L’embarquement de la reine de Saba – 1648 Le Lorrain

Claude Gellée dit Le Lorrain (1605/1606-1682)

 

L’embarquement de la Reine de Saba

1648

Huile sur toile
Dim 149,1 x 196,7 cm

Conservé à la National Gallery à Londres

 

Le peintre

Claude Gellée est né en Lorraine vers 1600. lI passe son enfance dans un petit village vosgien sur la Moselle, près de Charmes.
Claude Gellée devient apprenti pâtissier et suit à 14 ans un groupe de pâtissiers se rendant à Rome. Il est engagé comme domestique par le peintre maniériste Agostino Tassi, devient son assistant, puis son élève.
Il achève sa formation auprès de Tassi à Rome de 1623 à 1625.
Sa carrière le rattache à l’école romaine.
Il est retourné en Lorraine pour un seul bref séjour en 1625.
Claude Gellée  devient membre de l’académie de Saint Luc de Rome en 1633.
À partir de 1634, sa carrière est lancée, il devient célèbre et respecté à Rome, l’aristocratie italienne lui passe de nombreuses commandes.
À partir de 1635, il exécute des commandes pour le pape Urbain VIII.
Il se spécialise dans la peinture de paysage qu’il traite avec une grande maîtrise de la perspective et de la lumière.
Il crée son style propre, caractérisé par des compositions harmonieuses et poétiques qui lui valent le surnom de « Le Lorrain »
En 1643, il devient membre de l’Académie pontificale des Beaux-arts et des Lettres des Virtuoses au Panthéon.
Claude Gellée meurt en 1682.
En 1836 sa tombe est transférée dans l’église Saint-Louis-des-Français de Rome.

 

Le tableau

Frédéric-Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon et prince de Sedan, général de l’armée papale, commande à Le Lorrain de peindre à la fois L’embarquement de la Reine de Saba  et Paysage avec le mariage d’Isaac et Rebecca en 1647. Les deux tableaux ont été achevé l’année suivante.
Les tableaux se complètent mutuellement.

L’embarquement est une scène de port à l’aube et le mariage se déroule à l’intérieur des terres, à côté d’une rivière, dans l’après-midi.

Livrés au duc en 1648, les deux tableaux sont ensuite transmis à plusieurs propriétaires avant d’être acquis par John Julius Angerstein en 1794.

Les deux tableaux ont appartenu à la National Gallery dès son ouverture en 1824, achetés avec la collection Angerstein.

Restauré en 1989, L’embarquement de la Reine de Saba a retrouvé sa splendeur originale.

 

Composition

Le sujet est l’embarquement de la reine de Saba, inspiré du Livre des Rois (1 Rois 10, 1-13).

Cette toile représente le départ de la Reine de Saba pour Jérusalem, où elle doit rencontrer le roi Salomon.

Le Lorrain  représente  un paysage imaginaire, un port orné d’édifices antiques et modernes.

Au premier plan à gauche, la reine de Saba est entourée de ses serviteurs et de ses richesses.
Elle est vêtue d’une robe bleue et d’un manteau rouge, elle porte des bijoux.
Le récit biblique la décrit accompagnée d’un cortège et chargé de riches cadeaux, que l’on reconnait au premier plan, en train d’être chargés sur des bateaux.
D’autres hommes regardent les bateaux quitter le port et attendent.

Au second plan, le navire orné de sculptures dorées et d’une voile blanche, attend la reine.
Une cohorte de petits bateaux transporte les marchandises et les passagers.

Au troisième plan, le port s’étend derrière la reine.
Les colonnes et les arcades de l’architecture classique se marient avec des bâtiments qui évoquent l’architecture vénitienne ou romaine. Des personnages sont disséminés un peu partout, ils animent la scène, des soldats, des marchands, des pêcheurs et des enfants.

Au fond du tableau, le paysage, constitué de collines verdoyantes, d’arbres feuillus et de nuages blancs, s’élève derrière le port.

C’est un paysage classique, équilibré.
La perspective linéaire est rigoureuse.
La toile est divisée en cinq parties avec une symétrie marquée entre les côtés gauche et droit de la partie centrale, l’ouverture du port.
Le rayon de soleil sur l’eau arrive jusqu’au rivage, ce qui donne une idée de l’éloignement du navire.

Le soleil placé juste au-dessus de l’horizon et dans l’axe du tableau, inonde la composition d’une lumière douce qui traverse les nuages et établit une continuité entre les plans.
Le Lorrain place le soleil au milieu de la toile, créant une unité de luminosité qui pénètre tout le paysage.

Les architectures sont dorées par le soleil.
Le jeu de lumières et d’ombres, les reflets, concourent à intégrer la ruine romaine qui borne le paysage à gauche de la composition.
Cet effet est très harmonieux..
Le premier plan est sombre, plus on s’enfonce dans le paysage plus il s’éclaircit.
La lumière semble venir des profondeurs du tableau, c’est une lumière rasante, Le Lorrain crée un contre-jour.
La lumière est partout, Le Lorrain saisit les nuances subtiles de la lumière, même les zones d’ombre sont éclairées.
Seule, la Reine de Saba n’est pas dans la lumière.

Les couleurs chaudes rouge, orange et jaune, contrastent avec le vert des arbres et le bleu du ciel et de la mer.

Le trait est fin et marqué. La matière picturale est traitée par aplats de peinture, avec fluidité et rend un aspect lisse.

L’huile sur la toile crée des effets de transparence et de luminosité qui renforcent le réalisme et la poésie de paysage.

 

Analyse

Le paysage émergea comme sujet autonome pour la peinture au XVIe et prit toute son envergure au siècle suivant.

Dans l’Europe du Nord et à Venise, la peinture de paysage était associée aux valeurs humanistes et à la poésie pastorale de l’Antiquité, en particulier aux Idylles de Théocrite et aux Bucoliques de Virgile, qui mettent en scène des bergers chantant et dialoguant dans des paysages peuplés de dieux et de nymphes.

À Rome, le paysage d’inspiration antique, avec vues de ruines, se développa à la Haute Renaissance.

Au début de XVIIe, la vogue du naturalisme renforça ces courants ; cinquante ans plus tard, on constatait à travers l’Europe une production de paysages extrêmement variée.

La phase la plus dynamique de ce développement se déroula à Rome, dans les premières décennies de XVIIe. La ville comptait alors de nombreux artistes étrangers, et ses multiples ruines et liens avec l’Antiquité constituaient un vaste potentiel artistique.

Au milieu du XVIIe, Claude Gellée, son élève Gaspard Dughet et Nicolas Poussin reprirent les sujets littéraires et pastoraux jusque-là réservés aux peintres de l’école des Carrache. Salvador Rosa les rejoignit en inventant un type de paysage sauvage, aux estuaires rocheux et aux arbres brisés, qui préfigurent le romantisme.

L’Angleterre en particulier, fit de ces quatre peintres les références absolues du XVIIe ; l’esthétique du paysage qui s’y développa au XVIIIe fut déterminée par leurs approches.

Au Pays-Bas, les héritiers de la tradition nordique de Joachim Patinier et Pieter Bruegel l’Ancien évoluaient eux aussi vers le naturalisme, en mettant l’accent sur l’observation de la topographie néerlandaise, avec ses terres cultivées sillonnées de canaux.

Dans les années 1630 et 1640, Le Lorrain commença à peindre des ports de mer imaginaires à l’aurore ou au crépuscule.

Son approche directement liée à scénographie est à rapprocher du grand épanouissement de l’opéra et du spectacle vivant sous la papauté d’Urbain VIII

I-    L’embarquement de la Reine de Saba est une peinture classique.

La rigueur du dessin, le sens de l’espace, la maîtrise de la lumière, l’équilibre de la composition font de ce paysage un paysage classique.

Le périple de la reine de Saba se rendant chez le roi Salomon a été raconté dans la Bible.  Le thème de leur rencontre a été souvent représenté.

Le Lorrain décrit l’embarquement de la reine, ce qui est inhabituel.

Il crée un port imaginaire.

Le peintre soigne les détails des personnages, des animaux et des objets qui témoignent de son observation attentive et de son imagination créative.

Le Lorrain exprime sa vision personnelle du voyage en mettant en scène une composition majestueuse et paisible.

Il s’inspire librement du récit Biblique pour créer une œuvre originale et profane.

Il peint le contraste entre le passé et le présent, entre le naturel et l’artificiel, entre l’Orient et l’Occident.

Ce tableau est un condensé de son goût pour les thèmes exotiques et historiques.

Il s’inspire des maîtres italiens et flamands et se sert de sa connaissance de l’art antique et contemporain.

Ce qui est important dans ce tableau, ce sont le ciel, la mer et les édifices ; les personnages sont anecdotiques.
Le Lorrain peint un tableau où le cadre, le port, le spectacle du port sont plus importants que l’histoire de la reine qu’il place dans l’ombre.

C’est un paysage imaginaire.
Le bateau de la reine est bien visible, ce qui ne serait pas possible dans la réalité, parce qu’il est à contre-jour.

Le Lorrain peint dans son atelier, après avoir fait une provision de dessins réalisés sur le motif, avide des caprices de la lumière, du mouvement de l’ombre et du velouté de l’air.
Ses dessins alimentent ses créations picturales.


II-   Son tableau a pour but de faire réfléchir et rêver.

La quiétude, la monumentalité et la profondeur de l’espace y concourent.
Le Lorrain conduit le regardeur à la frontière du rêve et de la réalité.

En mêlant ruines et bâtiments modernes, Le Lorrain peint un port comme un symbole d’éternité.

Un paysage symbole de l’histoire chrétienne, que le peintre réinterprète à son goût,

Un paysage idéal peint selon son imagination.

L’embarquement de la Reine de Saba est une œuvre emblématique de la Renaissance française qui témoigne du talent artistique et culturel de Claude Gelée.

 

Conclusion

Les dernières années de sa vie, Le Lorrain ose des compositions plus audacieuses. Le paysage devient asymétrique et infini. Le Lorrain peint des paysages purs, sans architecture, frémissants de poésie pastorale.
Son dernier tableau, la Chasse d’Ascanius, peint à 82 ans est à la fois personnel, puissant et délicat.

De 1635, peu avant sa mort, Le Lorrain reproduit dans un album de dessins 200 de ses tableaux avec la volonté de protéger son œuvre des fausses imitations. Ce « catalogue raisonné » appelé Liber Veritatis, permet d’authentifier, dater et étudier ses tableaux. Il est conservé au British Museum à Londres.

 Le Lorrain est considéré comme le représentant le plus éminent du paysage classique.

Le Lorrain a joué un rôle important dans l’élaboration d’une norme picturale qui conduira au réalisme paysagé du XIXe.
Il développe le goût pour la peinture de plein air, pour le voyage à la recherche de paysages vrais.
Il développe le goût pour le voyage de l’œil.

Son influence est considérable en Angleterre dès le début du XVIIIe.

Les peintres anglais observent le paysage avec les yeux de Claude Gellée.
La peinture « d’après nature » comme éducatrice du regard devient un impératif culturel.

Claude Gellée est très admiré par les peintres anglais.
Les deux grands peintres du XIXe, John Constable et Joseph Mallord William Turner le considèrent comme un maître.

En France, Auguste Rodin en 1892 a réalisé une statue en bronze et marbre du peintre qui se trouve au parc de la Pépinière à Nancy.