Le radeau de la Méduse – 1818-19 – Géricault

 

Théodore Géricault (1791 – 1824)

 

 Le radeau de la Méduse

 1818-19

Peinture à l’huile, toile sur bois
Dim 491 x 716 cm

Conservé à Paris, au musée du Louvre

 

Le peintre

Géricault peint ce tableau à 28 ans avec le désir de se faire un nom.

Géricault faisait figure d’artiste maudit, attiré par des sujets d’une rare violence et l’évocation de la mort. Il multipliait les études de blessés et d’exécution. Alors qu’il travaillait au radeau de la Méduse, il alla étudier les visages des agonisants et les corps amputés dans les hôpitaux parisiens, à la recherche de la force d’expression. Dans le cadre de ses recherches préalables, il interrogea les survivants du naufrage, réalisa de nombreuses esquisses avant de décider quel épisode de l’événement représenter et construit une maquette de la scène.
Puis Géricault entra dans une sorte d’ascèse, se rasa la tête et s’enferma jusqu’à l’achèvement de l’œuvre.

Géricault est mort cinq après son achèvement à l’âge de 32 ans – d’une chute de cheval ou d’une maladie vénérienne, la question est posée.

 

Le tableau

Géricault choisit de peindre le moment où les passagers aperçoivent l’Argus au loin, et où le soulagement se mue en désespoir quand ils voient que le brick français ne les a pas repérés.

Quand le peintre Eugène Delacroix (qui a posé pour la représentation du personnage face contre le radeau, se raccrochant à une poutre) vit Le radeau de la Méduse dans l’atelier de Théodore Géricault, il s’enfuit, horrifié.

En effet, ce tableau de grandes dimensions choqua à la fois les institutions et le public, et fut à l’origine d’un scandale politique.

Cette toile immortalise un moment bouleversant d’horreur sur fond d’espoir.

Au salon de 1819, le tableau est rebaptisé La scène d’un naufrage par crainte des réactions sévères du gouvernement français.

C’est le plus grand chef d’œuvre du peintre Géricault.

 

L’histoire

Ce tableau retrace un fait divers qui a marqué la France, le naufrage d’une frégate française, La Méduse, au large de la Mauritanie, le 2 juillet 1816.
La frégate était alors à la tête d’un convoi qui acheminait des soldats et des passagers vers la colonie française du Sénégal. En raison de l’incurie du capitaine, le vicomte de Chaumereys, émigré royaliste nommé à ce poste pour des raisons politiques et non pour ses compétences maritimes. Le navire s’échoua sur un banc de sable au large des côtes africaines. Le nombre de canots de sauvetage étant insuffisant, 149 hommes et une femme furent contraints d’embarquer sur un radeau de fortune, devant être halé jusqu’à destination, à quelque 97 kilomètres de là, par le reste de l’équipage réparti à bord des canots. L’instable radeau ralentissant dangereusement leur progression, l’équipage coupa les cordages, abandonnant les passagers du radeau à leur sort. Ceux-ci dérivèrent pendant quinze jours avant d’être localisés. La plupart des naufragés avaient alors péri ou s’étaient suicidés, les derniers ne devant leur survie qu’au cannibalisme. Seuls quinze hommes en réchappèrent, dont cinq moururent peu après le sauvetage. L’affaire fut étouffée mais deux jeunes survivants (le docteur Sauvigny, l’un des chirurgiens du navire, et Alexandre Corréard, un ancien officier de la garde impériale napoléonienne) rapportèrent les faits à la presse. En 1817 ils relatèrent la tragédie dans un ouvrage qui fit sensation dans toute l’Europe, mettant en lumière la corruption d’un gouvernement favorisant des émigrés incompétents pour leur loyauté envers le roi, et qui éveille l’intérêt du jeune peintre Géricault.

 

Composition

C’est une double composition pyramidale et dissymétrique qui reproduit à la fois l’intense soulagement et le profond désespoir.

La pyramide de gauche a pour sommet le haut du mât et rassemble les désespérés ; la pyramide de droite a pour sommet le torse de l’homme brandissant un drapeau pour attirer le navire au loin et rassemble les derniers survivants aux corps tendus dans la même direction.

Cette composition en pyramides est une caractéristique frappante du tableau et témoigne de la formation académique du peintre.

Les cadavres sont devant nous au bord du radeau, on bord du premier plan, au bord inférieur du tableau, vrillés par la lumière.

Un bout de tissu rouge couvrant les épaules de l’homme à l’abondante chevelure grise, attire notre regard. C’est le seul homme âgé de l’équipage, il retient le corps inerte d’un jeune homme. Son regard est perdu dans le vide, un regard de noyé, de résignation, de désespoir ou de sagesse. Alors que tout s’anime et que tout meurt autour de lui, c’est sur son dos courbé à la musculature ciselée que le regard du spectateur reprend son souffle.

Au second plan d’immense vagues vertes et sombres font écho à la dramatisation du moment. Le radeau est dans le creux d’une vague, l’instant d’après elle déferlera sur l’embarcation. La toile arrimée au mât est gonflée par le vent ; les éléments sont déchainés, le radeau est pris dans une tempête.

De grandes diagonales, s’appuyant sur les bras tendus, partent du coin inférieur gauche du tableau et convergent sur l’envol du drapeau.
Elles mettent la composition en perspective.

Le peintre alterne les attitudes opposées : têtes relevées ou baissées, corps entiers ou à demi, torse de face ou sur le dos ; ce parti pris ajoute à l’atmosphère de confusion et rythme la composition.

Les contours précis et les lignes distinctes viennent en écho, stabiliser la scène.

La lumière impose ses ombres sur les corps et les cadavres et donne une profondeur à la toile. Les clairs obscurs sont d’une force saisissante.

Le ciel sombre est déchiré par une vive lumière. C’est une lumière tragique.

Le style de Géricault surfe sur le drame avec des coups de pinceau lâches, une palette de couleurs puissantes et sombres -les chairs ont la teinte verdâtre de la mort, le contraste entre les attitudes dramatiques et les corps dans l’ombre et la lumière.

On retrouve la fluidité et le drame du mouvement baroque.

Le spectateur est dans le plan du tableau, cette proximité exacerbe son émotion. Géricault implique le spectateur dans le drame.

 

Analyse

Ce tableau marque la sortie du néoclassicisme et l’entrée dans le romantisme.

Le radeau de la Méduse est le manifeste du romantisme pictural.

Bien que l’œuvre rappelle les immenses tableaux héroïques du XVIIIe, Géricault rompt avec le formalisme néoclassique par la facture énergique et le rendu de toute l’émotion de la scène.

Les poses des sujets se fondent sur des études académiques et marquent l’influence de Michel-Ange.
Ils sont trop beaux pour des hommes en perdition. Si les corps à demi-nus sont empreints de grandeur et de vigueur, l’entassement des dépouilles, peint avec beaucoup de réalisme est loin de l’idéal du Beau du siècle précédent.

Géricault est un peintre néoclassique.
Il peint des personnages idéalisés dans des attitudes réalistes.

La palette rappelle celles de Caravage et de Rubens. Le ciel et l’eau sont en accord avec le drame. Géricault en travaillant sur une expression humaine dramatique et une émotion affichée, peint un tableau qui s’impose comme une œuvre majeure du romantisme.

Le tableau met en scène une tragédie, le moment où toute chance de sauvetage semble perdue.
Le désespoir sur la toile est aussi dévastateur que l’histoire du naufrage.

En traitant un sujet d’actualité, Géricault qui a choisi pour son tableau des dimensions en accord avec les peintures historiques, prend le parti de peindre un tableau d’histoire sans héros, seulement avec des victimes.

En regroupant ses personnages dans deux pyramides isolant les deux possibilités, sauvetage ou perdition, Géricault intègre sa composition au récit.

La silhouette du navire apparaissant dans une clarté céleste rappelle que le cauchemar aura une fin, même s’ils ne sont que dix à survivre.

Le radeau de la Méduse a été un des premiers tableaux à présenter une critique sociale, prouvant ainsi l’impact des artistes et leur influence.

Ce tableau a ouvert la voie à la critique par le biais de l’art.

Cependant ce n’était pas l’objectif de Géricault qui s’est défendu de toutes interprétations politique (dérive du peuple) ou symbolique (sens de la vie) …

Géricault a choisi un sujet d’histoire inspirant pour les romantiques.

 

Conclusion

Exposé au Salon de 1819, Le radeau de la Méduse reçut une médaille d’or et les compliments du roi, mais suscita autant de louanges que d’opprobre.

Géricault fut pourtant déçu de ne pas rencontrer plus d’hostilité.

Géricault a capté l’imagination des artistes sur plusieurs générations, de nombreuses versions et interprétations du radeau de la Méduse virent le jour.

On pense notamment à Delacroix La barque de Dante –1822 et Turner A Disaster at sea -1835. Les épaves et les mers orageuses sont devenues l’un des sujets de prédilection des peintres romantiques.

Courbet, Daumier et Manet ont reconnu en Géricault un véritable stimulant et une grande source d’inspiration.

Géricault est devenu l’archétype de l’artiste romantique.

Le tableau attira un public nombreux à chacune des ses expositions, notamment à Londres en 1820, et devint un point de ralliement des libéraux, marquant un tournant dans l’art français.