Camille Pissarro (1830-1903)
Le jardin potager à l‘Hermitage
1878
Huile sur toile
Dim 55 x 46 cm
Conservé au musée Artizon à Tokyo
Le peintre
À l’âge de 12 ans il est envoyé en France pour suivre des études secondaires dans un établissement de Passy. Le directeur du passionnât en voyant ses dessins l’encourage dans cette voie.
À 17 ans il rentre aux Antilles où son père l’oblige à devenir commis dans l’épicerie familiale.
Camille rencontre sur le port le peintre danois Fritz Melbey avec qui il fuit en 1852 au Venezuela où il se forme à l’aquarelle jusqu’en 1854.
En 1855, son père accepte la passion de son fils pour l’art et consent à l’envoyer à Paris.
Pissarro s’embarque définitivement pour la France.
Pissarro s’ennuie aux Beaux-arts. Il cessera rapidement de fréquenter cette école.
Il se lie d’amitié avec Camille Corot qui préconisait de sortir de l’atelier pour peindre en plein-air.
Il se marie, le couple habite à Pontoise puis en 1869 ils partent à Louveciennes.
En 1870 la guerre éclate et Camille part se réfugier à Londres où il découvre Turner et Constable.
À son retour il commence à peindre avec Cezanne qui lui apprend à structurer ses tableaux. Et Pissarro conseillera à Cezanne d’éclairer sa touche. Cette collaboration entre les deux peintres sera un véritable échange et un enrichissement mutuel. Durant plus de vingt ans, jusqu’en 1885, Cezanne et Pissarro vont travailler, expérimenter ensemble, formant une véritable « paire » au sein du groupe des impressionnistes. Pissarro résume en une formule : « chacun gardait la seule chose qui compte, sa sensation ». Ils avaient tous les deux la volonté de produire une peinture sincère.
En 1884, Pissarro s’installe à Éragny-sur-Epte, pas loin de la maison acquise par Monet à Giverny. Pissarro a passé une trentaine d’années dans ce petit village situé entre Rouen et Paris. Il rêve de faire de sa maison une coopérative familiale d’artistes.
Camille Pissarro est l’un des fondateurs du groupe impressionniste, compagnon fidèle de Monet, de Cezanne et de Gauguin. Il est le plus âgé d’entre eux.
L’œuvre de Pissarro, bien que discrète est d’une grande diversité.
Avec ses vues de Paris inédites, ses ports, ses jardins qui font la transition entre impressionnisme et pointillisme, Pissarro a influencé Seurat et Signac et inspiré Gauguin.
Son goût pour la poésie et la simplicité a révolutionné la peinture.
Une série de dessins fait apparaître son engagement politique.
Travaux des champs illustre sa recherche sur les gestes paysans que Pissarro développe des années 1890 jusqu’à la fin de sa vie.
Promenade à dos d’âne à la Roche-Guyon et une chronique sociale narrative. Pissarro ne renouvèlera pas cette sorte de peinture narrative.
Pissarro est athée, rationaliste, révolté par l’injustice et par les inégalités. Il prit position en faveur d’Alfred Dreyfus. C’est le peintre de l’autonomie sociale et esthétique des humbles et des travailleurs.
Il décrit la distance et la proximité des corps au travail comme dans Faneuses, le soir, Éragny –1893. Il peint l’harmonie du travail campagnard et le soulagement du repos.
Pissarro est soucieux d’égalité sociale.
Il ne peindra jamais la bourgeoisie qui sont ses clients, mais les classes populaires. Ses tableaux mettent en avant le travail humain qu’il soit aux champs, sur les marchés ou à l’usine.
Entre 1885 et 1890, à la suite de sa rencontre avec Seurat, Pissarro se lance dans le pointillisme.
En 1890 il revient à l’impressionnisme classique et travaille énormément à Paris, où il peint des perspectives dynamiques de boulevards, places, fleuve et ponts.
Après Éragny, il séjourna à plusieurs reprises au Havre, à Rouen et finalement à Paris où il mourut, presque aveugle.
Son œuvre reflète ses pensées anarchistes avec des choix de thèmes toujours lié au petit peuple.
Pissarro est le peintre se son temps le plus conscient de sa responsabilité politique et il signe parfois des dessins pamphlétaires.
Le tableau
Au XIXe à la suite des renversements politiques et sociaux dus à la révolution, la France est traversée par un grand mouvement horticole. Le jardinage devient une activité de loisirs et le jardin un lieu agréable. De nombreuses plantes sont introduites en Europe. Le jardinier dispose d’une large palette de végétaux.
Les critiques du Salon de peinture réclament davantage de tableaux qui mettent en relation les hommes au milieu des espaces verts et remportent un franc succès auprès du public.
Ce tableau a été peint à Pontoise.
Pissarro était sensible à la beauté des jardins potagers.
Le jardin est l’un des éléments central de son œuvre.
Pissarro réalisa de nombreux tableaux sur le thème du « lieu de travail » au jardin.
L’engouement de Pissarro pour les jardins s’explique par l’évolution de la nature en perpétuel mouvement, les effets du temps qui passe, le changement de saison, le climat et l’atmosphère ; tous ces phénomènes donnent à chaque instant de nouvelles couleurs.
Pissarro arrive à retranscrire et magnifier dans ses tableaux la scène qu’il a devant les yeux. Pissarro communique au regardeur toutes ses émotions en lui donnant l’impression de « vivre » la scène.
Composition
Pissarro maitrise parfaitement les effets de lumière et de couleurs.
Il y a dans ce tableau une harmonie dynamique des formes.
Tout dans cette composition flatte le plaisir d’une vision calme.
Au premier plan un jardin planté de choux, encadré par deux grands arbres sans feuilles. Il y a un fagot de bois au pied de l’arbre de gauche. C’est l’automne. Un jardinier, en retrait, est au milieu de ses choux, il est fondu avec la terre. Campé, un arrosoir à la main, telle une puissante sculpture de vie et de couleur. Le jardinier planté au milieu de son jardin, est un relai pour l’œil du regardeur entre le jardin et les maisons de l’Hermitage.
Pissarro crée la vie dans ce jardin potager par l’équilibre du personnage avec l’atmosphère de son jardin.
Au second plan se dressent les maisons de l’Hermitage, leurs murs clos le jardin, leurs formes architecturales sont rigoureuses. Leur dispositions donne un semblant de profondeur au jardin.
Le tout est couronné par un ciel bleu délavé par des nuages blancs colorés par la lumière du soir.
La composition est aplatie.
La lumière du soir illumine la toile.
Pissarro a saisi la vie du jardin.
Il décompose la lueur solaire en ses rayons.
Le rayons du soleil couchant se reflètent sur les façades des maisons, sculptent les branches des arbres, font vibrer les choux et réchauffent la terre.
Cette terre colorée, ondoyante, frémit d’air et de lumière.
Pissarro traduit le sol avec son amour terrien et peint la terre nourricière.
Pissarro interprète la magie du soleil en créant une harmonie générale d’irisations qui se rependent sur la toile.
Le soleil donne aux yeux du regardeur l’illusion d’un rythme grandiose dans lequel tournoient les couleurs, les ombres et les formes.
La terre du jardin qui s’accroche au bord inférieur de la toile invite le regardeur à entrer dans le jardin.
Pissarro aère sa toile.
La présence atmosphérique semble continuer l’air dans lequel le regardeur se trouve.
Les coups de pinceau sont riches en nuances, énergiques et délicats à la fois. La touche régulière parsème les reflets épars de la lumière cuivrée.
Pissarro a un sens plastique de la couleur.
Les teintes cendrées et violettes amortissent l’éclat des nuages.
Les jaunes et les rouges s’éteignent sur la terre du jardin, les ombres grandissent, les couleurs agonisent avec l’ensoleillement qui meurt.
Les contrastes de couleur sont subtils.
Cette toile génère une symphonie délicate et profonde.
Analyse
Camille Pissarro aime peupler ses paysages de personnages pris dans leur quotidien. Dans ce tableau le jardinier a trouvé sa place. C’est une simple silhouette, mais il est présent.
Le jardinier est dans une lumière brumeuse, celle du soleil couchant.
Pissarro est un peintre contemplatif.
I- Pissarro est doté d’une justesse visuelle et d’une faculté créatrice.
Le jardin potager est poétiquement évocateur tout en étant fidèle aux réalités de la nature.
Pissarro sait dégager d’un coin de jardin son charme propre en saisissant la physionomie du lieu.
Le peintre a compris la beauté du jardin et nous transmet son frémissement.
Pissarro est séduit par la magie de l’automne.
La composition est inondée de lumière, Pissarro peint l’éparpillement de la lumière à travers les éclaircies des branches dénudées. Les nuages se diluent dans le ciel bleu.
Ce ciel est mouvant, profond.
Chacune des composantes du tableau, chacune des portions distinctes du jardin « bouge » sous les yeux du regardeur.
La terre du jardin aux couleurs chaudes vit et respire.
Un flux d’énergie traverse la composition.
Pissarro a converti son image de la nature en un organisme qui vit et qui respire.
Chez Pissarro la nature est toujours cultivée et il y a toujours un personnage, l’humanité est toujours présente là où elle accomplit les travaux des villes, des jardins et des champs.
Dans ce tableau il peint un jardin potager, donc il peint un jardinier.
Le regardeur a la sensation d’un lien affectif entre le jardinier et son jardin.
Quand Pissarro représente une meule de foin, comme le fait Monet, c’est toujours avec les paysans qui la construisent.
Le monde des humbles ne vaut pas moins que sa peinture.
C’est à travers la couleur que Pissarro suggère des émotions.
Ses choux ou ses salades exercent un charme particulier parce qu’ils semblent trouver spontanément leurs transformations dans les pigments de la toile.
Il n’y a chez Pissarro aucune condescendance. Il exprime une émotion esthétique. Il a le souci de la saine réalité.
II- Pissarro peint principalement des paysages de campagne et les critiques aiment le qualifié de « spécialiste des choux »
La peinture de Pissarro engendre une impression de bien-être par le biais de la production créatrice.
Pissarro tient ces propos :
« Le travail est un merveilleux régulateur de santé morale et physique ».
C’est une banalité, tout cela est devenu une affaire de mode :
« être peintre ou n’être pas peintre ! ».
L’harmonie créatrice est instable et fluctuante.
Pour cette ferveur avec laquelle il aima la vie, Pissarro demeure le peintre du sol et de la vie végétale.
Nul mieux que lui n’a exprimé cette existence vaporeuse faite de nuances, de fluidité, de souffles. Les arbres, les plantes, la vie fragile et colorée des fleurs, les façades des maisons, les nuages vagabondant à travers les ciels changeants des saisons et des heures, toute la nature défila sur ses toiles.
Le soleil couchant donne à ce petit coin de terre à l’Hermitage, la féerique illusion d’une splendeur éphémère que Pissarro fixe à jamais sur un morceau de toile.
J.C. Holl :
« Pissarro avait raisonné son art toute sa vie, su conquérir le secret de la palette par la décomposition des effets solaires, par l’observation perpétuelle et vigilante des effets naturels qu’il étudiait avec cet amour de la vie sous toutes ses formes… Il peignit jusqu’à la dernière minute avec le souci du mieux, du parfait, de l’harmonie suprême dont il enchanta nos yeux. »
Conclusion
Pissarro est souvent surnommé « le père de l’impressionnisme » parce qu’il était l’aîné des protagonistes de la révolution artistique de la seconde moitié du XIXe.
Il sera le seul à participer aux huit expositions organisées par le groupe.
Le dynamisme qui entoure l’impressionnisme depuis les années 1880 doit souligner que l’impressionnisme fut un art de la rupture, non conventionnel et libre, un renouvellement du paysage avant de devenir une marque.
Pissarro ne peint pas de tableau à message. Promenade à dos d’âne à la Roche-Guyon est son seul tableau qui met en scène une chronique sociale.
La peinture de Pissarro émeut puissamment les yeux et l’esprit du regardeur.
Toute sa vie Pissarro a été à la recherche de son art et de lui-même.
Ses talents de pédagogue sont reconnus par tous les artistes qui l’entourent.
Mary Cassat dit de lui « qu’il eut appris à dessiner aux pierres ».
Pissarro écrit en avril 1892 : « soyons d’abord artiste et nous aurons la faculté de tout sentir, même un paysage sans être paysan ».
Durant vingt ans son œuvre s’élabora tranquillement, vouée aux aléas des expositions et des ventes.
À l’époque du peintre, la création artistique devient une profession de foi politique et spirituelle et l’art semble supplanté la religion.
Pissarro : « je donnerai une année de ma vie pour revenir dans cinquante ans contempler mes toiles et voir si le temps en a fait ressortir le travail intérieur, qui est en quelque sorte la rêverie du paysage ».
Source : Portraits d’Hier, n°56 – Camille Pissarro par J.C. Holl
Shiff Richard, Bouniort Jeanne. « Il faut que les yeux soient émus » : impressionnisme et symbolisme vers 1891. Dans : Revue de l’Art, 1992, n°96. pp. 24-30