Le mois de Janvier – Les très riches heures du duc de Berry -1411 -1416 Les Frères de Limbourg

Les frères de Limbourg (vers 1380, 1386 et 1388 – 1416)

 

 Les très riches Heures du duc de Berry, le mois de janvier

Entre 1411/1413-1416

Pigments sur vélin

Dim 29 x 21 cm

Conservé au musée Condé à Chantilly, France.

 

 

Peintres et enlumineurs

Les frères de Limbourg, Paul, Herman et Johan van Lymborch sont nés vers 1380.
Ils sont issus d’une famille d’artistes de Nimègue -citée florissante dans le nord des Pays-Bas actuels, entre Meuse et Rhin.
Leur père Arnold était sculpteur sur bois. Ils sont apparentés à Jean Malouel qui peint tour à tour des écus et des bannières pour la cour de Gueldre, des modèles de tissus héraldiques pour la reine de France, des tableaux d’apôtres et de saints pour le duc de Bourgogne.
En 1399,  Johan et Herman sont en apprentissage dans un atelier d’orfèvrerie parisien.
Fuyant une épidémie de peste, ils quittent Paris pour retourner dans leur ville natale. Sur le chemin, à Bruxelles,  ils sont emprisonnés  ( victimes du conflit entre Brabant et Gueldre ). Six mois plus tard, ils recouvrent la liberté grâce à une rançon payée par le duc du Bourgogne. L’acte stipule que le duc intervint en considération des bons et agréables services que Jean Malouel, oncle des frères, avait fait pour lui.
En 1402 Johan et Paul sont au service du duc de Bourgogne comme peintres enlumineurs. Le duc les retient pour illustrer une très belle bible.
Philippe le Hardi meurt en 1404 et nous ne savons pas si les frères restèrent au service de son fils.
Entre 1404 et 1409, on perd la trace des frères de Limbourg. Il y a une incertitude sur un voyage en Italie qu’aurait fait un ou plusieurs d’entre eux.
C’est vers 1409 que les frères entrèrent au service du duc de Berry.
Les archives nous informent que cette année-là, le trésorier du duc de Berry mourut et que le duc décida de donner l’hôtel du trésorier à Paul de Limbourg. Ainsi on date la collaboration des frères aux Belles heures du Duc de Berry vers 1410.

Les trois frères enlumineurs sont morts la même année que leur mécène, victimes d’une épidémie de peste, en 1416.

Ces peintres et enlumineurs néerlandais sont surtout connus pour l’exceptionnel ouvrage,  Les très riches heures du duc de Berry.

Qualifié par Georges Hulin de Loo de « roi des manuscrits enluminés ».

 

Les très riches heures du duc de Berry

L’œuvre des frères Limbourg a été commandée par l’un des plus éminents amateurs d’ouvrages enluminés, Jean 1er, duc de Berry, frère du roi Charles V.

Fils, frère et oncle de rois, Jean 1er, le plus grand protecteur des arts de son temps, profite de son immense richesse pour être le premier des mécènes et tenir un rôle majeur dans l’épanouissement du gothique international.

Sa bibliothèque contient plus de 150 manuscrits enluminés constitués d’ouvrages historiques, de romans de chevalerie, de traités d’astrologie, d’astronomie, de géographie et, de livres religieux (14 bibles, 16 psautiers, 18 bréviaires, 6 missels et 15 livres d’Heures).

Au XVe les livres étaient couteux et luxueux, avec des feuillets en feuilles de vélin (peau de veau) finement traités, reliés de cuir ouvragé et décorés d’or et de pigments onéreux.

Le genre le plus apprécié était le livre d’Heures, qui indiquait les prières à réciter tout au long de la journée ainsi que celles qui honoraient certains saints ou fêtes religieuses.
Il en existait de tous les formats, tous comptaient des illustrations peintes à la main appelées « miniatures » (du latin miniare « montrer, illuminer »).

Il était de coutume que les livres d’Heures commencent par un calendrier qui permettait au lecteur de repérer la prière correspondant au jour de l’année et à l’heure de la journée.

Le calendrier des  très riches heures est l’un des plus élaborés : les frères de Limbourg y ont représenté une activité pour chaque mois en fonction du signe du zodiaque.
Les scènes comportent en arrière-plan, un château dans lequel le duc conservait ses trésors, dont ses livres.

L’ouvrage comptait 130 miniatures en demi-page ou pleine page.
Outre les enluminures du calendrier, il offre un récit détaillé de la vie du Christ, de la Vierge et des saints.
Les images somptueuses sont accompagnées des prières correspondantes.
Le livre contient 206 feuillets, répartis-en 31 cahiers reliés.

Comme tous les livres d’Heures, il est personnalisé par les prières tenant à cœur à son commanditaire. Chaque chapitre comporte des illustrations qui l’aident à méditer sur un thème donné.

Orfèvres de formation, les frères de Limbourg entreprennent d’utiliser dans ce manuscrit les techniques et façons les plus modernes, c’est ainsi qu’apparaissent les scènes de nuit et les paysages enneigés.

Les très riches heures mettent en scène un monde d’ordre et de paix, un univers raffiné, coloré, idéalisé.

Les miniatures des très riches heures du duc de Berry comptent parmi les plus belles jamais réalisées. Elles sont peintes dans la tradition de la Renaissance du Nord, avec un grand souci des détails et des couleurs vives.

L’ensemble des 40 grandes miniatures et des 24 petites présente dans sa diversité une remarquable unité.
Cela est dû à la direction du chef d’atelier, on s’accorde à penser que c’était Paul (parce qu’il est le seul nommé dans l’inventaire du duc comme l’auteur des très riches heures du duc de Berry). C’est auprès du duc de Berry que Paul a pris une place prépondérante, mais il n’est pas sûr qu’il soit l’aîné, dans l’acte de Nimègue qui mentionne sa mort, il est nommé après Herman.

En 1416, les frères de Limbourg et leur mécène succombèrent à la peste, laissant les très riches heures inachevées.

 

La miniature de janvier

Le mois de janvier est la première enluminure des Très riches Heures

Dans cette miniature le duc de Berry figure en personne.

L’espace de la miniature  est stratifié en trois zones :
La table du buffet occupe le premier plan devant la grande cheminée.
Le duc est assis à la table, sur la droite de la miniature, dans l’axe de la cheminée. À sa droite trois personnages sont assis et devisent avec lui.  Un personnage se tient debout à la gauche du duc. Les serviteurs s’affairent au service du banquet.

Une grande tapisserie est tendue au mur de la salle et la délimite.
Sur la tapisserie, dans l’axe de la cheminée et juste au-dessus du duc, est brodé un dais de soie rouge, orné avec les insignes du duc, l’ours et le cygne et les armes du duc qui sont d’azur semé de fleurs de lys d’or.
La tapisserie représente des chevaliers en armure sur un terrain vallonné.
Les vers en légende identifient la scène à un épisode de la guerre de Troie. Cependant l’étendard rouge à croix blanche visible à droite du dais, est aux couleurs du parti des Armagnacs qui combattent les Bourguignons.

Au-dessus de la tapisserie,
Un espace cosmique et divin occupe le haut du feuillet et le 1/3 de sa surface.
Un demi-cercle surmonte et prolonge l’image. C’est une voûte céleste, où sont représentés des signes du zodiaque, le ciel et les constellations spécifiques à cette période de l’année, le jour et la nuit, le char d’Apollon.
Apollon, dans son char, est guidé par l’astre solaire qui brille de mille feux.

La voûte céleste inscrit le banquet dans une dimension cosmique et divine qui lui donne un sens et l’inscrit dans la permanence.

C’est une scène d’un réalisme remarquable
Elle décrit la salle d’apparat d’un château et le style de vie opulent à la cour de jean 1er. Cette scène est le témoignage d’un cérémonial très codifié.

La scène représente un banquet organisé à l’occasion des étrennes, auquel participe le commanditaire entouré de ses courtisans.
Le duc de Berry est assis dos au feu, devant le pare-étincelles qui simule une auréole. Il  préside un festin servi dans la vaisselle en or.

Le duc est habillé d’une houppelande bleue et or. Il porte un grand collier d’or et est coiffé d’une toque de fourrure. Son visage arrondi est représenté de profil comme sur une médaille romaine. Il offre un présent à un prélat vêtu d’une cape pourpre, signe distinctif de son rang. Derrière le duc, à sa droite, son chambellan se tient debout et porte le bâton qui représente sa fonction.Dans la société féodale, le seigneur et ses vassaux ont des obligations réciproques. Pour les étrennes, le seigneur donne à ses vassaux cadeaux et largesses.

Les frères de Limbourg célèbrent la puissance et la splendeur du duc de Berry en lui donnant une image de prince idéal.

La miniature montre une file de courtisans s’approchant du duc pendant que les serviteurs s’affairent. Le personnel de service est somptueusement vêtu.
L’échanson, vêtu de bleu, sert à boire dans des coupes en or, un panetier officie en bout de table (il s’occupe du fonctionnement de la boulangerie princière et sert à table lors des grandes cérémonies princières ou royales) tandis que deux écuyers tranchants (des officiers de table qui servent la viande et servent à table lors des grandes cérémonies princières), nous tournent le dos.

Dans la file des courtisans qui viennent saluer le duc, on reconnait un des frères de Limbourg, Paul (coiffé d’un bonnet gris replié sur l’oreille et portant une livrée aux couleurs du duc de Berry), Charles d’Orléans, les fidèles parents de Jean et le cardinal de Pise. Le personnage coiffé d’un turban et d’un voile mauve, à la tête du cortège, signifie aux invités de s’approcher. Les frères de Limbourg le font parler, ils ont écrit en lettres d’or « approche-approche ».

Les frères sont attentifs à  la minutie des détails :
Des petits chiens se promènent sur la table et mangent dans les assiettes de leur maître. Ils sont près d’une nef de table en or aux emblèmes du duc, l’ours et le cygne. Cette nef de table tient lieu de récipient pour les couteaux, les cuillers ou le sel et les épices.
Au pied de la table, à droite de la miniature, un serviteur donne à manger à un lévrier blanc.  Ce chien symbolise, à cette époque,  la puissance de la noblesse.

Les frères de Limbourg traitent le pouvoir illusionniste de la perspective :
La tapisserie, objet matériel, devient une image immatérielle.
Les courtisans qui servent à manger et à boire semblent se fondre avec les figures de la tapisserie accrochée au mur. Inversement les chevaliers en armure semblent sortir du mur et se mêler aux invités.

L’illustration est guidée par une touche habile, la finesse du dessin suppose des pinceaux très fins et un travail à la loupe.

Les couleurs  vives sont un ravissement :
Une analyse des pigments utilisés pour les très riches heures révèle des bleus issus du lapis-lazuli et du cobalt, des verts de la malachite et de l’iris vert, du rose du bois-brésil, différents tons de rouge à base d’oxyde de plomb, d’ocre, de cinabre et de sulfure de mercure, des pourpres provenant du tournesol, du jaune du monoxyde de plomb et du sulfure d’arsenic, du blanc tiré du plomb et du noir de la suie ou du charbon.
L’éclat des couleurs est dû à l’application d’or peint, or bruni ou argent.
Pour qu’ils adhérent au vélin les pigments étaient mélangés à de la gomme arabique ou de tragacanthe.

Le foisonnement des couleurs, qui utilisent des matériaux chers, flatte le duc en mettant en valeur sa fortune et par extension son pouvoir et sa politique.

Dans cette scène, les frères de Limbourg mettent en évidence la vanité du duc et leur goût pour les magnificences de la vie de cour,  l’élégance du style, le coloris lumineux et  l’art de l’équilibre dans la répartition des personnages.

 

Conclusion

L’illustration est une école reconue.  De nombreux peintres, dont Jan Van Eyck, débutèrent leur carrière en tant qu’illustrateurs.

Les très riches Heures du duc de Berry, inachevé à la mort des trois frères est complété par un peintre anonyme vers 1440
puis achevé par Jean Colombe en 1485-86.

Ainsi l’exécution des très riches heures s’étale sur tout le XVe siècle.
 Le manuscrit est achevé au moment où l’imprimerie apparait. C’est un des derniers manuscrits enluminés en Europe. La qualité de ses enluminures en fait le plus célèbre livre d’Heures.
(En Iran l’art des enluminures se poursuivra jusqu’au XVIIe).

Le calendrier des très riches Heures est unique.
C’est le seul avec des illustrations en pleine page en regard des fêtes du mois.
C’est le premier à présenter une iconographie profane.
C’est le premier à montrer une représentation de la nuit noire.

C’est un ouvrage personnel.
Il est l’exemple d’un dialogue entre un commanditaire princier et les artistes qui ont réalisé le manuscrit.
Le jour de l’an 1415 est célébré avec plus de faste que jamais parce que, après trois années de guerre, une paix fragile entre Armagnacs et Bourguignons couronne l’activité diplomatique déployée par Jean 1er.

1415 est une année idéale pour illustrer le mois de janvier.

Une dernière remarque sur ce manuscrit du sémiologue Umberto Eco :
« Un documentaire cinématographique, une machine visuelle qui nous raconte la vie d’une époque ».