Le dernier voyage du Téméraire – 1838 J.M.W.Turner

 

Joseph Mallord William Turner (1775-1851)

 

Le dernier voyage du Téméraire

1838

Huile sur toile
Dim 91 x 122 cm

Conservé à Londres à la National Gallery

 

Le Peintre

Tuner est né sur les bords de la Tamise, enfant il observe le bal des navires et le flux de l’eau.
Adolescent il exécute des relevés topographiques pour des architectes.
Son approche du dessin et sa pratique peu académique datent de cette époque où il étudiait les volumes et reliefs du terrain.
Il s’imprègne sur le vif, bien avant les impressionnistes.
Sa recherche picturale se caractérise par sa propension à mixer l’ouvrage humain et le paysage, la culture et la nature.
C’est un peintre voyageur, de la France à la Suisse, du Danemark à la Flandre, de l’Italie à l’Autriche, il suit les cours de la Loire, du Rhin, du Danube et marche le long des canaux vénitiens.
Il confronte son œil à l’interprétation et la réalité du paysage.
En Italie (en 1819), il acquiert la maîtrise d’une matière picturale qu’il déclinera jusqu’à la fin de sa carrière.
Dans le même temps, à Londres, il mène une brillante carrière officielle au sein de la Royal Academy.
Avisé en affaires, il ouvre en 1803 sa propre galerie, à l’instar de son maître Reynolds. Il expose ses invendus dont il tire des gravures qui, diffusées dans un monde occidental en pleine expansion, entretiennent sa renommée internationale.

On raconte qu’il vernit ses toiles en direct, le soir même de l’inauguration de l’exposition, ajoutant parfois un petit point rouge final pour attirer l’œil du spectateur.

Turner est un peintre romantique, un sentimental. 

 

Le tableau

Ce tableau appartient à la décennie qui précède 1845, année où Turner fut nommé président de l’Académie Royale.

Cette représentation découle d’un évènement réel et la combinaison du fait historique et de la majesté des éléments en font une œuvre frappante.

Avec La charrette de foin de Constable, Le dernier voyage du Téméraire, compte parmi les œuvres anglaises les plus célèbres.

Il marque le terme d’une longue période consacrée aux marins et à leurs navires, et s’impose comme une vision obsédante de la bataille de Trafalgar.

Turner aurait dessiné le bateau le 6 septembre 1838, à Sheerness, en amont du chantier de démantèlement de Beaton à Rotherhithe- dans le nord du Kent
Cependant il n’existe aucune trace d’esquisse relative au tableau et la scène ne serait pas exacte. L’imposant navire aurait nécessité deux remorqueurs et non un seul, les mâts, les voiles, le gréement et l’ensemble des canons avaient été retirés et, il n’y avait pas de coucher de soleil.

Dans ce tableau Turner, plutôt que de proposer une description exacte, insiste sur la dimension symbolique.

Turner se refusa à vendre le tableau malgré des offres renouvelées.

 

L’histoire

Le Téméraire, second navire de 98 canons au côté du Victory de l’amiral Nelson durant la bataille de Trafalgar le 21 octobre 1805, vint porter secours à l’Anglais dans un acte héroïque qui contribua à rompre la formation franco-espagnole et proclama ainsi la victoire de la flotte britannique.

 

Composition

Un ciel grandiose dépeignant un coucher de soleil éclatant offre un cadre exceptionnel au dernier voyage d’un voilier majestueux.

La composition organise le tableau en deux parties et trois plans, à gauche les bateaux et la mer, à droite le soleil, le ciel et la ville. À gauche les couleurs froides du bleu du gris et du blanc, à droite les couleurs chaudes comme le rouge, l’orange et le noir.

Sont représentés :
Au premier plan, une forme noire sur la droite du tableau, un rocher ou un baigneur ?

Au second plan, sur la gauche du tableau, deux bateaux, le grand voilier et devant lui, un petit remorqueur à vapeur. Un troisième bateau, toute voile dehors, suit le convoi à bâbord du Téméraire.

Au troisième plan, les voilures d’un bateau dans l’axe du tableau fixent la profondeur de la composition.
Turner pose sa perspective en emmenant le regard du spectateur d’un bateau à l’autre, jusqu’à l’horizon.
Le ciel immense occupe les ¾ du tableau.
Derrière les bateaux les nuages clairsemés forment un triangle de ciel bleu.

À droite du tableau le soleil se meurt dans un embrasement de couleur tandis que la lune pâle se lève au-dessus de l’eau.

Encore plus à droite et fermant le tableau les grandes cheminées industrielles de la ville captant la lumière blafarde de la lune percent dans le brouillard.

Le grand voilier est installé dans un jeu de verticales (les mâts, le gréement, les voiles, le petit drapeau, la cheminée) qui évoque sa puissance et sa majesté.
Le remorqueur est petit et crache de la fumée.

Dans  cette composition, le subtil équilibre entre lumière et énergie,  lumière et formes,  lumière et couleur. dégage une grande intensité

C’est une lumière surnaturelle  va du ciel à l’eau et de l’eau au ciel.
L’eau et le ciel se rejoignent à l’horizon emprisonnant dans un écrin de lumière le Téméraire.

Un coucher de soleil fantastique, grandiose, un feu d’artifice, embrase le ciel et illumine de mille feux le dernier voyage du grand voilier.

Tandis que le soleil déchire le ciel, la lune se lève. Elle traine son reflet dans l’eau et éclabousse les voiles des bateaux -incrustés dans l’horizon.

Les couleurs sont expressives, elles passent brusquement du clair au foncé ; blanc pour le voilier évoquant un fantôme et noir pour le remorqueur trapu qui crache de la fumée et de la suie.
De l’ocre du jaune et du rouge pour le coucher de soleil empourpré et du doré pour le bastingage du voilier.

 Le peintre travaille la vibration de la couleur et les jeux de lumière sur l’eau.  Turner applique une seconde couche de peinture avant que la première soit sèche, c’est sa « technique du flou ». Turner mélange les techniques, il travaille soit au couteau, soit par projections.  Il use de forts empâtements pour dessiner les rayons et leurs reflets et il utilise une fine pellicule de peinture pour le Téméraire, ses gréements et ses mâts.

 

Analyse

Turner verrait-il dans son époque une folie accélérant -progrès à l’appui- des rythmes et des modes de vie détachés de la nature et de l’essentiel ?

Champ de bataille à Waterloo (1818) et Le dernier voyage du Téméraire (1838) mettent en scène l’histoire d’un monde qui n’est plus.

Turner est à la fois témoin et narrateur.
À la vraisemblance topographique, le peintre instille un pittoresque historique. La dimension spectaculaire d’un évènement est intimement liée à celle de la nature.
On pense à Pluie, Vapeur et Vitesse –1844 où un lièvre court pour échapper à une locomotive sur fond d’orage.

L’art de Turner est extrême, il a peint la grandeur des éléments avec un fatalisme qui se fait l’écho d’une préoccupation contemporaine, représentant la futilité et le mystère de l’existence mieux qu’aucun de ses confrères.

Cette œuvre nostalgique symbolise la fin de l’ère du voilier et l’avènement du navire à vapeur qu’on associe à la révolution industrielle.

Le bateau de guerre et le coucher du soleil traduisent la fin du temps des grandes batailles maritimes, le soleil se couche sur la fin des grands voiliers.Tandis que le navire à vapeur et sa grande cheminée proclament la puissance d’une nouvelle ère technologique, le bateau à moteur supplante le bateau à voile.

Les présences conjointes du soleil qui meurt et de la lune avec ses pales reflets, évoquent la fin d’une époque héroïque pour le premier et pour la deuxième, l’essor de la vapeur.

Sa peinture est d’une subjectivité totalement personnelle.

Un sentiment de perte émane de la toile.
À l’image positive du progrès, ce tableau propose une représentation sombre.

Le dernier voyage du Téméraire est un tableau romantique, Turner exprime sa tristesse en représentant le dernier voyage d’un bateau très aimé par les anglais.

Le Téméraire a joué un rôle capital dans la victoire des anglais face aux troupes napoléoniennes lors de la bataille de Trafalgar, en 1805. À ce titre le Téméraire est perçu comme un symbole de la suprématie britannique sur les mers et son démantèlement est regrettable du point de vue de la sauvegarde du patrimoine.

Au moment où les avancées technologiques prennent le pas dans beaucoup de domaines, le dernier voyage du Téméraire est un message d’avertissement et sollicite la sensibilité du spectateur.

Turner avec cette toile parle du passage du temps inexorable, qui vaut autant pour le navire que pour le peintre.

Le dernier mouillage du Téméraire rappelle que toute vie humaine a une fin.

Turner investi son tableau d’une profondeur spirituelle.
C’est un peintre romantique qui recherche le sublime, la passion et le sentimentalisme.

Le peintre s’appuie sur ses sensations
Turner capte l’énergie et le mouvement de la matière, des couleurs et des ombres. Elles sont le sésame entre lui et le monde, entre l’œil et le tableau.

Il accède à une maîtrise exceptionnelle des effets climatiques et de la fugacité des jeux de lumière et d’eau en recourant à des techniques telles que, l’empâtement, le frottis et l’application en sous-couche d’un apprêt blanc.

Pour rendre sa toile lumineuse, il conjugue ces techniques à un usage libre et audacieux de la matière. La fusion des techniques est au cœur de sa quête.
Il s’est affranchit progressivement des conventions du genre pictural pour mettre au point sa propre technique.

Turner fut l’un des meilleurs coloristes de son temps, de plus en plus fasciné par l’influence des changements atmosphériques sur le paysage.
Il oublie les lignes et les formes pour ne restituer que les vibrations de la couleur.

La mise en scène du Téméraire est spectaculairement colorée.

Si les compositions de Turner délivrent une première impression de désorientation, cohésion et harmonie sont rapidement perceptibles, notamment dans les couleurs.

Turner en recherchant la transparence et la luminosité, sublime le paysage et rend l’homme plus petit.

Le côté arbitraire des choix esthétiques de Turner place l’imagination du peintre à l’avant-garde du symbolisme.

 

Conclusion

Turner a eu un destin exceptionnel.
Bien que souvent incompris par ses contemporains, Turner fut un coloriste de génie dont la maîtrise des scènes hautement atmosphériques fit de lui, avec Constable, un grand nom de l’art britannique.

Pour lui, appartenir au XIXe siècle et au progrès qu’il incarne impose une conception de la nature radicale et vivante. Le paysage est le lieu de toutes les rencontres.

Pour Turner, peindre revient à inventer en partant de l’intime et de l’universel pour exprimer la sensation de la vie.

Claude Monet, sensible aux effets optiques de la couleur de Turner, aurait dit de lui qu’il savait « peindre les yeux ouverts ».

Turner, ce grand peintre romantiquese révèle être un peintre d’une grande modernité.