Le festin d’Hérode, La danse de Salomé -1460-64 Filippo Lippi

 

Filippo Lippi (1406-1469)

 

Le Festin d’Hérode, La Danse de Salomé

1460-1464
Fresque
Dim  L = env. 880 cm

Conservée -in situ dans la chapelle majeure de la Cathédrale de Prato

 

Dans l’Italie de la Renaissance, où le christianisme intervenait dans tous les aspects de la vie, l’art sacré était omniprésent.
Au XVe, les églises florentines étaient de véritables musées avec leurs fresques aux thèmes bibliques et leurs autels ornés de représentations des saints.
Les familles fortunées rivalisaient pour installer et décorer des chapelles privées dans toutes les églises de la ville.
Ces peintures offraient une protection spirituelle à ceux qui vivaient sous le regard bienveillant d’un saint personnage.

 

Fra Filippo Lippi

Le peintre est né à Florence en 1406, orphelin à huit ans il est placé dans le couvent du Carmine où son don artistique est rapidement repéré. S’il est influencé par Masaccio et Masolino (actifs dans l’église du Carmine pour la chapelle Brancacci), par les sculpteurs Donatello et Luca della Robbia et par la peinture flamande ; il se forge avec son esprit anti-conventionnel et son caractère impulsif, une vision artistique très originale.

À Prato, il séduit une religieuse, Lucrezia Buti, et s’enfuit du couvent avec elle. De leur union naquirent deux enfants une fille et le futur peintre Filippino Lippi.

Sa vie aventureuse lui apporte une profonde connaissance de la nature humaine et une forte charge expressive qu’il transpose dans sa peinture.

 

La fresque

En 1452, au sommet de sa notoriété, Fra Filippo Lippi est chargé par la commune de Prato de peindre à fresque la chapelle majeure de l’église de Sant Stefano, l’actuelle Cathédrale.

Le cycle des Histoires de Saint Étienne et de Saint Jean-Baptiste est réalisé par Lippi et ses collaborateurs entre 1452 et 1465.

La fresque du Festin d’Hérode représente sur un unique décor, trois fois Salomé, à trois moments du cycle consacré à la vie de saint Jean-Baptiste.
À l’extrême gauche, Salomé dans le dos d’Hérode tient le plateau vide dans sa main gauche et esquisse un pas.
À gauche, Salomé danse -figure sinueuse et légère, devant Hérode, son beau-père, pour obtenir en récompense la tête de saint jean.
À droite, Salomé -lumineuse, apporte, sur son plateau, la tête de Jean-Baptiste dans la salle à manger, et la présente à sa mère Hérodiade -belle et impassible.

L’épisode est mentionné dans les Évangiles de Matthieu, Marc et Luc :
Salomé est la fille d’Hérodiade et d’Hérode Philippe et petite-fille d’Hérode le Grand. Jean-Baptiste a dénoncé l’union incestueuse d’Hérodiade avec son beau-frère. Pour se venger Hérodiade convainc sa fille Salomé de lui apporter la tête de Jean-Baptiste. Salomé exécute une danse dans le but de venger sa mère en obtenant en contrepartie de son spectacle la tête de Jean-Baptiste.

 

Composition

C’est une composition théâtrale avec une mise en perspective de l’architecture.

Filippo Lippi commence par construire son décor puis place ses figures dans un espace architecturé qui simule un espace réel où les proportions des personnages, leurs attitudes et leurs positions -souvent en opposition les uns par rapport aux autres, donnent vie à la représentation.

La perspective géométrique avec la multiplication des échelles donne une grande profondeur à la scène.

La disposition scénique imposante (la fresque mesure plus de huit mètres de long) s’articule autour des vides et des figures tangibles et réalistes.
Filippo Lippi a divisé la surface de la fresque en quatre plans.
Le premier plan  vide, aère la composition. Il est borné sur la gauche de la représentation par les figures principales de l’histoire racontée : la tête de saint jean, Salomé et Hérode.
Au second plan, intégré dans la perspective par les lignes du dallage, Salomé évolue dans ses deux rôles, encadrée par les tables latérales du banquet   – à gauche Salomé virevolte en dansant, à droite Salomé agenouillée présente la tête de saint Jean à sa mère qui se tient debout derrière une table, impassible.
Ce sont les lignes verticales et horizontales qui structurent les plans et l’espace.
Les tables du buffet mettent en scène un troisième plan où se tient une rangée de convives assis.
Un dernier plan, derrière les convives, construit en perspective centrale et matérialisé par deux arcades ouvrant la cour pavée sur l’extérieur, découvre un paysage champêtre. Ce plan donne une grande profondeur à la scène.

La disposition de cette cour intérieure répond au réalisme populaire de Filippo Lippi et dénote clairement l’inspiration de l’art antique.

Le personnage de Salomé dansant est inspiré des représentations antiques des Ménades (compagnes de Dionysos). Le mouvement est souligné par les cheveux volants au vent, les voiles flottants et les plis du drapé.
Salomé emmène le spectateur dans un rythme effréné de la gauche à la droite de la peinture. Tour à tour dans une position d’attente -les yeux baissés, puis de danse échevelée, puis agenouillée devant sa mère Hérodiade, brandissant le plateau contenant la tête de saint Jean, le regard satisfait tournée vers le spectateur.

La figure de Salomé est renforcée par un sens du contour dynamique, les lignes sont plus importantes que les formes. Filippo Lippi innove en prenant le parti de la linéarité.

Hérodiade -célèbre pour sa beauté, avec la pureté linéaire de son visage, reflète l’idéal féminin de la Renaissance. Sa robe somptueuse, la recherche savante de sa coiffure, montrent l’attention particulière que Filippo Lippi porte aux ornements.

La précision du geste d’Hérodiade désignant (l’index pointé soutenu par le regard) Salomé qui présente la tête aux convives terrifiés, accroît l’horreur de la scène.

Le dessin est épuré, le relief et les couleurs sont agencées avec habileté. Les lignes sont mises en évidence avec une lumière douce.
Personnages et architectures sont rendus à l’aide d’un jeu subtil de couleur et de lumière.

 

Analyse

La peinture de Fra Filippo Lippi associe avec subtilité représentation iconique et scènes narratives.

Dans la fresque du Festin d’Hérode la représentation juxtapose représentation iconique et narration qui recentre le sujet et la composition picturale autour de Salomé.
Les plans où se positionne la figure de Salomé sont liés formellement par la perspective et par le thème : Celui de l’intention de Salomé (manipulée par Hérodiade) d’obtenir la tête de saint Jean en séduisant son père Hérode avec une danse.

Filippo Lippi est  habile à rendre compréhensibles les histoires bibliques de ses fresques
Il a une capacité remarquable dans la chapelle majeure, à représenter les sentiments d’une humanité vivante. Sa créativité est pleine de fantaisie, attentive aux aspects quotidiens de l’existence.

Les fresques présentent des scènes complexes et imposantes. Cependant les images sont attentives à la continuité de la narration, avec des espaces dilatés par des perspectives ouvertes. Les constructions monumentales paraissent légères grâce au coup de pinceau liquide et lumineux et aux vaporeux drapés.

Filippo Lippi découvre avec les fresques de la chapelle majeure, une manière nouvelle de résoudre le rapport « figure et scène » en instaurant un rythme accéléré et linéaire.

Salomé envoûtante danse devant les convives médusés. Elle préfigure les silhouettes graciles et aériennes des sylphides de Botticelli qui fut son élève.

D’un point de vue chronologique, les scènes se déroulent de la gauche vers la droite de la peinture, de la résolution de Salomé à la danse et à son succès.

L’atmosphère qui se dégage de la peinture en font son intérêt.
Avec une originalité d’invention et une grande force expressive, le peintre transforme l’atmosphère sacrée en atmosphère humaine et poétique.

C’est Salomé qui donne le ton, unifiant par son omniprésence toute la composition.

 

Conclusion

Le style de Filippo Lippi est plein de grâce -visible dans la torsion des corps ou dans la douceur des visages, et de variété de composition. Son œuvre est baignée de lyrisme.

La dimension sentimentale, son goût prononcé pour le naturalisme et son rendu exact des corps au moyen de la ligne (et non du modelé des formes) sont la contribution de Filippo Lippi à l’épanouissement de l’art du Quattrocento.

La décoration de la cathédrale de Prato est son œuvre majeure.