Les blanches falaises de Rügen – 1818-19 Caspar David Friedrich

Caspar David Friedrich (1774-1840)

 

Les blanches falaises de Rügen

1818-1819

Huile sur toile

Dim 90 x 70 cm

Conservé au Museum Oskar Reinhart « Am Stadtgarten » à Winterthour en Suisse

 

Le peintre

Caspar David Friedrich fut le chef de file du romantisme allemand. Célèbre pour avoir donné à la peinture de paysage ses lettres de noblesse.

Sa contribution à l’art du paysage en Allemagne est comparable à celle de Constable et de Turner en Angleterre.

Friedrich est contemporain d’Ingres et de Turner. Il est né l’année où Goethe publie les souffrances du jeune Werther

Né à une époque où le nord de l’Allemagne appartenait encore à la Suède, il se sent autant suédois qu’allemand.
Il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Copenhague de 1794 à 1798.
En 1798, Friedrich s’établit à Dresde où il fit l’essentiel de sa carrière.
Il renonce délibérément au voyage en Italie.
Friedrich oppose le charme du paysage germanique et du gothique aux lumières et aux ruines classiques.
Au fil du temps, les éléments symboliques deviennent de plus en plus nombreux dans ses paysages.

La carrière du peintre bascule en 1809, la critique incendie son Retable de Tretschen, et met le peintre dans la lumière.
Friedrich vend des toiles au prince de Danemark et au tsar de Russie.

Puis, les mécènes se lassent des montagnes émergeant des brumes, des personnages de dos, plongés dans une profonde mélancolie qui peuples les toiles du peintre.

L’artiste tombe dans l’oubli.

 

Le tableau

A la surprise générale, Friedrich se maria en 1818, et ce tableau célèbre l’union du couple.

Les lieux représentés sont une vue depuis des falaises de craie de Stubbenkammer sur l’île de Rügen dans le parc national de Jasmund.

Le point de vue était célèbre au temps du peintre.
Le peintre et son épouse Caroline choisirent ce lieu pour leur voyage de noces.
Ils sont accompagnés par le frère et la belle-sœur de Friedrich.

 

Composition

Un premier plan encadré par la végétation

Deux troncs d’arbres s’élèvent de part et d’autre de la toile, leur branchage se rejoignent en partie haute formant une arcade de verdure qui occupe un tiers du tableau.

Trois personnages sont représentés contemplant le paysage.

Appuyée sur le tronc à gauche de la toile, une femme en habit de ville, une redingote et une jupe rouge, est représentée de profil et assise, son bras droit tendu devant elle.
Appuyé sur le tronc à droite de la toile, un homme se tient debout, les bras croisés le regardant le voit de dos. L’homme porte une tenue traditionnelle allemande verte et son regard est tourné vers la mer et le lointain.
Au centre, allongé dans l’herbe, penché vers le vide, le peintre s’est représenté en costume de ville bleu, son chapeau est posé sur le sol, son regard est fixé sur l’abîme.

Friedrich a construit son tableau à partir d’un axe symétrique.

Les arbres sont comme une fenêtre ouverte sur une mer infinie, diluée dans des nuances de bleus et de mauves.

La femme serait Caroline, la femme du peintre.
L’homme en tenue allemande est un frère du peintre.

Cette scène qui invite à la contemplation est chargée de significations symboliques :

Les couleurs des vêtements représentent les vertus
Le bleu renvoie à la foie (croyance) le rouge à l’amour et le vert à l’espérance.
Le personnage portant le costume traditionnel allemand vert, regarde l’horizon comme symbole d’espérance.

Les trois branches qui s’entremêlent, symbolisent l’amour du couple.

La présence des voiles est allégorique, elles sont les âmes en partance pour l’éternité. Elles signifient la traversée de l’homme vers le royaume des dieux.

Le regard du peintre contemplant l’abîme est le symbole de la mort.

La simplicité est la volonté du peintre.
Sa touche est léchée, pas de surcharge.
L’unité des couleurs apporte une grande élégance au tableau.

 La composition est sobre, chaque élément est à sa place.
La mer est calme, statique, tel un désert.
Friedrich solidifie l’eau en mille reflets.
Deux voiles blanches sont plantées sur l’eau, piégées.

La toile dégage une sorte de pureté , un sentiment de quiétude.

La composition repose sur l’équilibre entre les souches d’arbres du premier plan, la géométrie des falaises et l’immensité de la mer.

 


Analyse

En Allemagne, Friedrich assiste à la naissance de la nouvelle esthétique romantique qui s’apprête à déferler sur le reste de l’Europe.
Refusant de se concilier avec les exigences esthétiques purement académiques, mais souhaitant accorder une place à l’humain dans ses œuvres, Friedrich représente dans ses toiles les personnages toujours mi-oubliés, mi-effacés, comme si l’homme ne pouvait que se sentir minuscule quand il cherche à se confronter au paysage.
Friedrich l’exprime en représentant ses personnages de dos.

A/  Le peintre évoque avec ce tableau son rapport avec la mort et la fragilité de la vie.

Friedrich croyait en l’omniprésence du sublime dans la nature, forme de panthéisme ancré dans la tradition scandinave, où la terre était dotée de spiritualité et la nature s’apparentait à une manifestation divine.

Pour Friedrich, l’étude de la nature était un acte pieu et représenter un paysage revêtait une profonde signification religieuse.

Friedrich était un homme solitaire dont la mélancolie s’expliquait par une tragédie survenue dans son enfance : son frère avait perdu la vie en tentant de le sauver alors qu’ils patinaient sur la mer Baltique gelée.

Friedrich a réalisé ce tableau alors que le romantisme battait son plein au nord de l’Europe.

Ses paysages chargés d’émotion telle La croix sur la montagne -1808, insistent sur la dimension mélancolique de la nature.

Le peintre débutait souvent ses œuvres après une longue période de méditation silencieuse, attendant qu’une image apparaisse devant ce qu’il appelait « son œil spirituel ».
Quand l’image était nette, il la peignait sur la toile, à l’aide d’une palette sombre comme dans L’Abbaye dans un bois -1809, ou d’une délicate harmonie de couleurs comme celle des Blanches falaises de Rügen.

 Rügen est la plus grande île d’Allemagne, située dans la mer Baltique, non loin de Greifswald, ville natale de l’artiste.
L’île célèbre pour sa beauté, aurait été occupée par des héros ossianiques.

Pour Friedrich, c’est le pays de l’âme, où il se sent en communion avec la nature et en harmonie avec le sublime.
The Poems of Ossian, publiés dans les années 1760 par James Macpherson sont présentés comme d’anciens contes gaéliques écossais et confèrent un vigoureux élan au mouvement romantique.
Au XIXe, le mythe d’Ossian est l’un des principaux thèmes préromantiques où se manifeste une dimension onirique.
Il inspire les peintres scandinaves, allemands et français.

B/ Le romantisme est aussi une nouvelle manière de peindre, un souci de précision.

Dans ce tableau Friedrich mêle lyrisme et intériorité.
L’univers de ce tableau ouvre sur l’infini.
Son traitement impressionniste de la mer, avec ses dégradés de couleurs soignés, reflètent l’infini du ciel, lui-même image d’éternité.
Le regard traverse la toile et se perd dans le lointain.

Les Blanches falaises de Rügen est un chef d’œuvre du romantisme allemand.

 Friedrich possédait une connaissance intime de la nature et lui resta fidèle.

Il en aborda des aspects nouveaux dans les arts visuels, tels un sol couvert de neige, la glace La mer de glace -1823-24, une mer qui s’étend à l’infini Blanches falaises de Rügen, ou d’étranges effets de lumière La croix sur la montagne –1808.
Ses visions des majestueuses forêts du nord était des plus germaniques.

Friedrich fut explicitement nationaliste et, malgré des décrets royaux interdisant cette pratique, il peignit fréquemment des hommes portant l’habit allemand traditionnel, comme dans les Blanches falaises de Rügen.

Il peint aussi des paysages ravagés comme L’Abbaye dans un bois-1809 qui symbolise le triste état de la nation allemande durant les guerres napoléoniennes.

Sa Croix sur la montagne -1808 Sa croix domine l’astre solaire,  est un hymne à la nuit qui s’avance et à la solitude.
Friedrich a une passion démesurée pour les nuits du Nord.

C/ Ce qui compte dans ce tableau c’est la symbolique que génère la composition.

Friedrich compose une réponse émotionnelle au paysage qu’il a contemplé puis fixé sur sa toile.

L’ensemble des personnages représentés tournent le dos et forcent le regardant à regarder dans la même direction qu’eux.

Les hommes sont immobiles et pensifs, seule la femme qui tend son bras, bouge et anime le tableau.

Tous les éléments de la composition ont un intense pouvoir suggestif.

C’est au regardant à laisser vagabonder son imaginaire, au regardant de s’imaginer les pensées qui peuvent occuper l’esprit des personnages.

D/ Le romantisme est le rejet de la raison au profit du sentiment.

Le courant romantique a irrigué tous les arts, la littérature, la musique et la peinture.

Le romantisme est l’expression d’une révolte d’une sensibilité personnelle contre l’étau d’un ordre établit par tous.

L’incertitude de la destinée est  romantique.
Lamartine l’exprime : « Mes yeux dans l’univers n’ont vu qu’un grand peut-être »

Le romantisme traduit les sentiments humains les plus intimes, l’amour, la mort, la peur, le vertige du tragique en les confrontant à l’immensité d’une nature grouillante de vie.

Dans cette mouvance allemande entrainée par Goethe, Friedrich est un cas isolé.
Oublié après sa mort, ce sont les surréalistes qui l’ont sorti du néant.

 

Conclusion

Le romantisme est un mouvement européen qui se manifeste dans les lettres dès la fin du XVIIIe en Angleterre et en Allemagne, puis au XIXe en France, en Italie et en Espagne.

Il cherche l’évasion dans le rêve, dans l’exotisme ou le passé, il exalte le goût du mystère et du fantastique.

En France les deux peintres les plus célèbres du romantisme sont Delacroix et Géricault, surtout célèbres pour leurs peintures historiques.
En Angleterre c’est Turner, en Espagne Goya et en Allemagne Friedrich.

Les écrivains français sont chateaubriand, Stendhal, Hugo, Lamartine et Balzac.
Les musiciens sont allemands italiens et français, Beethoven, Rossini, Schuman, Berlioz

Friedrich n’a ni le génie de Turner, ni celui de Delacroix, il possède une grâce qui n’appartient qu’à lui dans cette façon qu’il a de fêter la lumière qu’elle soit naissante ou déclinante, de proposer une métaphore de l’infini sans jamais tenter de l’imposer et surtout de célébrer la solitude fascinante de l’être humain face à son destin.

Friedrich écrit : « Le peintre ne doit pas seulement peindre ce qu’il voit devant lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. S’il ne voit rien en lui, qu’il renonce à peindre ce qu’il voit devant lui ! ».

Tandis que Turner ou Delacroix ont connu le succès de leur vivant, l’œuvre de Friedrich a été reconnue bien après sa mort, au XXe.

Friedrich  est mort dans l’indifférence.

Aujourd’hui il est considéré comme le plus influent des peintres romantiques allemands.

Ses tableaux font désormais partie du patrimoine germanique et sont conservés pour la plupart dans des musées allemands.