jardin des Tuileries à Paris.

 

Le peintre

Monet est le chef de file des peintres impressionnistes.

C’est à un de ses tableaux Impression, soleil levant -1872, que ce mouvement artistique doit son appellation.

Monet a grandi au Havre où son père tenait un magasin d’articles coloniaux.
Lycéen, il peint des caricatures qu’il expose dans le magasin de fournitures de dessin. Il y rencontre le peintre Boudin qui le convînt de peindre en plein-air. Monet commentera plus tard : « par le seul exemple de cet artiste épris de son art et d’indépendance, ma destinée de peintre s’était ouverte ».
Monet s’inscrit à l’Académie Suisse où il rencontre Pissarro et Cézanne.
En 1860, il interrompt son apprentissage pour faire son service militaire en Algérie. Il tombe malade et rentre en France.
En 1862, il recommence à peindre avec Boudin et Jongking, au Havre. A propos de Jongking, Monet dit « … c’est à lui que je dois l’éducation définitive de mon œil. »
Il reprend ses études à Paris à l’École des Beaux-Arts de Paris et dans l’atelier de son professeur Charles Gleyre et aux côtés de Bazille, Renoir et Sisley.
IL peignait en plein-air, dans les environs de Paris, sur la côte Normande, où l’expérience des phénomènes optiques de la lumière et de la couleur était plus intense.
En 1869, il peint avec Renoir une série de tableaux à la Grenouillère à Bougival. Ils peignent en travaillant avec des touches de couleur rapides et vigoureuses, c’est l’émergence d’un style nouveau qui, cinq ans plus tard sera appelé l’impressionnisme.
En 1870, Monet épouse son modèle, Camille Doncieux qui lui donnera deux fils.
Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, Monet vit à Londres où il rencontre le marchand d’art, Paul Durand-Ruel.
En 1874, Monet et ses amis formèrent un groupe et exposèrent dans leur propre salon.
Les années qui suivirent confirmèrent l’essor du courant impressionniste.
Monet participa aux expositions du groupe en 1874, 1876, 1877, 1879 et 1882.
Ces toiles se vendaient mal, Monet connu des périodes de pauvreté.
A la fin des années 1880, ses toiles commencèrent à attirer l’attention du public et des critiques.
La renommée lui apporta du confort et de la richesse.
Après Argenteuil, Vétheuil et Poissy, il s’installe à Giverny en 1883.
Il y demeure plus de quarante ans, jusqu’à sa mort.
Il transforme petit à petit son jardin, plante des arbres ornementaux et crée des parterres de fleurs variées.
En 1893, il commence l’aménagement de son célèbre « jardin d’eau » avec l’étang aux nymphéas.

 

La série

Claude Monet décrivait son projet des Nymphéas à un journaliste en 1897 :
« Qu’on se figure une pièce circulaire dont la cimaise, en dessous de la plinthe d’appui, serait entièrement occupée par un horizon d’eau taché de ces végétations, des parois d’une transparence tour à tour verdie et mauvée, le calme et le silence de l’eau morte reflétant des floraisons étalées ; les tons sont imprécis, délicieusement nuancées, d’une délicatesse de songe ».

Sa vision devint réalité une trentaine d’années plus tard quand en 1927, un an après sa mort, deux immenses salles ovales consacrées à ses Nymphéas furent ouvertes à l‘Orangerie.

Les immenses murs de l’Orangerie accueillent 22 tableaux de 2 mètres de hauteur pour 4,3 ou 6 mètres de largeur, formant huit panneaux encerclant  deux pièces.

Monet les réalisa dans son atelier de Giverny où il les posa sur des chevalets munis de roulettes de façon à les déplacer facilement pour y travailler et les positionner côte à côte au besoin.

19 autres tableaux non sélectionnés pour l’Orangerie furent vendus individuellement.

Ce projet remonte à 1897, quand Monet eut l’idée d’une « grande décoration ». Le projet prit forme lorsque l’artiste offrit deux de ses Nymphéas à l’État français à la fin de la première guerre mondiale.
Au lendemain de l’armistice, le 12 novembre 1918, Monet écrit une lettre à son ami Georges Clemenceau :
« Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la Victoire, et je viens vous demander de les offrir à l’État par votre intermédiaire. C’est peu de choses, mais c’est la seule manière que j’ai de prendre part à la Victoire. »

Après de longues négociations, l’importance de la donation augmenta et il fut décidé que l’Orangerie bâtie à l’origine aux Tuileries pour abriter les orangers du jardin, constituerait un lieu adéquat.

L’architecte Camille Lefèvre modifia les murs du bâtiment pour accrocher les tableaux par groupe de deux, trois ou quatre, de manière à créer l’illusion d’une étendue d’eau et de plantes continue.

Les Nymphéas de l’Orangerie
Monet légua à la l’état français quatorze grandes toiles de ses Nymphéas qui furent placées en 1927, selon les plans du peintre, dans deux salles ovales du Musée de l’Orangerie dans le jardin des Tuileries.

Le peintre français, graveur, illustrateur et décorateur de théâtre, André Masson (1896-1920) qualifie les compositions de l’Orangerie, de « Sixtine de l’impressionnisme ». Elles représentent l’aboutissement de l’œuvre du peintre.

 


Composition

Ce sont huit compositions différentes qui se répondent l’une l’autre.
Mises bout à bout elles forment un décor de 93 mètres de long.

Monet traite largement toute les surfaces des toiles sans distinguer de plan.

Les toiles offrent le même point de vue plongeant sur l’eau.

Dans chacun de ses Nymphéas l’horizon est repoussé au bord du cadre.
La surface de l’eau s’arroge la totalité de l’espace pictural.
Il n’y a ni terre, ni horizon, ni ciel.

Dans l’Orangerie, l’ensemble instaure un espace profond où, comme Monet l’évoqua avant sa réalisation, « les nerfs surmenés par le travail se seraient détendus là, selon l‘exemple reposant de ces eaux stagnantes. »

Les saules pleureurs asymétriques, tronqués, contrarient la stabilité.
Ils segmentent et animent l’étendue vibrante de bleu et de rose.
Monet peint les reflets à la surface de l’eau, rythmée par les troncs des saules et les nymphéas.

L’entrelacs subtil des bleus, verts, violets et lavande, associé à l’absence d’horizon, crée l’illusion d’une immersion complète dans le jardin d’eau.

Monet se réfère aux travaux de Chevreul sur les couleurs et leur perception.
Il divise les touches et juxtapose les couleurs complémentaires, comme le jaune et le violet.
Les touches noient les couleurs et la lumière et recomposent l’étendue d’eau sans rivages ni horizon.

Monet peint une réalité « abstraite ».

Le peintre entraine le regardant au milieu de l’eau et le plonge dans la contemplation.

 

Analyse

 I- Le projet

En 1899, Monet représente pour la première fois le sujet des nymphéas : Les nymphéas blancs-1899. Puis le Pont japonais -1899

Pour le projet de l’Orangerie, Monet constitua les Nymphéas dont il avait réalisé plus de 250 tableaux à partir de 1903.
Monet s’inspire du jardin d’eau de sa maison de Giverny.

Quand le peinte emménagea en 1883, à Giverny, le plan d’eau était une mare.
Dix ans plus tard, Monet commença à le transformer pour devenir l’étang aujourd’hui célèbre. Il l’agrémente d’un pont japonais qui fit, lui aussi le sujet d’une de ses séries.

Monet s’est construit un paysage réunissant tous ses thèmes de prédilection, le jardin, les fleurs, le désordre végétal, les arbres, l’eau et le ciel.

L’étang aux nymphéas devient progressivement le thème dominant de son œuvre pour finir par être son thème exclusif à partir de 1915.

Du milieu des années 90 à  la fin de sa vie, en 1926, Monet peindra inlassablement des nénuphars, qu’il préfère appeler par leur nom scientifique,
les  « nymphéas ».

Monet : « la brise qui fraichit, le grain qui menace et qui tombe, le vent qui souffle et s’abat brusquement, la lumière qui décroît et qui renait, autant de causes, insaisissables pour l’œil des profanes, qui transforment la teinte et défigurent les plans d’eau. »


II-
 Les Nymphéas de l’Orangerie, perception…

 Ce cycle de toiles ne correspond à aucune représentation classique de paysage.

Ces étendues vastes et denses, ondoyantes et scintillantes, absorbent totalement le regardant.

A/ Le regardant est immergé de façon absolue et extraordinaire dans la richesse chromatique du monde de Monet.

Le peintre efface tout indice du monde temporel et géographique.

Monet « dilue » son sujet, il représente la nature variée et changeante.
Il exprime ses sensations, la nature l’absorbe et il s’absorbe en elle.

Les Nymphéas s’imposent avec délicatesse entre le sublime contemplatif du peintre de paysage romantique du début du XIXe, Caspar David Friedrich et les aplats de couleur de l’expressionisme abstrait américain du milieu du XXe, Mark Rothko.
La chapelle construite à Houston- au Texas, par Dominique et John de Ménil pour abriter les immenses tableaux abstraits de Mark Rothko établit une correspondance avec l’atmosphère enveloppante crée par les toiles de Monet dans l’espace de l’Orangerie.

L’expressionisme abstrait et le nouveau climat esthétique des années 1950 contribuèrent peut-être à modifier la perception par le regardant de cette
« grande décoration » que sont les Nymphéas qui ne connut qu’un succès limité lors de son inauguration en 1927.

Monet entame sa série pour l’Orangerie au début de la Première Guerre mondiale. Le peintre a l’ambition de réaliser un œuvre de paix dans un monde en guerre.

B/ Monet installe très tôt dans ses toiles un dialogue entre l’eau et la lumière.

Les compositions de l’Orangerie sont l’aboutissement des recherches de Monet dans ce domaine.

Monet remet constamment en cause ses compositions. Ça ne va jamais, il recommence tout le temps. Monet conserva et modifia les compositions de l’Orangerie chez lui jusqu’à sa mort.

1-B Monet est un créatif mélancolique.

Toute son œuvre exprime sa fascination pour l’eau.
Monet s’invente un territoire, l’eau, où la recherche des transformations de la lumière est possible.

Par l’intermédiaire de l’eau il se distancie du réel.

Monet fragmente sa touche à l’extrême pour exprimer les reflets diffus.
Avec l’eau et ses reflets lumineux, Monet montre quelque chose qui ne s’exprime pas par la parole.

« Les nymphéas, ces grands poèmes de l’eau » disait Vuillard.

Les compositions de l’Orangerie sont l’aboutissement de cette recherche picturale.

A l’eau « éternelle » de Poussin, de le Lorrain ou de Corot, Monet oppose une eau dynamique.

Plutôt que de reproduire les reflets miroitants, Monet invente ses reflets dans l’eau.

Il cherche à impulser du mouvement dans ses compositions avec une eau vivante, vibrante de reflets imaginés, une eau de cinéma.

 2-B Tout au long de son œuvre, Monet multiplie les états de l’eau.

L’eau envahit sa peinture.

L’eau solide, la neige La pie -1868-69, la glace la débâcle -1880 ;
Liquide, la mer Impression, soleil levant -1872 ;
Vaporeuse avec la série de la Gare saint Lazare -1877 ;
Brumeuse avec la série de la Cathédrale de Rouen -1894.

Le territoire de l’eau est le territoire de sa recherche.

Monet décompose l’eau à la recherche de plénitude et d’homogénéité.

Cette multiplication des états de l’eau permet à Monet de dialoguer avec le réel.

L’eau est la part du peintre, un travail sur trente années qui aboutit à la déréalisation des nymphéas.

 C/    Monet et les séries.

Monet retranscrit les aspects transitoires et fugitifs de la nature.

 La pie -1868-69 bien avant les séries témoigne de cet intérêt.

Dans ses toiles Monet travaille les contrastes par petites touches fractionnées et rapides. Il exprime ainsi les effets de vibrations de l’eau et de la lumière.

Que ce soit sur la neige ou sur l’eau, Régates à Argenteuil -1872, Monet se préoccupe davantage de la perception plus tôt que de la retranscription détaillée.
Impression, soleil levant -1872.
Monet et les impressionnistes expriment la nature dans ce qu’elle a de mouvant et de transitoire.
Les impressionnistes poussent la notion de point de vue jusqu’à son impression.

C’est ainsi que sont nées les séries, pour rendre l’éphémère, l’instantané, l’aspect changeant de la lumière au long de la journée.

Le terme de « série » a été formulé par Monet dans sa correspondance et le titre choisi pour le catalogue de l’exposition chez Durand-Ruel en 1891 :
« Série des Meules -1890-1891 ».

A l’origine des séries, l’observation des variations de la lumière avec le support de l’eau.
Qu’on observe dans les nombreuses vues de la Gare Saint-Lazare -1877, de la falaise d’Étretat -1883, des rochers à Belle-Île -1886, de la Vallée de la Creuse -1889.

Après la série des Meules -1890-91, Monet peint la série de La cathédrale de Rouen -1893-94. Monet écrit à l’épouse de Renoir, Alice Hoschedé :
« Chaque jour j’ajoute et surprends quelque chose que je n’avais pas encore su voir… Je lutte et je travaille… lâchant, reprenant mes toiles au fur et à  mesure que le temps change… J’en viendrai à bout de cette cathédrale, mais il me faut beaucoup de temps. Ce n’est qu’à force de travail que j’arriverai à ce que je veux… Plus que jamais les choses faciles me dégoûtent… Je deviens d’une lenteur à travailler qui me désespère, mais plus je vais, plus je vois qu’il faut beaucoup de temps pour arriver à ce que je cherche : l’instantanéité »

III –  L’influence de la photographie et du japonisme

La photographie fait son apparition dans les années 1830. En 1837, louis Daguerre met au point le daguerréotype. En 1939, Hyppolyte Bayard produit des images positives directes sur papier. William Henry Fox met au point le négatif-positif. La photographie privilégie ce que l’on peut désigner comme une impression de réalité.

La photographie occupe les débats dans les années 1820-30.

Baudelaire cantonne la photo à des fonctions de reproduction et d’archives :
« Qu’elle sauve de l’oubli les ruines pendantes, les livres, les estampes et les manuscrits que le temps dévore, les choses précieuses dont la forme va disparaitre et qui demandent une place dans les archives de notre mémoire, elle sera remerciée et applaudie.
Mais s’il lui est permis d’empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que l’homme y ajoute de son âme, alors malheur à nous ! »

Le japonisme
C’est l’influence japonaise dans l’art occidental observé dans la seconde moitié du XIXe. Les arts d’Extrême-Orient avaient déjà connu un incontestable succès en Occident dès le XVIIIe, mais ce qui donne toute son importance au Japonisme de la seconde moitié du XIXe, c’est qu’il a dépassé le stade de l’exotisme et qu’il a participé pleinement à l’élaboration de l’art dit moderne.
Une inspiration mais aussi une confirmation.

La photographie et le japonisme se répercutent dans les toiles du XIXe en renouvelant les cadrages et les points de vue.

 

Conclusion

Le groupe des impressionnistes disparait en 1886

Sisley et Monet restent impressionnistes alors que Camille Pissarro, Renoir et Cézanne évoluent chacun vers leur style propre.

La série des Nymphéas, grande œuvre de la vieillesse de Monet, est l’une des sources de l’abstraction au XXe.

Monet laisse une œuvre considérable, plus de 2000 toiles répertoriées.

La propriété de Giverny est aujourd’hui un lieu ouvert au public.
Elle est gérée et entretenue par la Fondation Claude Monet.

L’Orangerie rouvrit en 2006 après six années de rénovation, durant lesquelles un second niveau construit dans les années 1960 fut supprimé, de façon à pouvoir admirer les Nymphéas à la lumière naturelle, comme prévu au départ.

Actuellement, les compositions sont collées sur les murs de deux salles ovales et éclairées par la lumière du jour, selon les directives de Monet.