le déjeuner des canotiers – 1880-81. Pierre Auguste Renoir

 

Pierre-Auguste Renoir (1841-1919)

 

Le Déjeuner des canotiers

1880-81

Huile sur toile
Dim 130 x 173 cm
Conservé à Washington, Phillips Collection

 

Le peintre

Pierre-Auguste Renoir est l’une des figures les plus célèbres du mouvement impressionniste.
Il naît à Limoges et meurt à Cagnes-sur-Mer.
Il travaille comme décorateur dès l’âge de treize ans dans un atelier de porcelaine et suit des cours dans une école d’art.
En 1862, il entre à l’école des Beaux-Arts où il rencontre les futurs peintres impressionnistes. Accompagné de Claude Monet, Frédéric Bazille et Alfred Sisley, il part en forêt de Fontainebleau pour peindre sur le motif.
À partir de 1864, il expose aux Salons officiels.
En 1874 il participe à l’exposition des impressionnistes avec Le Bal du moulin de la Galette.
Renoir connait le succès à partir des années 1890.
Son style évolue et change toutes les décennies, s’approchant ou s‘éloignant de celui des impressionnistes.
Il a peint jusqu’à sa mort, malgré ses rhumatismes articulaires, des portraits, des nus et des natures mortes.

 

Le tableau

Renoir a peint ce tableau à Chatou de la terrasse du restaurant La Fournaise.

Le peintre commence Le Déjeuner des canotiers sur la terrasse et le termine dans son atelier.

Renoir réfléchit à son projet plusieurs années et fit de nombreuses esquisses avant de se décider à peindre ses amis et modèles réunis autour d’une table.

On observe dans ce tableau sa grande maîtrise de la lumière éclatante de soleil.

Le restaurant La Fournaise à Chatou, sur les bords de la Seine, était le lieu à la mode. La famille Fournaise ouvre le restaurant en 1860, loue des bateaux et héberge les peintres parmi lesquels Renoir. C’était un lieu de rencontres.

Le marchand d’art Durand-Ruel achète l’œuvre et contre l’avis de Renoir la présente à la septième exposition impressionniste.

En 1923, le collectionneur américain, Duncan Phillips, achète le tableau aux fils du marchand d’art Paul Durand-Ruel.

 

Composition

Les trois sujets préférés de Renoir construisent la scène :
La nature morte du premier plan, détermine le moment, les canotiers viennent juste de déjeuner.
Les personnages -avec leurs échanges de regards et la présence appuyée des femmes– donnent au tableau son unité et une forte présence.
La vue sur le Seine indique le temps, celui des régates et du soleil brillant de l’été.

C’est un tableau de grandes dimensions avec un cadrage très serré.

Renoir prend ses amis et connaissances pour modèles.
Il les rassemble autour d’une table.
De gauche à droite :
Au premier plan :
Aline Charigot câline un petit chien. Cette jeune-femme champenoise fut son modèle et sa compagne avant de devenir son épouse en 1890. Elle lui donna trois fils dont Pierre (acteur) et Jean (cinéaste).
L’homme à califourchon sur sa chaise est le peintre Caillebotte, cher ami de Renoir et parrain de son fils Pierre.
L’homme penché au-dessus de lui est le journaliste italien Maggiolo.
L’homme à la barbe rousse et à la carrure imposante, debout et appuyé contre la balustrade est le fils du propriétaire du restaurant La Fournaise, Hippolyte Alphonse.
Au deuxième plan :
La jeune-femme accoudée à la balustrade est Alphonsine. C’est la fille du propriétaire du restaurant la Fournaise et la serveuse du restaurant. À sa gauche, l’homme de dos qui lui parle est le baron Raoul Barbier.
Au centre, une jeune-femme est entrain de finir son verre.
À l’extrême droite, au second plan, l’actrice de la comédie française, jeanne Samary est de profil. Renoir fera une douzaine de portraits d’elle.
À ses côtés, on reconnait le visage de face de Paul Lhote – le modèle masculin pour Danse à la ville et Danse à la campagne –1883.
Son amitié avec Renoir est solide, il sera son témoin à son mariage en 1890.
Au troisième plan :
Au fond du tableau, deux hommes discutent, celui qui nous tourne le dos, avec un chapeau haut de forme, est le banquier Charles Ephrussi.
À l’arrière-plan :
Il n’y a pas de ciel dans ce tableau.
Le foisonnement de la végétation sert de toile de fond.
À gauche de la composition, une trouée en partie haute, conduit le regard jusqu’aux arches d’un pont ferroviaire qui barre l’horizon.
On devine le fleuve et la berge opposée.
La Seine est animée par la présence de trois voiliers esquissés.

Renoir a représenté quatorze personnages regroupés en quatre groupes.
Du quatorzième personnage (parce que treize personnes à table -depuis l’épisode biblique de judas – porte malheur), on distingue un visage de profil et en partie dissimulé par la carrure du seul homme sans chapeau, debout et penché au- dessus de la chaise de Caillebotte, le journaliste italien Maggiolo.

Les figures ont des mines souriantes.
Les personnages sont jeunes, libres et heureux de vivre.
De cette scène émane une grande gaité.

C’est l’échange des regards entre les personnages qui rend cette scène vivante. Ces regards sont le fil conducteur du tableau.

Le point de vue est en légère plongée pour nous permettre de voir les personnages du fond du tableau. Le spectateur est presque de plain-pied avec le groupe de jeunes gens. Cette composition l’invite à partager la joie du moment.

La profondeur est exprimée par la perspective de la rambarde et par la taille des personnages -plus on recule dans la composition plus leurs tailles diminuent.
Les verticales des piquets de soutien de la pergola, prolongées par les barreaux de la rambarde et les verticales des personnages debout, rythment la composition. Cet ensemble, de lignes horizontales (les lignes parallèles de la table et de la rambarde) et verticales, ancre la scène d’un dimanche de fête.

Renoir traduit l’animation de la scène en floutant ses figures, toutes ses figures, au premier plan comme au fond du tableau.
Il obtient un aspect « cotonneux » caractéristique de son style.

L’arrière-plan en contre-bas de la terrasse est foisonnant de végétation.
Les arbres montent plus hauts que la terrasse et protègent les convives du soleil tout comme la toile de la pergola tendue au-dessus des tables.

Le tableau baigne dans une lumière filtrée par les feuillages et la tenture de la pergola.
La lumière s’enroule autour des personnages.
Tout est éclairé, les tons sont lumineux.
La lumière ensoleille les chapeaux traités avec des tons ocres.
Les jeux d’ombre et de lumière sculptent les volumes et les plis en jouant sur des nuances de bleu. Les contrastes sont nets et les personnages bien définis.

Le peintre restitue les couleurs vraies dans la lumière vraie.

Les jeux d’ombre et de lumière travaillent les verts de la végétation tantôt clairs ou tantôt foncés. Les feuilles des arbres bleutées par la lumière font ressortir les carnations des personnages et attirent notre attention sur eux.
La lumière façonne les blancs de la nappe et des maillots de corps en infusant du bleu et de l’ocre.

Les couleurs des vêtements définissent les caractères de chacun.

Renoir utilise deux techniques pour exprimer ses couleurs.
Au premier plan une formidable nature morte est représentée à gros traits affirmés. Renoir peint d’une touche épaisse et emploie des couleurs vives.
Ses couleurs définissent les objets. Le vin, les verres et les fruits vibrent.
Les raisins évoquent la fin de l’été et la douceur de l’atmosphère.
Le pelage du petit chien est croqué avec les petites touches en virgules des impressionnistes.
Le noir teinté de bleu de la robe apporte une tonalité puissante, elle se propage jusqu’au fond du tableau.
À l’arrière-plan les personnages sont peints dans des tons pastel et des touches légères.

 

Analyse

Ce tableau exprime le goût de Renoir pour les scènes de la vie populaire parisienne.

La scène se déroule en plein air.

C’est un tableau très joyeux, Renoir peint le bonheur de vivre.

Les jeunes gens reviennent d’une promenade en barque sur la Seine et se retrouvent autour de la table d’un restaurant pour déjeuner.
Renoir nous fait vivre une journée insouciantes des canotiers.

Le naturel de la scène est tel que le spectateur à l’impression de participer aux discussions avec les convives.

Cette proximité du spectateur est due au cadrage « cinématographique » et au jeu des regards qui donnent une âme au tableau et sollicite l’imagination du spectateur. Il y a de l’amour dans l’air.

Renoir gomme la frontière entre la réalité et la représentation.

Le peintre célèbre une époque où les dimanches passés au bord de l’eau, attablés dans une guinguette était le divertissement de la classe bourgeoise des grandes villes.

Le tableau décrit les relations entre classes et entre hommes et femmes.
Il dépeint, comme une évidence, les échanges spontanés entre la bourgeoisie en haut de forme, les artistes et les modèles du peintre.

Ce tableau dégage une grâce exquise.

Pour restituer l’atmosphère des bords de Seine où les parisiens venaient se détendre et s’observer, Renoir soigne le rendu des couleurs. Il associe les tons chauds et les tons froids et travaille les contrastes de lumière et d’ombre.
Ainsi la facture du tableau participe pleinement à la représentation d’une scène de la vie réelle.

Que peignaient les autres peintres à la même époque ?
Les peintres impressionnistes mettent à profit l’invention de la peinture en tube et posent leurs chevalets en extérieur, s’attachant à l’impression que produisent la lumière, le vent, la neige …
Leurs œuvres sont joyeuses. Elles décrivent des paysages ensoleillés, des promenades en barque, des pique-nique dans des jardins fleuris et des fêtes dans les guinguettes.

Ce nouvel environnement urbain s’incarne dans le personnage du flâneur.
En 1863, Baudelaire s’empare du personnage et le décrit dans son essai Le peintre de la vie moderne : « La foule est son domaine, comme l’air est le domaine de l’oiseau, comme l’eau est celui du poisson… ».
Les peintres impressionnistes se saisissent du personnage du flâneur.
Les jardins faisaient partie intégrante de ce programme – le bois de Boulogne a été créé à cette époque- Monet, en 1866, dans Femme au jardin représente des femmes en habits contemporains se divertissant dans un parc urbain.
Plus loin l’hippodrome de Longchamp fait des courses hippiques le nouveau divertissement à la mode. Degas s’empare du sujet et réalise plusieurs tableaux où il dépeint autant les spectateurs que les chevaux.
Chevaux de course devant les tribunes –1866.
Berthe Morisot peint des tableaux où transparait la nouvelle passion bourgeoise pour le loisir. Dans Jour d’été –1879 elle représente une promenade en barque, Renoir la rejoint avec  Le Déjeuner des canotiers  et Mary Cassatt suit avec sa Fête nautique en 1893-94.
L’effet haussmannien sur l’impressionnisme est considérable.
Paris devient un spectacle pour Caillebotte Rue de Paris, temps de pluie -1877qui peint le Paris moderne Les Raboteurs de parquet -1875
Monet restitue l’effervescence des progrès techniques quand il peint sa série de Gare Saint Lazare -1877 Bonnard leur emboîte le pas en représentant
Scène de rue en 1894, L’omnibus -1895 ou Les Grands boulevards -1898.

En peignant Le Déjeuner des canotiers Renoir avait l’objectif de peindre un sujet de la vie moderne et de l’exposer au Salon Officiel.

Le Déjeuner des canotiers est un hymne à la joie de vivre.

 

Conclusion

Renoir a dit « les théories ne vont pas faire un bon tableau ».

Dans la révolution impressionniste, Renoir suit son instinct et vit l’instant de peindre. Il ne veut voir que ce qui est beau dans la vie.

Renoir nous donne une vision enjolivée de la société moderne.

Il imagine son propre univers où la femme tient une place prépondérante.

Proust a écrit : « des femmes passent, différentes de celles d’autrefois, puisque ce sont des Renoir ».

Fréquentée par les artistes, le restaurant Fournaise fermera en 1906.
En 1979 la ville de Chatou rachète la maison. Elle est rénovée dans les années 1980-90 et classée aux Monuments historiques. C’est aujourd’hui un musée.