Le Massacre des Innocents – 1611 Guido Reni

 

 

Guido Reni (1575-1642)

 

 Le Massacre des Innocents   

1611
Huile sur toile
Dim 268 x 170 cm

Conservé à la Pinacothèque Nationale de Bologne

 

Le peintre

Guido Reni est né à Bologne dans une famille de musiciens. Il entre dans l’atelier du peintre flamand, installé à Bologne, Denys Calvaert en 1584. Il y travaillera dix ans.

En 1594, il rejoint l’académie bolonaise fondée par les frères Annibal et Agostino Carrache et leur cousin Ludovico. Guido Reni réalise ses premiers retables d’églises dans cet atelier.

En 1598, il quitte l’atelier, devient un peintre indépendant avec des commandes.

En la fin de l’année 1601, il s’installe à Rome pour travailler avec Annibal Carrache aux fresques du palais Farnèse. Pendant les treize années qu’il passe à Rome, les commandes affluent, le pape Paul V, issu de la famille Borghèse lui procure une clientèle prestigieuse.

En 1613, à la demande du cardinal Scipion Borghèse il réalise la Fresque de Aurore et Apollon représentant Hélios (dieu du soleil) sur le char du soleil.
Cette fresque est considérée comme un de ses chefs-d’œuvre.

En 1614, il ouvre son atelier à Bologne où il honore d’importantes commandes religieuses. Il est secondé par de jeunes peintres attirés par le prestige du maître.

Il se déplacera à Mantoue en 1617 pour décorer le palais Ducale puis, à Naples en 1622 pour réaliser des tableaux d’églises et en 1627 à Rome, pour une commande de l’ambassadeur d’Espagne.

Dans les années 1620-30, Guido Reni éclaircit sa palette, on pense à L’enlèvement d’Hélène –1526-28, commandé par le roi Philippe IV d’Espagne.

 

Le sujet

L’Évangile selon saint Matthieu , chap. 2, versets 16-18 : « Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, se mit dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants de deux ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire, selon la date dont il s’était soigneusement enquis auprès des mages. Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par le prophète Jérémie : Ainsi parle l’Éternel : On entend des cris à Rama, des lamentations, des larmes amères ; Rachel pleure ses enfants ; elle refuse d’être consolée sur ses enfants, car ils ne sont plus. »

 

Le tableau

C’est une commande de la famille Beró pour l’église saint Dominique de Bologne, un tableau d’autel et un sujet biblique. 

 

Composition

La composition rigoureuse et extrêmement élaborée montre tous les aspects du drame.

Le tableau se divise en deux registres très nets :
Le registre supérieur est le registre céleste.
Le registre inférieur est divisé en deux groupes avec un axe central caractérisé par un certain vide

Il y a un équilibre entre les deux parties
L’axe vertical assure l’équilibre de la composition et sa symétrie. Les personnages de gauche ont leur pendant à droite du tableau.

Le tableau est très dense, très plein.

Les lignes de force se croisent, certaines vont vers l’extérieur et d’autres plongent vers l’intérieur, déclenchant un grand dynamisme.

C’est une composition en X qui conduit vers le poignard.

Le spectateur à une impression d’écartèlement.

Les personnages sont groupés au premier plan qui occupe 2/3 de la composition, six femmes, cinq mères et une femme âgée à droite et deux hommes. Au sol, il y a deux enfants morts et trois femmes assises ; l’une est habillée de rouge c’est l’allégorie de la charité. Debout, deux femmes, une à chaque extrémité du tableau, tentent de fuir en serrant leur enfant dans les bras. Celle de droite le visage tourné vers le centre de la composition est en meilleure posture que celle de gauche qu’un soldat retient par les cheveux. Le bras gauche tendu du soldat agrippé à la chevelure de la femme croise le bras droit d’un deuxième soldat armé d’un poignard qui s’apprête à égorger un enfant au sol au centre de la composition. Sa mère au sol à ses côtés tente de son bras gauche de repousser le soldat.

Dans le même temps, au registre supérieur, des angelots, plantés dans les nuages distribuent les palmes du martyr.
L’ambiance surnaturelle du ciel contraste avec l’agitation au sol.

Des personnages au loin se fondent dans le paysage. Le spectateur les aperçoit dans l’encadrement des arcades du palais (à droite à l’arrière-plan du tableau) et aux portes de la ville (au centre du tableau à l’arrière-plan).

Leur taille réduite exprime la distance et donne la profondeur de la composition.

La palette chromatique est très réduite.
Le jaune et le rouge sont traités de façon très vive, le bleu est sourd.
Les teintes qui s’éclaircissent à l’arrière-plan passant du bleu au bleu-gris puis au jaune clair donnent l’illusion de la profondeur.

Il y a une lumière frontale qui en générant les ombres révèle les attitudes.
Et une lumière céleste qui frise les nuages et illumine les gerbes de blé des deux anges.

Le dessin est souligné d’une ombre tout le long du trait, c’est la marque de fabrique du peintre, Guido Reni.

 

Analyse

Dans ce tableau, Guido Reni suit un objectif, véhiculer une émotion extrême.

À cette fin, Il recompose l’histoire de façon artificielle.

Le peintre mobilise tous ses pouvoirs d’invention pour bouleverser le spectateur.

Il use de subterfuge en rompant la perspective. L’œil du spectateur est trompé par l’illusion : le bras tendu de la jeune -femme assise habillée de jaune ne peut pas se trouver dans le même plan que le visage de l’homme. Sachant que la ligne d’horizon qui se confond avec le mur d’enceinte de la ville est la limite du tiers supérieur du tableau.

Le tableau est expressif parce que le placement des personnages les uns par rapport aux autres n’est pas réaliste.

Il tente de saisir l’émotion ressentie par les personnages au moment crucial de l’histoire.

Premièrement entre en jeu son art de dessiner les personnages et les intégrer à sa composition.
L’angoisse des femmes contraste avec la violence des hommes.
Il y a un traitement fort mais extrêmement retenu des sentiments avec l’expression des bouches.
On remarque que les visages des femmes se ressemblent.
Quant aux hommes, c’est la force qui est représentée. Le peintre dessine la musculature des bras prolongés par les poignards.

Le peintre oppose les femmes effrayées aux hommes cruels.
Avec les gestes et les expressions des visages Guido Reni exprime l’horreur de la scène.

Ce tableau dégage une très forte théâtralité.

Il n’y a pas de sang (hormis quelques traces au premier plan), l’horreur est concentrée sur les visages hurlant dans le silence.

Le cadre très serré ajoute de la tension en coupant les personnages dans leur fuite, comme dans un instantané photographique. La tension dramatique est palpable.

La composition de la scène intensifie l’atrocité de la situation. Guido Reni traite le drame :
Avec les bras tendus des personnages et les lignes des corps, autant d’obliques qui cisaillent l’espace, sans logique, renforçant la confusion ;
Avec le poignard planté dans l’axe du tableau ;
Avec le cri muet des visages des femmes ;
Avec la lumière violente qui éclaire les corps blafards des enfants morts au premier plan.

Guido Reni oppose ses personnages aux anges et au monde céleste. Il les a groupés sur un même plan pour signifier une image collective de l’horreur.

Deux lumières, deux effets, violente au premier plan, les jeux d’ombres de la lumière frontale renforcent l’idée de panique ; artificielle au registre supérieur et à l’arrière-plan, la lumière crée une atmosphère de douceur en parfaite opposition au drame qui se joue sous les yeux des deux anges.

Guido Reni nous raconte une histoire lisible au premier regard.

 

Conclusion

Le Massacre des Innocents est une œuvre de jeunesse, marquée par les audaces du baroque et l’influence de Caravage.

Guido Reni utilise une composition rigoureuse et manipule l’illusion et l’artifice pour dégager une très forte théâtralité de la réalité.

C’est une œuvre majeure, considérée comme un chef d’œuvre du vivant de Guido Reni.