Le jardin des délices – 1495-1505 Jérôme Bosch

 

Jérôme Bosch (1450-1516)

 

Le jardin des délices

1495- 1505
Huile sur bois
Dim 190 x 175 cm

Conservé à Madrid au musée du Prado

 

Le peintre

Jérôme Bosch est le « surréaliste » de la Renaissance en Europe du Nord.
Ses peintures sont peuplées de créatures hybrides, plus ou moins animales, voire monstrueuses.
Ces images grotesques révèlent une vision très sombre du monde.

Bosch a passé toute sa vie à Bois le Duc, un important centre religieux du Brabant. Issu d’une famille de peintres, marié à la fille d’un apothicaire, il était membre actif de la prestigieuse confrérie catholique de Notre Dame, constituée de citoyens influents.

Sa vision du monde trouve ses sources dans la Bible, dans les notions de péché et de faiblesse humaine et dans l’alchimie.

 

 

Le tableau

 

Description

Ce tableau est un retable en forme de triptyque
Il met en scène un univers grotesque peuplé d’animaux, de créatures fabuleuses et d’êtres humains nus.
Le spectateur se perd dans ce labyrinthe d’images :
Est-ce l’antichambre des enfers ou un jardin d’amour béni de Dieu ?

Deux panneaux rectangulaires entourent un panneau central presque carré.
L’œuvre est présentée dans un cadre de bois peint en noir et rehaussé de deux liserés dorés.
Sur le volet intérieur gauche du triptyque s’étale le paradis (le passé)
Le panneau central donne son nom au triptyque : Le Jardin des délices, c’est la vie terrestre (le présent)
Le volet intérieur de droite est l’enfer (le futur).

 

Composition

Le triptyque conduit le regard du spectateur de gauche à droite, de la clarté douce des verts tendres, des bleus légers et des roses édéniques aux noirs rougeoyants de l’enfer.

En s’approchant de plus près, le spectateur est épouvanté, son œil est aspiré dans un dédale peuplé de jolies figures menacées par de petits monstres.

Une transfiguration qui va toujours du meilleur au pire, de la félicité à la damnation.

Le panneau intérieur de gauche : le paradis, les scènes sont superposées
Depuis le haut : un paysage montagneux avec un ciel lumineux dans lequel virevoltent des oiseaux.
Au pied une prairie verdoyante peuplée d’animaux, une girafe, un éléphant, des licornes et un crocodile qui marche sur deux pattes.
Au centre la fontaine de la connaissance, on repère la chouette -symbole du savoir et de l’intelligence- et en dessous la scène principale avec les personnages.
Au premier plan des animaux inquiétants.

Le panneau central : le jardin des délices est un foisonnement prodigieux.
Bosch a représenté une construction en étoile centrée sur le bassin circulaire situé au 3/5 de la hauteur du panneau. Ses tracés horizontaux, distribuent l’espace autour du centre de l’étoile et s’échelonnent de haut en bas. Cette construction permet d’unifier l’ensemble comme un seul espace visuel et de le fractionner en plusieurs sous-espaces indépendants dans lesquels Bosch dispose les personnages et les objets.
Cette composition est corroborée par les images en reflectographie du retable, cette absence de perspective traditionnelle est conforme aux tableaux flamands de la Renaissance.
Dans le haut du tableau, un globe flotte sur un lac vers lequel convergent quatre fleuves qui abreuvent le jardin d’Éden. C’est la fontaine de l’adultère où les hommes et les femmes tout autour s’abandonnent à l’ivresse des sens.
Au 3/5 de la hauteur du panneau, L’humanité tourne en rond dans un cycle continu de débauche autour du bassin circulaire. C’est cette partie du triptyque qui est la plus évocatrice du caractère ouvertement érotique de l’œuvre.
Au premier plan Un couple d’amants dans une bulle, un autre à l’intérieur d’une moule et le personnage dont on ne voit que les jambes écartées entre lesquelles se trouve une arbouse picorée -symbole d’ivresse des sens ou de défloraison.

L’arbouse est représentée plusieurs fois, on la retrouve sur tous les panneaux.
C’était un fruit très apprécié de Philippe II d’Espagne qui l’incorpora au blason de Madrid et acheta le Le jardin des délices en 1591

Le rôle des fruits rouges, cerises, fraises, arbouses et grappes de raisins est essentiel pour traduire l’emportement des sens. L’humanité tout entière est concernée puisqu’on voit une femme noire avec une cerise sur la tête.

En bas sur la droite du panneau, dans une grotte, se tiennent trois personnages Ève, Adam et Noé. Ève contemple avec stupeur ce qu’est devenue l’humanité.

Le panneau intérieur de droite : l’enfer.
Il est construit en plans étagés.
Le choix des couleurs sombres contraste avec les couleurs claires des autres panneaux
Pour les contemporains de Bosch, l’enfer est une chambre de tortures physiques. Les damnés étaient soumis à tous les supplices et aux traitements les plus répugnants que l’on puisse imaginer.
La scène du haut représente une ville qui flambe, allusion aux flammes de l’enfer et aux guerres qui ont ravagé les Flandres.
Au milieu se trouve l’homme-arbre avec son visage triste et livide, son ventre rond abrite une taverne. Ses pieds prennent appui sur des bateaux entrain de couler -apparente stabilité dans l’instabilité.
À la droite de l’arbre, une représentation plus traditionnelle des supplices infligés aux damnés, coupés en morceaux, dévorés par des monstres, transpercé par une lance.
Le peintre est flamand, et fait allusion aux canaux gelés de l’hiver où l’on patine.
Le froid fait allusion à l’enfer de Dante.
Le diable est représenté sous la forme d’un hibou bleu –animal qui personnalise le mal. Il avale les hommes et les défèque dans un cloaque. On voit aussi un avare contraint à déféquer les pièces qu’il a amassées et un gourmand qui vomit sa pitance.
La femme sur le devant symbolise la luxure condamnable, elle se mire sur les fesses d’un démon qui la pelote.
En dessous le fantastique l’emporte sur le réel, un monde obscur où d’énormes instruments de musique sont devenus des instruments de torture auxquels sont attachés des suppliciés. Les autres sont dévorés par des animaux monstrueux.
Dans le bas du panneau à droite, un porc avec une coiffe de nonne est une allusion aux sorcières qui étaient souvent représentées sous formes animales.

Bosch éclaire son tableau avec ses couleurs.

Les couleurs claires génèrent une lumière douce. Les couleurs foncées installent une lumière contrastée qui provoque le malaise chez le spectateur.

La touche est imperceptible, le dessin est soigné, précis, net et implacable.

 

Interprétations

C’est une œuvre singulière, originale, entourée de mystères et d’incertitudes.

Bosch peint avec une grande virtuosité nombre de détails fantastiques et intrigants qui génèrent des interprétations multiples :

En Espagne au XVIe le triptyque est la représentation des vices pour mieux les condamner.

Bosch dépeint le monde comme une perpétuelle chute aux enfers. L’homme s’est éloigné de son créateur et s’adonne à des pratiques perverses qui le vouent à la damnation éternelle. Ces scènes d’horreur sont conformes à l’image que l’on se faisait de l’enfer au Moyen-Âge.

Bosch a-t-il vraiment peint l’enfer ?
Ne s’agit-il pas plutôt des abominations de notre monde dans lequel les puissants pervertissent les faibles ?
Au centre du panneau de droite, Bosch a peint un repère de brigands à l’intérieur d’un cadavre.
Le visage du mort est-il un autoportrait du peintre qui observe d’un regard mélancolique la misère du monde ?
Un monde dans lequel un cochon habillé en religieuse bécote un malheureux pêcheur.
Une autre scène fait songer aux moines dominicains qui en vrais limiers de l’inquisition torturent tout homme soupçonné d’hérésie.
Si ce visage est bien celui de Bosch, le peintre se pose alors en chroniqueur d’une époque sombre dans lequel l’homme erre sans défense balloté entre la misère et la guerre.

Certain voient dans le panneau central un paradis encore intact antérieur au pêché où l’on vit dans l’ignorance du bien et du mal ; dans ce jardin d’Éden tous les enfants de la création s’unissent fraternellement sans connaître le pêché.

La représentation de la licorne dans le panneau intérieur gauche serait une allusion à l’amour courtois en opposition à la frénésie de la chair du panneau central. C’est le début du XVIe -dans les mêmes années est réalisée en France, la tenture composée de six tapisseries dites La Dame à la licorne.

Avec Bosch le diable se cache dans les détails.

Il y aura des interprétations astrologiques, alchimiques et l’hypothèse de la représentation d’une secte hérétique, les adamites. Une chose est sûre, ce triptyque contient plus de nus que dans n’importe quel autre tableau occidental !

Sans oublier l’interprétation de l’anthropologue Wilhelm Fraenger en 1947, totalement abandonnée aujourd’hui : Pour Fraenger nul pêché dans tout cela, le volet gauche du triptyque ne représente pas la création, et le personnage central n’est pas le Christ. Ce serait un jardin où le tout premier humain un androgyne uni les sexes dans un mariage mystique, cette union scelle aussi leur alliance avec le divin.
L’interprétation du panneau central est tout aussi audacieuse, d’après Fraenger, il représente le royaume millénaire, un monde d’amour que le moine luthérien Joachim de Flore annonçait vers 1260 dans son exégèse de l’apocalypse.
C’est ce monde d’amour que Bosch aurait peint 250 ans plus tard.
Son retable serait un manuel pour initiés aspirant à s’ébattre dans un royaume des sens.

À la fin des années 80, Jean Wirth propose une lecture qui intègre tous les éléments. Sur le constat d’un sujet traditionnel de la théologie de l’époque du peintre « comment serait le monde si l’homme n’avait pas péché », il observe que le triptyque illustre cette interrogation : une utopie, un monde extraordinaire avec des hommes et des femmes du même âge qui s’adonnent aux plaisirs.

Cependant c’est une œuvre pessimiste puisque l’enfer est le présent, la réalité avec tous les objets artificiels, les armes et les instruments de musique.

On peut penser que la théologie n’est qu’un prétexte, car il n’y a pas de séparation nette entre les domaines du sacré et du profane à la fin du XVe.

Le commanditaire du Jardin des délices pourrait être Henri III de Nassau-Breda (1483-1538) chez qui Bruegel a vu le triptyque… fermé. Henri III de Nassau-Breda était un bon vivant de la cour de Bruxelles, on sait à travers des écrits qu’il possédait un lit à 30 places qu’il réservait aux soirées bien arrosées et qu’il était un grand collectionneur.
Le jardin des délices colle parfaitement à sa personnalité.

À l’époque surréaliste, le triptyque devient l’emblème du monde onirique de Jérôme Bosch.

 

Conclusion

Bosch a longtemps troublé les historiens d’art. Si certains voient en lui un critique de la société, d’autres le considèrent comme un hérétique adepte de l’alchimie et de la sorcellerie, un farceur à l’imagination débordante, un fou ou encore un érudit.

Les créatures caricaturales de Bosch sont des manifestations du mal qui tourmente les saints et sévit en enfer.

Une des forces de l’œuvre de Bosch est son affranchissement des codes académiques.

Une œuvre remarquable tant sur le plan de l’invention que de l’exécution.

C’est avec Bosch qu’apparaît la notion de « genre pictural ».
Que ce soit dans les scènes consacrées à la vie du Christ ou dans les allégories sur l’homme corrompu, Bosch a peuplé ses tableaux d’êtres démoniaques. Pour lui le monde était le domaine du diable.

Et si les contemporains de Bosch étaient troublés par ces représentations, ils étaient également touchés par son œuvre, de sorte qu’il fut un maître très recherché de son vivant, avec des commandes de l’étranger, et son succès se prolongea après sa mort.

D’illustres collectionneurs achetèrent ses tableaux, tels le cardinal vénitien Grimani et Philippe II roi d’Espagne.

De son vivant et jusqu’au milieu du XVIe on considérait le peintre comme un faiseur de diables un peintre drôle et original. Ensuite à l’époque de la Contre-Réforme et surtout en Espagne -parce qu’il fallait justifier la présence de ses œuvres dans les collections très catholiques, il est vu comme un moralisateur. Enfin à partir de sa redécouverte à la fin du XIXe et à l’époque du surréalisme, il devient un peintre excentrique.

Jérôme Bosch fait partie avec Jan van Eyck, Pieter Bruegel l’Ancien et Rubens de l’école flamande. Ces quatre peintres ont eu une influence notable sur l’art et la peinture européenne.

Le succès populaire de Bosch aujourd’hui tient au fait que pour le grand public, Bosch reste dans le panthéon de l’histoire de la peinture – grâce aux surréalistes