L’enseigne de Gersaint – 1721 J.A. Watteau

 

Jean-Antoine Watteau (1684-1721)

 

 L’enseigne de Gersaint

 Vers 1721

Huile sur toile

Dim 163 x 308 cm

 

Conservé à Berlin au Palais de Charlottenbourg, Allemagne

 

Le peintre

Watteau est né à Valencienne.
Il commence son apprentissage vers l’âge de dix ans.
Très vite il est à Paris et travaille chez un fabricant de peintures sur le pont Notre-Dame.
Watteau rencontre des peintres du nord. Trois artistes l’ont particulièrement influencé : Willem Kalf (Rotterdam, 1819-1693), Philips Wouwerman (Harlem, 1619-1668) et David Teniers (Anvers, 1610-1690).
Puis il rencontre Claude Gillot peintre, dessinateur, graveur d’une grande fantaisie. Le peintre invite Watteau à loger chez lui.
C’est chez Gillot que Watteau prend le goût des scènes de théâtre et des fantaisies galantes.
Il s’inspire aussi de la peinture vénitienne.
Sa carrière est brève, une quinzaine d’années.
Il a connu le succès de son vivant. Les princes d’Europe et les collectionneurs privés se disputent ses œuvres.
Il laissera des milliers de dessins et plus de deux cents tableaux.
Son état de santé est précaire. Il meurt dans les bras de Gersaint, peut-être des suites de la tuberculose, à l’âge de 36 ans.

 

Le tableau

Ce tableau est réalisé pour le marchand d’œuvres d’art et d’estampes parisien Edmé-François Gersaint (1694-1750), chez qui le peintre est en convalescence de la tuberculose.

Le tableau est destiné à signaler aux passants la boutique d’Edmé-François Gersaint au numéro 35, sur le pont Notre-Dame.
Ce pont de marchands est l’un des plus anciens ponts de pierre de Paris, reliant l’île de la Cité à la rive droite de la Seine. A partir de 1718, les boutiques du pont sont en majorité des boutiques de peintres.

L’enseigne de trois mètres de long, ne fut exposée que quinze jours et fit l’admiration des passants.

Le tableau est découpé et vendu.
À l’origine plus large et cintrée, l’œuvre est vendue en deux parties et prend une forme rectangulaire, obtenue en coupant deux bandes sur le côté qui sont placées en haut de la toile en exécutant les raccords nécessaires.

En 1744, le tableau est acquis par Frédéric le Grand de Prusse.

Ce tableau est conservé depuis le XVIIIe à Berlin.

En 1899, la restauration de l’œuvre réunit les deux parties sur une seule toile en insérant une bande verticale de deux centimètres de large pour faire coïncider les deux panneaux.

Ce tableau est le chef-d’œuvre de Watteau.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 1951, une exposition présentant les chefs d’œuvres des musées de Berlin au Petit Palais permet aux parisiens de revoir l’œuvre. Cette exposition dont la « star » est L’enseigne de Gersaint a beaucoup de succès.
Un premier signe de réconciliation européenne…

 

Composition

Ce tableau est une enseigne.

Sa composition fait la publicité de la boutique qu’il représente. Contrairement à ce que montre l’enseigne, la boutique de Gersaint est exigüe.

C’est un double panneau.
Watteau représente l’intérieur de la boutique du marchand Gersaint avec exactitude et précision. On voit l’aristocratie venir faire ses achats.

La composition tient compte de l’articulation du tableau en deux panneaux.

Trois plans :
Un premier plan : le pavé de la rue et le seuil de la boutique sur lequel un chien est couché -à droite du tableau et un ballot de paille -à gauche du tableau, introduit
Le second plan : l’intérieur très animé d’un magasin d’art richement achalandé.
Un groupe de personnages dynamiques : sept clients, des hommes et des femmes de la haute société échangent leurs points de vue sur les tableaux exposés au regard et au jugement ; quatre employés et une jeune vendeuse s’affairent – deux à gauche de la toile rangent des tableaux dans une caisse, un quatrième vante le tableau exposé sur un chevalet.
Le troisième plan est le fond de la boutique où les œuvres dans des cadres des bois doré recouvrent entièrement les murs. Ce sont des œuvres vénitiennes et flamandes du XVIe et XVIIe.
Le coin inferieur droit du tableau est marqué par un chien qui s’épuce au seuil du magasin.
Le coin inférieur gauche du tableau est marqué par ballot de paille qui a roulé sur les pavés et un porte-faix qui s’appuie sur une canne.

 Les clients examinent les œuvres.
Un immense tableau posé sur un chevalet participe à la profondeur de la toile. Un couple l’observe avec attention, l’homme s’est agenouillé, la femme inspecte l’œuvre à l’aide de son face-à-main.
Trois autres clients admirent un tableau que leur montre la jeune vendeuse assise derrière le comptoir de chêne.
Sur la gauche du tableau un jeune homme de face et une jeune femme de dos entrent dans la boutique et sont distraient par l’employé qui range un portrait de Louis XIV, récemment décédé, dans une caisse.

Un comptoir de chêne sur la droite du tableau emmène une ligne de force vers la porte-fenêtre.
Une autre ligne de force part de la gauche du tableau matérialisée par un second groupe de personnages.
Ces deux lignes marquent la profondeur de la boutique en se rejoignant sur la porte-fenêtre. Cependant elles ont des points de fuite différents. A l’origine le tableau était en deux panneaux, raison pour laquelle il y a deux points de vue.

Cette porte-fenêtre dans l’axe du tableau, sur le mur du fond, laisse passer la lumière et projette son reflet dans la pièce.
Elle apporte la continuité qui rassemble les deux panneaux et réunit les perspectives des deux parties, celle de gauche différente de celle de droite.

Le jeu des obliques aère la composition, repousse les murs et font paraitre la boutique de Gersaint plus grande qu’elle ne l’était.

Il en est de même pour la lumière.

Les différences d’éclairage selon que l’on observe la droite ou la gauche du tableau sont dues à la représentation sur deux panneaux.

Sur la partie gauche du tableau, elle arrive par le côté gauche alors que sur la partie droite du tableau la lumière est frontale.

A gauche, comme à droite, la lumière participe à l’animation du tableau
La lumière met en valeur les habits de satin de l’élégante clientèle.
Rasante au niveau du sol, la lumière signifie la profondeur de la toile.
Puissante, la lumière floute les œuvres exposées sur les murs et fait briller les cadres dorés.

La lumière implique ainsi le regardant qui doit s’approcher, entrer dans la toile pour deviner les chefs d’œuvres esquissés.
Un portait de van Dick, un autre d’Antonio Moro. Un paysage de van Ruysdael, une nature morte de Jan Fyt, une scène champêtre de Potter tout en haut. Une Léda italienne au-dessus de la vendeuse, entourée par Rubens et van Dick.

Le portrait de Louis XIV peint par Le Brun prêt à être emballé est une référence à la boutique nommée « Au grand monarque ».

 

Analyse

I – Le style Rococo interprété par Watteau

Le peintre français le plus souvent associé au style rococo est J.A. Watteau, dont les fêtes galantes dominent le début du siècle.

Le peintre exerça une influence considérable sur ses successeurs.

François Boucher incarne l’épanouissement du rococo arrivé à maturité.

Le courant des coloristes est marqué par Antoine Watteau.

Dans cette œuvre la dernière répertoriée, Watteau délaisse les fêtes galantes et représente l’intérieur d’une boutique, fréquentée par des aristocrates et des collectionneurs.

La juxtaposition des nus aux murs avec les clientes habillées préserve le parfum d’érotisme pour lequel Watteau était connu.

On décèle également le bonheur et la facilité de vivre des fêtes galantes, caractéristiques des tableaux de Watteau et du XVIIIe français.

Les réactions curieuses, indifférentes ou mélancoliques des clients illustrent le talent du peintre à exprimer la subtilité des émotions à travers la diversité des attitudes.

Au XVIIIe, la morale a changé et le luxe contribue à la richesse de l’état.
On se passionne pour le théâtre.
La comtesse de Verrue dépense tout son patrimoine dans le luxe, elle est un modèle social.


II – Dans ce tableau, Watteau fait l’apologie de la couleur, du luxe et du commerce.

Watteau représente une scène de genre où l’espace marchand se définit comme un petit théâtre avec un environnement de reproductions de tableaux célèbres, flamands et vénitiens.

Les petites virgules du blanc des chemises dynamitent la toile.

La lumière s’en donne à cœur joie avec les satins des robes aristocratiques.

Les dames arborent des coiffes, les hommes portent des perruques.

Les clients du magasin sont des collectionneurs et des riches marchands.

On remarque le chien qui s’épuce au seuil de la boutique,  à l’extrême droite du tableau. Watteau a pris ce trait de réalisme dans une composition de Rubens.

 

III -Ce tableau est très ambitieux,

 A/ parce qu’il reflète l’esprit français.

 Une nourriture spirituelle pour le regardant.

 Cette œuvre crée un sentiment d’humanité profonde.

 Ce tableau est un exemple de l’art et de l’âme française.

Ce qui compte dans ce tableau et qui en fait sa valeur,  c’est la présence d’un monde dans un tableau.
Le monde du bonheur de vivre, de l’histoire, des mythes et des légendes.

Ce sont tous ces univers que nous livrent ces personnages souriants.

Watteau propose de contempler la vie avec le regard que les dieux ont pour les hommes.
L’embarquement pour Cythère peint en 1717 répond aussi, à cette ambition.

Les allemands font une projection identitaire sur  L’enseigne de Gersaint.
Ce tableau résume la France,  telle que les allemands se la représentent.

B/ parce que Watteau propose une réflexion sur l’entrée du tableau dans l’âge de la marchandise et de la consommation.

 A l’époque de Watteau, le commerce est interdit aux peintres de l’Académie royale qui sont pensionnés.

En représentant l’intérieur d’un magasin de marchand de tableaux, Watteau remet en cause ce partage traditionnel. Sachant qu’il est lui-même peintre de l’Académie.

 Les tableaux exposés sur les murs sont à vendre comme des biens de luxe et de mode.

Durant cette période, Gersaint innove avec des pratiques commerciales modernes. Il introduit en France les ventes aux enchères, déjà pratiquées en Hollande. Les aristocrates, les amateurs et surtout les marchands s’y pressent. Gersaint dote ses ventes d’un efficace appareil publicitaire, avec annonces et comptes rendus, dans la presse périodique. En inventant le catalogue raisonné des ventes aux enchères, Gersaint participe à la mutation des mondes de l’art parisien du XVIIIe.

Le portrait de Louis XIV peint par le Brun rangé dans une caisse cloutée, descend au rang de marchandise.
Alors, qu’il était considéré à l’époque, comme la forme la plus achevée de la représentation.
On remarque inscrit sur la caisse iiiX, comme l’étaient les caisses et les ballots à cette époque.

Deux figures de dos, dont l’une est agenouillée, sont penchées sur une œuvre qu’ils observent avec passion en vue de l’acheter.

Watteau met en scène le déclin d’un règne, celui du tableau comme représentation et nous sensibilise à l’émergence d’un nouveau marché de l’art qui considère le tableau comme une marchandise.

C/ Ce tableau est son « testament artistique »

L’enseigne de Gersaint est son dernier tableau, il n’a plus que quelques mois à vivre.

C’est son œuvre la plus accomplie, son chef d’œuvre.

Watteau ne signait pas ses tableaux parce qu’il ne les vendait qu’à un très petit nombre de collectionneurs qu’il connaissait bien.

Il faut attendre le début des années 1830 pour que Chardin impose une nouvelle conception du tableau qui devient une « griffe ».

 

Conclusion

Watteau était un grand dessinateur. Il remplissait des carnets de dessins qu’il garda sa vie durant, choisissant dans ses recueils les figures qui lui convenaient le mieux. Il en formait des groupes le plus souvent en conséquence d’un fond ou d’un paysage qu’il avait préparé. Et si une figure lui plaisait, il la répétait d’un tableau à l’autre.

Comme tous ses contemporains, il estimait que ses dessins, aussi satisfait qu’il en soit, n’étaient que des moyens et non des œuvres achevées.

Watteau peinait à peindre ses tableaux alors qu’il avait de la facilité à dessiner.

Watteau pensait qu’il survivrait grâce à ses tableaux.
Mort jeune il a été copié par de nombreux suiveurs.

Son œuvre est enrobée d’une douce mélancolie, d’une grâce et d’un sentiment de futilité de la vie.
Cet esprit, cette ambiguïté, qui caractérisent les tableaux de Watteau n’appartiennent qu’à lui.

Watteau ne signait pas ses toiles.
Les experts ne s’accordent pas. L’historien d’art, Jean Ferré n’attribue à Watteau que 39 toiles de manière indiscutable et juge une centaine, douteuses. (Source Wikipédia)