Le couronnement de la Vierge -vers 1427-29 Fra Angelico

Fran Angelico (1395/1400-1455)

 

Le couronnement de la Vierge

Vers 1427-29

Tempera et or sur panneau de bois de peuplier d’un seul tenant.

Dim 213 x 211 cm

Conservée au Louvre

 

Le peintre

Moine très pieux Fran Angelico doit son surnom « Il Beato » (le bienheureux), à la grande maitrise et à la délicatesse de ses œuvres religieuses.

Béatifié en 1982 par le pape Jean-Paul II, il fut désigné par ce dernier saint patron des artistes catholiques « pour sa vie intègre et la beauté presque divine de ses peintures ».

Fra Angelico a vécu dans divers monastères dominicains – Fiesole, Cortone et Florence. Il  s’occupait des démunis tout en réalisant des retables et des fresques d’une profonde spiritualité.

Ses fresques ornaient les cellules des moines confinés pour les inciter à la méditation et à la prière.

Les événements religieux liés au concile de Pise en 1409 obligèrent les dominicains à quitter Fiesole. Fra Angelico connu l’exil mais cela lui permis de voyager à travers l’Italie et contempler les œuvres de ses prédécesseurs à Cortone, Sienne, Assise, Pérouse. Il découvrit  et assimila les règles mises en place par Duccio un siècle avant lui et, étudia Simone Martini, Ambrogio Lorenzetti, Taddeo di Bartolo et surtout Giotto.
Le concile de 1414 mit fin au schisme de l’Église avec l’abdication du pape Grégoire XII et l’élection de Martin V.
Fiesole fut rendu aux dominicains et Fran Angelico y revint en 1418.
Entre 1423 et 1428, il rencontra Masaccio.

Le travail sur la perspective de Masaccio influence Fra Angelico qui reste attaché au style mystique.

En 1445, Fra Angelico est invité à Rome par le pape Eugène IV pour peindre des fresques dans la chapelle du Saint Sacrement, à Saint Pierre, aujourd’hui disparues.
Le successeur d’Eugène IV, Nicolas V, fait également appel à Fra Angelico pour décorer de scènes des vies de saint Étienne et saint Laurent, la chapelle Nicoline du Vatican.

Avec leur profusion de lapis-lazuli et de feuilles d’or, ces fresques témoignent de l’importance de leur mécène et font de la petite chapelle un véritable coffre à bijoux.

 

Le tableau

Comme beaucoup d’épisodes de la vie et de la mort de Marie, celui-ci ne figure dans aucun texte biblique. Sa source se trouve dans un récit apocryphe attribué à un évêque de Sardes, en Lydie (Asie Mineure), repris au Ve par Grégoire de Tours et popularisé au XIIIe par la Légende Dorée de Voragine.

Fra Angelico a peint trois versions de cet épisode.

Une version vers 1434-35 est conservée à la Galerie des Offices à Florence.
Ses dimensions sont plus petites 112 x 114 cm, c’est également une tempera sur panneau de bois.

La troisième version a été peinte à fresque dans la cellule n°9 du couvent de San Marco vers 1440-42, ses dimensions 185 x167 cm

Ce retable est une commande pour un autel du couvent de San Domenico de Fiesole, près de Florence.

Il a été livré avant 1435, date de la consécration de l’église.
Cette date est contestée par les historiens qui estiment que le point de vue très bas pour le plancher n’est apparu à Florence qu’à partir des années 1440.

La découpe en forme de mitre de la surface peinte à la partie supérieure est d’origine.

Le retable et sa prédelle ont été emportés par l’armée napoléonienne et déposés au Louvre en 1812.

 

Composition

Le retable dépeint une scène fastueuse, en suivant un plan pyramidal.

La Vierge, élevée au-dessus de la foule d’élus, est agenouillée, les bras croisés devant le Christ assis qui tend la couronne pour sacrer sa mère Reine des cieux.

La cour céleste assiste à la cérémonie.
Les anges musiciens font raisonner les trompettes.

Une assemblée nombreuse de prophètes, d’apôtres, de saintes et de saints se recueille.

Cette composition presque carrée place le Christ et Marie au sommet de neuf marches en bois polychrome. Le Christ est assis sur un trône couronné par un dais posé sur quatre colonnes de bois.
L’élégance et la finesse des colonnes témoignent de l’intérêt de Fra Angelico pour l’architecture antique.

L’espace est saturé par la foule des personnages sur les deux registres.

Ce sont des personnages types.
Tous ont des traits vaguement semblables, une corpulence similaire et des teints identiques.
Toutes les femmes se ressemblent, elles sont blondes et fraîches avec des visages ronds.
Les anges sont à la fois aériens et lourds, graves et ravis.
Des musiciens et des apôtres évangélistes dont le nom est inscrit sur l’auréole entourent la scène.

Le regardeur reconnaît les figures grâce à leurs attributs : la couronne fleurdelisée de Louis IX, la mitre qui coiffe la tête de Nicolas , les cheveux lâchés de Marie Madeleine vêtue de rouge et tenant un vase à parfum, l’agneau que serre sainte Agnès dans ses bras et Catherine d’Alexandrie avec la roue de son martyre.

Fra Angelico dépeint avec grand soin chaque détails des vêtements ainsi que les frises des marches accédant au dais et le capiton du dais.

Le plancher pavé de tuiles suit les règles de la perspective avec des lignes de fuite misent en évidence par le vase de Marie Madeleine.

Des scènes de la vie de Jésus illustrent la prédelle.
Dans ces scènes on retrouve le souci de la perspective.
De gauche à droite : Le rêve d’Innocent III, l’apparition des apôtres Pierre et Paul à saint Dominique, La Résurrection de Napoléon Orsini, Le Christ ressuscité du tombeau, La dispute de saint Dominique, Saint Dominique et ses compagnons nourris par des anges et La mort de saint Dominique.

 

Analyse

 I-   Enracinée dans la tradition artistique médiévale, la peinture de Fran Angelico se nourrit également des tendances qui se développent à Florence.

La composition savante mêle des formes gothiques traditionnelles aux nouveaux canons de la représentation picturale.

Les saints stylisés sont plus abstraits que charnels.

Le dais de style gothique est placé au-dessus du trône céleste.

Le fond n’est pas doré mais bleu et représente l’azur du firmament.
C’est un bleu irréel.

Les détails minutieusement reproduits, les figures pour la plupart traitées sans souci perspectif, les auréoles distribuées avec une intention décorative, la fraîcheur des couleurs et des ors évoquent les enluminures du Moyen Âge.

Dans le même temps, la perspective soulignée par les lignes transversales des trompettes, les courbes ascensionnelles où s’inscrivent les figures de la cour céleste, isolant Marie et Jésus en haut d’un escalier, renvoient aux idées révolutionnaires de Brunelleschi et Masaccio et appartiennent à la Renaissance.

II-   Ce panneau central, éclatant d’or et de bleu, montre la paix de l’homme divinisé, Fran Angelico peint l’âme immergée en Dieu.
Fra Angelico a foi en la beauté humaine comme symbole du divin.

Fra Angelico a créé un type prestigieux de beauté humaine.

Si ses personnages manquent de souplesse, il sait leur donner une âme et provoquer chez le regardeur un sentiment en accord avec sa propre foi et son mode de vie.
Fra Angelico peint des figures recueillies en elles-mêmes, des figures « habitées », contemplant la scène avec les yeux noyées d’admiration.
Le Christ sourit en couronnant sa mère, il dégage une prévenance respectueuse.
Marie les bras croisés sur sa poitrine, est emplie d’une déférence infinie, d’une adoration intense. Son visage est d’une grande candeur.
Marie est exquise de pureté.

Fra Angelico a peint la grâce, ce qu’il voyait en lui -comme l’exprime Michel Ange.
Michel Ange : « Ce brave homme peignait avec son cœur ; aussi était-il capable de donner, avec l’aide de son pinceau, une expression extérieure de sa piété et de sa dévotion intérieures, chose à laquelle je ne puis parvenir, car je sens bien en mon cœur de tendance aussi bonne ».

Vasari ajoute dans Vie de Fra Angelico -1550 : « ceux qui travaillent à des œuvres religieuses et sacrées doivent être des hommes religieux », « les saints doivent être beaucoup plus beaux que les mortels à l’exemple des Cieux qui sont supérieurs en beauté à tout ce qui existe sur terre ».
Cette édition de 1550 procède de sentiments spécifiquement « renaissants ».

La touchante foi de Fra Angelico est susceptible d’amener à la foi les regardeurs.

Avec le souci de satisfaire les regardeurs qui vont s’agenouiller devant son retable, Fra Angelico peint les saints avec leurs attributs et emploie des pigments chers et beaucoup d’or.

III-   Cette poésie des symboles est également un témoignage matériel de la richesse des commanditaires.

Le bleu issu du lapis-lazuli est le plus cher et le plus précieux des pigments.
Fra Angelico l’utilise à profusion mais toujours pour souligner les éléments les plus sacrés.
Ce bleu est un symbole de pureté et de perfection. Plus le bleu est pâle, plus il est précieux et plus il est cher.
La couleur bleu ne parle pas uniquement du ciel, elle évoque la richesse du mécène. La Vierge est vêtue de bleu.
Le bleu et  l’or dominent dans cette peinture.
La traditionnelle valeur symbolique attachée à l’or, figuration de l’immatérielle lumière divine, Fra Angelico l’utilise pour ventiler l’espace en faisant rebondir la lumière sur les auréoles.
L’énergie de la lumière atteints tous les élus.
L’or et le bleu font ressortir le blanc avec force. Le blanc est la couleur de l’humilité utilisée pour l’habit des dominicains.

Ainsi les couleurs flattent le mécènes, participent à la composition et en tant que symboles et livrent un message au regardeur éblouie.

IV-   Si le panneau principal est un mélange d’art raffiné du gothique et de canons de la Renaissance, la prédelle en revanche, n’a absolument rien de gothique.

Fra Angelico déploie une architecture en perspective qui a l’air réelle.

Dans cette prédelle Fran Angelico met tout en œuvre pour montrer les actions, les mouvements en rupture complète avec les canons du gothique.
Le peintre applique les leçons de Masaccio.

Fra Angelico montre avec la prédelle qu’il a assimilé les nouvelles tendances.

Fréquentes dans l’art florentin du début de la Renaissance, ces deux tendances sont déjà présentes chez Masolino et Masaccio, prédécesseurs et modèles de Fra Angelico.

Dans les fresques exécutées entre 1447 et 1451, de la chapelle Nicoline -chapelle du Palais du Vatican, Fra Angelico fait la synthèse des courants humanistes et religieux de son époque.

La dualité de ce retable colle parfaitement avec la représentation de l’événement glorieux et touchant et confère à Fra Angelico sa place singulière dans l’histoire de la peinture.

 

Conclusion

Si Fra Angelico propose une peinture puisée dans la tradition de ses ainés, il s’en démarque par une personnalité et une originalité particulière.

Il s’éloigne du style de Lorenzetti et de Simone Martini  attaché à la représentation de la vie quotidienne. Sa peinture plus spirituelle  ne porte que très peu d’attention au détail terrestre.
Fra Angelico trouve son inspiration dans la méditation et la prière qu’il pratique assidument avant de peindre.

Son nom de religion est « frère Jean de Fiesole » mais la postérité a retenu l’épithète « d’Angélique » qu’un poète humaniste lui a décerné peu après sa mort.

La peinture paisible de Fra Angelico invite le regardeur à la méditation et à la prière.

Ses compositions sont à la portée de personnes simples en quête de nourriture spirituelle.

Fra Angelico toute sa vie d’artiste, a été à l’écoute des innovations et en a imprégné sa peinture, tout en restant attaché à la vision sacrée qu’il respecte comme dans le panneau central du Le couronnement de la Vierge.