Claude Monet (1840-1926)
Le pont à Bougival
1869
Huile sur toile
Dim 63 x 91 cm
Conservé au Currier Museum of Art à Manchester
Le peintre
Monet expose ses premières œuvres au Salon de 1866.
Avec la révolution des tubes de peinture et l’accroissement des lignes de chemin de fer, Monet sera un des premiers artiste à peindre en plein air.
Claude Monet inaugure un nouveau style en utilisant systématiquement une touche fragmentée et juxtaposée de couleur souvent pure.
Il perfectionne son art aux côtés d’Alfred Sisley et Pierre-Auguste Renoir qui sera son meilleur ami jusqu’à la fin de sa vie.
Après un séjour à Londres pour fuir la guerre de 1870, puis un été au Pays-Bas, il s’installe à Argenteuil de 1872 à 1877. En 1873, il peint le tableau Impression soleil levant qui fera de lui le chef de file de l’impressionnisme.
Il participe aux quatre premières expositions du groupe, 1874, 1876,1877 et 1879. Monet ne participe pas aux expositions de 1880 et 1881.
Il participera à la dernière exposition des impressionnistes dominée par les pointillistes, Seurat et Signac.
Durant-Ruel lui achète régulièrement des tableaux à partir de 1881 et la situation financière du peintre s’améliore.
En 1890, il achète la propriété de Giverny. Il développe pour cette maison un véritable amour, il y restera la deuxième moitié de sa vie. Monet commence ses premières séries systématiques amorcées en 1877 avec les Gare Saint Lazare, suivront les Meules en 1891, les Peupliers en 1892 et la cathédrale de Rouen de 1892 à 1894.
En 1893, il achète le terrain adjacent à sa propriété qu’il aménage en jardin d’eau. Il cultive minutieusement son jardin et son étang japonais. Il y trouve toute son inspiration. Dans ce coin de paradis Monet reçoit des personnalités, du journaliste à l’homme politique, Georges Clemenceau devient un intime de l’artiste.
De 1899 à 1900, il réalise sa première série des bassins aux nymphéas, suivie d’une premières série de Nymphéas de 1900 à 1907.
En 1914, après un interruption de cinq ans, à la suite de tragédies personnelles, il peint une seconde série de Nymphéas. Cette seconde série fera de lui un précurseur de l’expressionisme abstrait de l’après seconde guerre mondiale.
Ses travaux culminent avec les grandes décorations qu’il offre à l’État pour fêter l’armistice et qui ne seront installés à l’Orangerie selon ses plans qu’après sa mort en 1926.
Le tableau
En 1869, Monet vie au Hameau Saint-Michel à Bougival avec Camille Doncieux et son fils jean.
Dans ce tableau, Monet représente le pont, inauguré en novembre 1858, qui enjambe la Seine et relie l’île de Croissy à Bougival.
Au temps de Monet le pont se trouvait dans le prolongement de l’allée arborée qui s’étend devant nous. Au pied de ce pont un bal était organisé tous les dimanches soir. Un hangar en bois faisait office de guinguette et la place était décorée de treilles et lanternes chinoises. C’était le fameux bal des canotiers de Bougival que les artistes de l’époque fréquentaient.
Le tableau a été exposé au Salon en 1870 et a reçu un accueil mitigé.
Ce tableau est devenu l’un des favoris de Monet et a été inclus dans de nombreuses expositions tout au long de sa vie de peintre.
Composition
Dans ce tableau Monet s’empare de la lumière pour la mêler à son tableau.
Il ne peint pas un paysage mais une atmosphère.
Il scrute le miroitement sur l’eau des nuages et des arbres, et reproduit les nuances bleu-verts de l’onde. Le ciel, la végétation et l’eau, transposés en une multitude de taches de couleur, donnent le sentiment d’une immersion totale dans la nature.
Monet peint l’eau et le ciel et une immense et changeante lumière où apparait un pont, des arbres, un chemin, des maisons qui tremblent, subtils et dansant de reflets, tous teintés d’autres reflets, d’ombre mouvantes et transparentes, de brusques coins inattendus de ténèbres et de clarté.
Monet peint la lumière d’un matin d’automne.
La trajectoire du soleil est très basse, et projette de larges ombres obliques sur le pont.
Monet met en valeur la clarté matinale.
Les arbres ont commencé à perdre leurs feuilles, celles qui sont encore accrochées sont roussies.
Monet utilise la perspective pour créer une impression de profondeur et de mouvement sur sa toile.
Au premier plan sur la gauche un petit chemin descend jusqu’au fleuve.
Le pont agit comme un point focal dans l’axe du tableau.
Les arbres et la végétation encadrent le pont et marquent la profondeur.
Monet construit son tableau à partir de lignes géométriques.
Au-delà du pont les maisons sont en contre-bas.
Plus loin une colline barre le fond du tableau, au-dessus le ciel se répartit sur pratiquement la moitié de la surface du tableau.
Le mouvement tournant de la route du pont invite le regardeur à s’engager sur le chemin.
Monet profite du pont pour introduire la figure humaine dans son paysage.
Sur la gauche, sur le pont, avancent une dame et un petit garçon, plus loin une lingère se déplace en sens inverse ; sur la droite un couple s’éloigne, devant eux, un autre personnage se déplace dans le même sens.
Monet travaille les reflets, ce qui l’oblige à privilégier la lumière sur l’eau.
Ce travail sur la lumière s’inscrit dans la poursuite d’une tradition du paysage hollandais.
Monet à l’œil photographique. Monet instaure un nouveau rapport avec le réel.
La lumière sur la Seine et le pont est magique.
La couleur est lumière, l’effet chromatique est modifié selon les intensités lumineuses.
Monet rend la lumière irréelle, poétique.
À force d’observer, de réfléchir, Monet trouve et peint avec brio l’instantanéité de ses impressions.
Le regardeur est fasciné par cette lumière filtrée par le regard du peintre.
Monet utilise une palette brillante et lumineuse pour donner la sensation de la lumière et du mouvement.
Le peintre équilibre les couleurs entre les tons verts et bleus de l’eau et de la végétation et les tons chauds du pont et des toits.
Son pinceau à l’affut, Monet fige éternellement les éclats lumineux et les jeux d’ombres qui animent ce pont où déambulent des passants. De grands coups de pinceaux cotonneux expriment le ciel balayé par le vent.
Il obtient l’harmonie à partir des tons pâles ponctués par des coups de pinceaux d’une grande légèreté.
Monet peint une atmosphère douce d’une matinée d’automne ensoleillée comme un instantané pris sur le chemin de la Grenouillère où il avait coutume de se rendre.
Analyse
« Monet aperçoit le soleil même quand il n’est pas encore levé, même quand le ciel et couvert. »
Élie Faure : « À travers les nuages, le soleil inonde l’univers d’une pluie pulvérulente de rayons que l’œil de Monet est seul à voir. La nappe de clarté que le soleil répand sur le monde est pour lui une foule innombrable où errent et s’entrecroisent cent mille atomes colorés… IL distingue le soleil d’été, le soleil d’hiver, le soleil du printemps du soleil d’automne. » Le soleil de l’aube n’est pas le même que le soleil du crépuscule…
« De minute en minute, il suit son apparition, sa croissance, sa décroissance, ses éclipses soudaines et se brusque retour sur la surface immense de la vie dont chaque saison, chaque mois, chaque semaine et le vent et la pluie et la poussière et la neige et le gel changent le caractère et le timbre et l’accent…Certes la forme est encore là mais elle fuit, elle se dérobe… »
« J’aimerais peindre comme l’oiseau chante » disait Monet.
I- Monet travaille avec une extraordinaire intensité d’émotions et de sensations.
Il plie la nature à sa volonté.
Monet dit qu’il tente continuellement « des choses impossibles à faire » et que dans sa vie, l’art est incompatible avec la perfection.
C’est par la facture et la couleur que Monet suggère les émotions.
Ces aspects picturaux formés dans l’esprit et matérialisés par la main sont sujets à des variations infinies.
Les tableaux de Monet ont cette dimension organique parce qu’ils subissent une quantité considérable de retouches sans diminution sensible de la fraîcheur de la surface. Cette méthode sert très bien le projet de capter les sensations fugitives et atmosphériques.
Aucun coup de pinceau n’est une erreur et chacun peut être modifié par la superposition d’un autre.
En peinture, c’est par les yeux que la pensée doit être excitée.
Dans ce tableau, ce qui est là, c’est de l’eau, c’est du ciel, c’est une immense et changeante lumière où apparaissent un pont, un chemin, des arbres, des maisons. « Voici tout ce qui passe et tremble et ne pouvait s’arrêter avant Monet et qui continue à passer et à trembler quand il l’arrête. »
« Quand il peint les pierres des façades les jeux du soleil et de l’ombre les font remuer comme la surface des arbres, comme les nuées de l’air, comme le visage de la Seine. »
II- Monet fait chanter la lumière dans ce tableau.
Ce paysage séduit le regardeur par la brillante synthèse de son coloris.
Le soleil, à travers les ondoiements de l’air, laisse tomber l’éveil de sa clarté sur la métamorphose incessante de la couleur et le contour des choses disparaît dans une symphonie générale du coloris.
Monet a la sureté de l’œil et de la main, il atteint à l’harmonie entre la vision et son expression.
La sincérité du peintre s’affirme dans la recherche constante du rendu en adéquation avec sa sensation.
L’eau s’apparente au ciel, prend des teintes frêles tandis qu’à la surface voltige un effeuillement prismatique de la lumière. La Seine reste claire comme une eau de rivière. Cette eau qui devient par le rayonnement de la clarté, un prisme composite et merveilleux. Ses ondulations, ses palpitations et ses moires, lui font une transparence hétérogène. Monet aime capter ces mille reflets qui sillonnent les eaux du fleuve.
Les incandescences du soleil matinal ont leur reflet dans les moires polychrome des eaux.
Toute la clarté vibrante du soleil se condense dans le champ illimité du miroir, rayonne aux mille facettes du prisme coloré, zèbre la toile de tons et de nuances qui se fondent en une délicieuse harmonie.
Le soleil du petit matin résume tout le prestige solaire.
Le soleil, élevé sur l’horizon, incendie tous les nuages. Le peintre mêle une teinte cendrée et violette qui en amortit l’éclat.
La Seine roule un peu tumultueuse et découvre des nuances insoupçonnées, dans la profusion de gemmes massives, comme des cristaux irréguliers et mouvants où éclate toute la magie des rayons jouant à travers le prisme aquatique.
Entre ciel et terre s’épanouit le plus beau phénomène solaire.
Le soleil matinal fait jaillir des profondeurs inconnues le rayonnement spectral de la lumière et donne au petit coin de terre la féerique illusion d’une splendeur éphémère que Monet fixe à jamais sur un bout de toile.
Ainsi le tableau persiste dans la beauté immatérielle d’un instant.
Et sur le pont la vie journalière s’anime.
Élie Faure :
« Quand il peint les pierres des façades, les jeux du soleil et de l’ombre et de la brume et des saisons les font remuer comme la surface des arbres, comme les nuées de l’air, comme le visage des eaux…Une ombre passe, on ne voit plus palpiter au fond d’elle qu’une vague lueur, une flèche lointaine, la crête d’un petit flot, une illumination survient, tout réapparaît une seconde pour se dissocier tout de suite et se noyer dans le soleil ».
Au fil de ses tableaux grandit l’audace insolente d’un peintre passionné qui luttera avec ferveur pour imposer sa singularité, fondement même de sa renommée.
Ce tableau chatoie de douceur, de calme et de volupté.
Il se dégage de ce tableau une émotion profonde.
Conclusion
Philippe Daguet dans Le Monde écrit : « l’impressionnisme est devenu le plus populaire de tous les épisodes de l’histoire de la peinture ».
Les sites que les impressionnistes ont choisi de peindre deviennent des lieux de mémoire.
La maison et le jardin de Monet à Giverny, le bal des canotiers à Bougival en sont des exemples.
Monnet : « en dehors de la peinture et du jardinage, je ne suis bon à rien ».
Monet est un peintre de l’instant présent qui ne reproduit que ce qu’il voit.
Il aura été tourmenté toute sa vie par sa quête obsessionnelle de la beauté.
Monet est le peintre des eaux, le peintre de l’air, le peintre des miroitements de l’air dans l’eau, de l’eau dans l’air et de tout ce qui flotte, oscille, rode, hésite, va et vient entre l’air et l’eau.
Considéré comme le père de l’impressionnisme, la démarche artistique de Monet a évolué au cours du temps.
Il est d’abords séduit par la lumière, les couleurs du sud, les rapports entre ciel et mer, le soleil puissant de Provence.
Puis, il s’est réinventé, utilisant des couleurs plus claires, effaçant peu à peu son dessin, notamment dans la série des nymphéas qui a ouvert la voie de l’abstraction.
Entre lyrisme et liberté, Monet préfigure l’abstraction. Avec ses nymphéas, il peint son rêve, son émerveillement, les formes s’estompent, um moment de poésie.
Clemenceau : « les nymphéas marquent l’entrée en lice de la lumière surprise en déshabillé de métamorphoses ».
Ces paysages d’eau, ces Nymphéas sont des chefs-d’œuvre considérés comme « le testament d’une vie uniquement consacrée à la peinture ».
Monet est l’un des peintres les mieux connus au monde.
« Monet n’est qu’un œil mais quel œil ! » disait Cezanne.
Et Manet d’ajouter : « Monet est le Raphaël de l’eau ».
Source :
Élie Faure, Histoire de l’art, l’Art moderne, Chap. 8 : Le romantisme et matérialisme.